Urtica propose sur X et Instagram (@UrticaUrtica) des affiches qui illustrent avec sagacité et humour l’actualité politique. Il y dénonce la propagande et la morgue du pouvoir, les mesures liberticides, les menaces de guerre, etc.
Bien qu’il s’en défende, Urtica est un artiste. C’est un artiste en plaisanterie, un virtuose de la blague piquante. Ses cibles privilégiées : nos politiciens et les boomers, qu’il tourne en dérision, avec des slogans simples et percutants accompagnés de visuels astucieusement créés par l’intelligence artificielle. Derrière l’humour et l’affiche rigolote se révèle une dimension plus engagée, politique sans être partisane.
Auteur :La Rédaction
« La dérision est à mon sens la meilleure arme »
L’Écho – Bonjour Urtica, peux-tu nous dire quelques mots sur ton parcours et ce qui t’as amené à réaliser ces affiches, qui rencontrent de plus en plus de succès ? Et aussi sur le choix de ton pseudonyme ?
Urtica – Après quelques années à écumer sous divers pseudos les internets où il fait bon ricaner, le délire sanitaire m’a poussé vers twitter à la recherche d’un peu de clarté … et je n’en ai pas du tout trouvé, alors la bouffonnerie a rapidement repris le dessus. Les penchants totalitaires décomplexés de la “majorité” présidentielle m’ont inspiré quelques détournements d’authentiques affiches de propagande chinoise et nord-coréenne. Sortir perpétuellement de nouvelles sottises ne me pose aucun problème mais c’est au niveau de l’exécution que ça coinçait. Alors quand les IA génératives d’images se sont popularisées, j’y ai vu un formidable assistant-esclave corvéable à souhait.
Quant à mon pseudonyme, j’ai une certaine affection pour les végétaux. Les orties sont on ne peut plus communes, des plantes à la floraison discrète qui poussent au bord du chemin, devant lesquelles on passe sans les regarder, mais qui peuvent laisser un souvenir désagréable.
Quelles sont tes sources d’inspiration du point de vue visuel et graphique, et quelle(s) technique(s) utilises-tu ? Qu’est-ce que cela te permet d’exprimer ?
Bien évidemment je cherche à reproduire l’esthétique des affiches de propagande de la seconde guerre mondiale et de la guerre froide, mais je sélectionne aussi des visuels avec un aspect “pulp”, dans le style d’Earl Norem, un illustrateur de comics. Je pense notamment à la série de cartes à collectionner Topps “Dinosaurs Attack !” qui surenchérit sur la violence et les scènes de panique de la série “Mars Attacks !” en y ajoutant une ironie loufoque.
Je ne suis pas graphiste, ma “technique” consiste donc à harceler des IA pour obtenir le rendu que je souhaite. Régulièrement, je retravaille l’image pour modifier quelques détails ou mélanger plusieurs visuels. Puis je rajoute les textes.
A vrai dire, je vise plus l’efficacité que l’excellence, y compris dans le processus de fabrication. Je fais tout sur smartphone, avec des applis gratuites rudimentaires. Parfois le temps d’une pause WC ou en marchant dans la rue. L’affiche réussie est celle qui frappe l’esprit au premier regard, même si elle reste imparfaite.
J’aime l’idée d’une guérilla débrouillarde de l’image qui fait tourner en bourrique des armées de consultants en communication hors de prix.
Enfin, peu l’ont remarqué, mais une partie de mes affiches renferme des messages “bonus” discrets, ainsi que des messages codés en plusieurs morceaux disséminés çà et là, pour leur donner une dimension un peu plus ludique. Jusqu’à présent personne n’est venu me signaler être arrivé au bout du jeu de piste.
Tu utilises le second degré dans tes affiches. Pas trop compliqué de se mettre dans la peau d’un propagandiste du camp de la Raison et du Bien, le tout « en responsabilité », bien entendu ?
J’aime bien essayer d’adopter une autre perspective, identifier les convictions, les schémas de pensée et les éléments de langage récurrents qui formatent un discours.
Et, quoi qu’en pensent les macronistes, leur « pensée » est tout sauf complexe. Les visuels produits par les militants authentiques sont d’ailleurs assez confondants de simplisme béat. Il arrive aussi régulièrement à ces militants de se contredire d’un jour sur l’autre, au gré des rétropédalages des membres du parti. Tout cela me facilite bien la tâche.
En fait, ils sont à ce point prévisibles que je me suis amusé à plusieurs reprises à parodier par anticipation des articles de Franc-Tireur. Le journal d’ultra-centre étant hebdomadaire, Rudy Reichstadt a été tellement ulcéré de voir que j’avais écrit (en version à peine plus débile) un de ses articles plusieurs jours avant que le sien ne soit publié qu’il m’a insulté et bloqué. Touché, coulé.
Comme tu mets en exergue la prétention et le mépris des tenants de ce camp du Bien autoproclamé, et leur côté ridicule aussi, tu ne dois pas manquer de sujets d’inspiration ?
En effet, leurs prises de paroles sont une source intarissable de fatuité. Des formules creuses, martelées avec un sérieux papal et des gestes répétés scolairement.
Je tente souvent aussi de détourner une actualité du jour en la récupérant grossièrement comme le ferait un communiquant maladroit. Tout est bon pour flatter le gouvernement, n’est-ce pas ?
Au départ, je n’avais pas du tout envisagé de publier quasiment une affiche chaque jour. L’inspiration persistant, j’ai continué pendant la campagne pour les élections européennes, puis j’ai fini par me fixer comme défi de tenir le rythme jusqu’au fameux 9 juin mentionné en bas de chaque affiche [Ndlr : date du scrutin]. Et quand j’ai cru rendre le tablier, les législatives se sont lancées. Dans le fond, rien ne m’obligeait à lier ces affiches à un scrutin. Alors j’ai encore poursuivi au-delà, notamment avec la séquence des JO. Dans un monde de sur-communication où un sujet en chasse un autre, je m’adapte, même si le rythme peut être difficile à tenir !
Une de tes affiches porte le slogan : « Ignorer. Réprimer ». Cela reflète ton opinion sur l’état de la démocratie, si on peut encore l’appeler ainsi ?
Je sors régulièrement des affiches en 2 cases qui renforcent encore, si besoin était, l’aspect binaire de la pensée totalitaire.
Celle-ci fait directement écho à la révolte en Nouvelle-Calédonie cette année, passée sous silence jusqu’à ce qu’elle vire à l’émeute et engendre une riposte violente pour “rétablir l’ordre”. C’était déjà la méthode du “pourrissement” employée notamment avec les gilets jaunes en 2018. Il y a finalement eu une coûteuse grande consultation citoyenne, puis Notre-Dame a brûlé et on est passé à autre chose, sans en avoir la conclusion. Un écran de fumée.
Je suis effectivement assez pessimiste sur l’état de notre démocratie. Nous sommes encore appelés aux urnes, mais il ne semble pas que le résultat ait un quelconque impact. Il me semble que certains journalistes et observateurs étrangers (probablement tous contrôlés par Moscou, il va de soi) commencent aussi à s’interroger.
Ce que je constate, c’est que toute la posture de l’exécutif qui revendique la raison et le compromis, abondamment relayée par les grands médias, est en totale contradiction avec son action concrète faite d’autoritarisme et de coercition.
A propos de coercition justement, tu publies régulièrement ce qu’on pourrait appeler « la Roue des interdictions », ou la roue de notre infortune…
Oui, tout est parti d’un simple concept posé en “meme” [Ndlr : image circulant sur les réseaux sociaux à contenu le plus souvent humoristique] graphique.
Alors que certains commençaient à lister les interdictions disparates imposées par des technocrates européens pour nous protéger de nous-mêmes, j’ai voulu insister sur leur apparence saugrenue et aléatoire. Rapidement, je me suis rendu compte que la version initiale était loin d’être exhaustive et, à mesure que je cherchais à la mettre à jour, j’étais effaré de voir à quelle vitesse les interdictions, projets d’interdictions ou incitation forte à s’auto-discipliner (“ballons-sondes” diraient certains) s’accumulaient. Est ainsi arrivée la formule dédiée “Et cette semaine la roue s’arrête sur…”.
C’est devenu une sorte de projet collaboratif car je reçois régulièrement des messages pour me signaler telle ou telle nouvelle interdiction incongrue. J’adore d’ailleurs cet esprit d’entraide spontané.
J’attends à chaque fois de cumuler suffisamment de nouveaux ajouts pour éditer une nouvelle version (ce qui m’oblige à refaire toute la mise en page). Avec les élections européennes et les JO, le rythme a marqué le pas, mais je ne doute pas qu’elle devienne rapidement illisible à force de réduire la police (d’écriture s’entend…).
La guerre dans laquelle certains semblent vouloir nous précipiter est un motif récurrent de tes affiches, qui en traduisent bien le côté anxiogène. On te sent très concerné, notamment par le sort qui pourrait être réservé à la jeunesse.
Je me souviens que début mars 2024, les seules propositions mises en avant par le gouvernement étaient 1) la menace d’envoi de troupes en Ukraine 2) l’intégration de l’IVG dans la constitution 3) la légalisation de l’euthanasie. Sans chercher nullement à remettre en cause le droit de quiconque à disposer de son corps, je suis simplement sidéré que le projet de nos dirigeants soit ainsi intégralement tourné vers la mort.
Je me suis senti en devoir de leur apporter un petit coup de pouce à ma façon pour la campagne des Européennes. J’ai réalisé une affiche pour ce fabuleux programme (le nom de la liste, “Besoin d’Europe”, n’était pas encore déposé, d’où le slogan cocasse “je vote Renaissance” qui est resté). Puis je l’ai accompagnée de deux ou trois autres du même style dans les jours suivants : la série “Européennes” était née. Et ce fut un petit succès déroutant. Les images, notamment la première, circulaient un peu partout en dehors de twitter, des amis me disaient les voir passer sur des boucles de messageries ou réseaux sociaux de tendances politiques variées, y compris LinkedIn, le temple du conformisme corporate, et on m’a même signalé qu’Egalité et Réconciliation s’en était servi comme image d’illustration.
Je n’étais manifestement pas le seul à m’inquiéter que le parti des joyeux retraités envisage le plus sereinement du monde d’envoyer leurs enfants et petits-enfants au front et encourage l’escalade d’un conflit entre puissances nucléaires. En tant que père, cette idée de voir dans ses descendants de la chair à canon disponible me paraît tellement grotesque que c’en est devenu un thème récurrent.
Alors que certains tentent de banaliser la guerre, d’inscrire peu à peu dans les esprits qu’elle est inéluctable, je me plais à saper leur entreprise en l’affichant simplement de manière cru et grossière.
Quel regard portes-tu sur la propagande du régime et ses relais, médiatiques entre autres ? Que faire pour la démasquer, s’en protéger et la combattre ?
La disparition de l’indépendance des grands médias à mesure qu’ils se concentrent entre quelques mains est un sujet dénoncé depuis longtemps par des ONG [Ndlr : et plus largement les citoyens, cf. les mobilisations de VigiMédias à Paris]. Il est courant dans la presse professionnelle de monnayer des propos flatteurs. Je doute que la presse grand public s’en prive. Nombre d’articles se contentent par ailleurs de recopier des communiqués officiels pour suivre le rythme de l’actualité, sans prendre le temps du recul et de la critique.
La propagande repose sur la simplicité et la répétition. Une expression, un élément de langage nouveau et repris comme une traînée de poudre doit forcément éveiller l’attention. Si en plus un fact-checker assermenté vous explique dans la foulée qu’il est malvenu de se méfier, l’anguille sous roche est d’un bon calibre.
Face à cela, la dérision est à mon sens la meilleure arme. D’une part parce que la censure peine à l’atteindre. Comment interdire à quelqu’un de reprendre vos propos en forçant bêtement le trait ? D’autre part parce qu’on n’est pas à l’abri que des militants bas de plafond du camp adverse la diffusent sans en percevoir l’ironie. Néanmoins, cela reste à double-tranchant : il n’est pas rare de se faire insulter par ceux de son bord qui peinent à saisir le sarcasme.
Nous sommes nombreux à promouvoir, à titre individuel ou collectif, des valeurs humanistes, de justice, de souveraineté, d’autonomie. Quel est ton regard sur ces initiatives et quelles sont tes aspirations ?
Je ne m’y intéresse pas vraiment, je suis là pour lancer ma carrière d’influenceur et ainsi faire les poches aux gogos en leur refourguant des produits minables en dropshipping …euh non, attendez, ne publiez pas ça, c’est trop tôt !
Je soutiens évidemment à ma très modeste échelle ces initiatives. J’ai été approché par une association de gilets jaunes lorrains (association 3R) qui voulaient exposer mes affiches pour décorer leur stand et interpeller les passants dans une démarche pacifiste. J’ai évidemment donné mon accord et depuis il reproduisent leur action environ un samedi sur deux, principalement place Kléber à Strasbourg.
Les valeurs que vous citez n’ont manifestement pas leur place sur les médias mainstream, leur diffusion par des voies alternatives est donc essentielle. Je suis ouvert à toute proposition de collaboration. On avance toujours plus vite ensemble, en conjuguant nos compétences.
Il n’y a pas que tes affiches et ton activité sur Twitter qui nous font rire. Parle-nous un peu de tes clips visibles sur Youtube (http://www.youtube.com/@Urticaprod), mettant notamment en scène des boomers friqués et donneurs de leçons…
Il y a d’abord eu “NFM Gang” (pour No Fake Med), au départ un simple “meme” pour railler les zététiciens auto-proclamés qui tentaient de jouer les “caïds” quand Booba a pris la défense de Didier Raoult. J’ai poussé la parodie en transformant l’image en pochette d’album de rap avec une tracklist pleine de jeux de mots lourdingues, pour enfin donner vie à ce rap sanitaire grâce à la magie de l’IA musicale.
A mesure que je rendais les morceaux plus rythmés et dansables, j’ai décidé de partir sur un concept ouvertement house pour m’attaquer à une autre cible avec Boomer Party.
Le premier titre “Mourir Pour Macron” (visuel fourni par le compte Vaxpourmacron) a eu, comme ma première affiche, un petit succès que je n’attendais pas [Ndlr : le clip cumule aujourd’hui 19 000 vues]. C’est un condensé du concept “OK boomer”, en un peu plus méchant. Pour l’anecdote, cette chanson est inspirée d’un détournement du célèbre “Hexagone” de Renaud, que j’avais écrit pour amuser des amis. J’y retournais le procès qu’il faisait du “peuple de France” en procès de sa vie et de la génération de mai 68. Ces petites créations touchent sans doute un public différent de celui des affiches, c’est bien.
Tu as eu la gentillesse de nous accorder cette interview pendant ta pause estivale, et nous t’en remercions chaleureusement. Pour terminer, peux-tu nous confier tes projets pour la rentrée ?
Le digital commençant à empiéter un peu trop sur ma vie, j’ai pris c’est vrai la décision radicale de tout mettre en pause au mois d’août pour redonner la priorité à d’autres projets « dans la vie réelle », mais la reprise est prévue à la rentrée.
En tout cas, c’était un plaisir d’échanger ! Même si nous ne sommes pas sur les mêmes actions, il y a une synergie qui est vraiment plaisante, ça permet de créer des liens, et pourquoi pas d’envisager des collaborations.
En ce qui concerne mes projets, le compte twitter Poussah Luisant a entrepris de passer mes visuels en mode amélioré et haute définition. Il voulait pouvoir les imprimer en grand format malgré leur faible résolution. Si ça fonctionne, il y aurait la possibilité de proposer des impressions, voire un book, j’aimerais vraiment que mon travail se retrouve sur un support physique. Je dois prendre le temps d’y réfléchir et voir s’il y a un public.
J’ai aussi démarré l’écriture d’un manuel de management inspiré par les méthodes de Prisca Thevenot et la crème du bullshit LinkedIn que j’aimerais pouvoir finir…
Après sa pause numérique du moment, Urtica est donc revenu le 1er septembre. Le rythme de ses publications sera sans doute moins soutenu qu’au temps des élections. Ses affiches, comme ses clips d’ailleurs, ont trouvé leur public et vont continuer de nous faire rigoler de l’actualité, mais elles pourraient aussi devenir un formidable outil de communication, comme les Gilets Jaunes Lorrains l’ont bien compris.
Quoiqu’il en soit, voici la rentrée et le plaisir de découvrir ou de retrouver de nouvelles créations urticantes !
Propos recueillis par Par Antoine L. et Elisa Berté
Source : L’Echo des boucles
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