La Lituanie et le Québec

La Lituanie et le Québec

La Lituanie est un petit pays de moins de 3 millions d’habitants, qui est démocratique et dont le niveau de développement est élevé. Elle a été dominée par ses voisins, la Pologne et la Russie, pendant plusieurs siècles, et convoitée par l’Allemagne. La Russie menace toujours son existence. Elle a retrouvé son indépendance en 1920, puis elle a été occupée par l’Union soviétique jusqu’à la dissolution de celle-ci en 1991.

Les Lituaniens n’ont jamais renoncé à leur droit à l’autodétermination et n’ont jamais cessé de rêver de la souveraineté. Ils ont agi au moment historique qui leur donnait l’occasion de la réaliser. Ils ont surmonté de grandes injustices et de nombreuses tragédies causées par des États plus puissants.  

Voici ce qu’écrivait un intellectuel lituanien au début de la première guerre mondiale, qui allait conduire à la révolution russe de 1917 qui a permis l’apparition de nouveaux États, tels que la Finlande, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie:

« Par notre culture acquise en dépit de tous les obstacles, nous croyons être dignes des libertés et des droits de l’homme; et nous sommes persuadés que notre individualité nationale sera capable d’apporter une note précieuse dans l’harmonie des peuples et des civilisations. »

C’est précisément ce que je pense du Québec.

Cette citation est tirée d’une lettre publiée par le Journal de Genève du 10 octobre 1914, et dont un extrait a été repris dans Romain Rolland, Au-dessus de la mêlée, nouvelle édition 2023, Éditions Payot et Rivages, p. 97.

Dans les dernières années, la première ministre de l’Estonie, un autre des trois États baltes au parcours semblable, s’est distinguée par son soutien sans faille à l’Ukraine. Elle deviendra dans les prochaines semaines la nouvelle ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne. Ces petits États jouissent d’une influence diplomatique et morale et sont devenus membres de l’OTAN, ce qui fait que le Canada s’est engagé à contribuer à leur défense.  

Ces cas démontrent qu’il faut souvent un ébranlement du monde, et de l’ordre politique mondial, pour voir apparaître de nouveaux États. Je crois qu’un tel ébranlement du monde est en train de commencer, et qu’il s’amplifiera dans les prochaines années.

La souveraineté du Québec n’est pas pour moi une affaire interne canadienne. Elle est liée à l’état du monde, comme tous les temps forts de l’histoire du Québec et du Canada depuis 1534.

Les souverainistes québécois ont souvent commis l’erreur de penser le Québec en vase clos, et certains le font encore. La lutte des Patriotes en 1837 s’inscrit dans le contexte des guerres d’indépendance de la Grèce et de l’Amérique latine, de même que la création de la Belgique, dans les années 1820. L’apparition du mouvement souverainiste moderne au Québec jusqu’au premier référendum est liée aux multiples mouvements de libération nationale du Tiers-Monde. Le référendum de 1995 a eu lieu en même temps que la fondation de nombreux États issus du démantèlement de l’URSS, dont l’Ukraine.

Il est inconcevable pour moi que la souveraineté du Québec ait lieu dans une période de tranquillité et de stabilité mondiale parce que le statut provincial du Québec fait partie d’un certain ordre du monde. Cet ordre du monde a été façonné largement par l’empire britannique qui a créé le Canada, et il s’est prolongé tout en étant modifié sous la domination américaine. Ce système politique mondial entre maintenant de toute évidence dans une période de crise qui peut conduire à une transformation profonde.  

Ouvrons-nous les yeux. Des conflits majeurs en Europe de l’Est et au Moyen-Orient ne cessent de s’amplifier. La Chine a annoncé que la question de Taiwan doit être réglée, par la force si l’intimidation ne fonctionne pas, d’ici 2027. Les cartes planétaires sont à la veille d’être redistribuées quelle que soit la prochaine présidente des États-Unis.

Dans la foulée des deux guerres mondiales, des dizaines de nouveaux États sont apparus, en Europe après la première, partout ailleurs après la deuxième.  En 1945, les nouvelles puissances dominantes, les États-Unis et l’Union soviétique, n’étaient pas favorables au maintien des empires coloniaux du Royaume-Uni et de la France. Il a fallu quelques décennies pour les liquider en quasi-totalité.  

Tout cela faisait partie d’un nouvel ordre mondial. L’erreur est de croire qu’un tel agencement peut durer sans fin. Sur le long terme, tous les ordres politiques du monde ont été temporaires. Quelle différence entre le monde en 1914 et celui dix ans plus tard, ou entre ceux de 1939 et de 1945.

Nul ne souhaite un troisième conflit mondial parce que les risques sont trop grands pour toute forme de vie, et les pertes humaines et environnementales pourraient être irrécupérables. Cependant, il faut reconnaître froidement que de tels conflits majeurs ont entraîné des conséquences bénéfiques pour de nombreux petits peuples de la Terre, qui ont pu accéder à de nouvelles possibilités. Il n’est pas nécessaire que ces peuples y prennent part pour pouvoir bénéficier de leurs nombreuses retombées.

L’Islande, par exemple, est devenue souveraine pacifiquement en 1918 et a rompu unilatéralement avec la monarchie danoise en devenant une république en 1944 sans participer directement aux deux guerres mondiales. Il n’est pas question pour elle de renoncer à son indépendance aujourd’hui, car c’est un autre petit État occidental à la qualité de vie et au régime démocratique enviables. Il pourrait en être ainsi du Québec.  

Je conserve assez de foi en l’humanité pour considérer que les grandes puissances ne sont pas assez irrationnelles pour précipiter l’humanité dans une apocalypse nucléaire. L’humanité est toutefois assez déréglée pour se faire très peur et se faire souffrir à grande échelle. Elle pourrait encore une fois défaire le monde pour mieux le reconstruire.

L’important pour le peuple québécois n’est pas d’avoir les armes à la main, mais de saisir politiquement les occasions historiques favorables lorsqu’elles se présentent exceptionnellement. Il faut cesser de morigéner le Canada, et plutôt regarder l’état du monde dont il dépend.  Ce pays n’a manifestement pas les moyens de défendre son vaste archipel inhabité du cercle polaire, une zone qui est devenue stratégique au 21e siècle en raison de la fonte des glaces. Le monde de 1945 survit péniblement et pourrait bientôt disparaître même si nous ne le souhaitons pas.

Le pays du Québec peut émerger avec le prochain monde qui viendra.  

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