La perte d’indépendance de la France conduit à un constat parfois formulé en ces termes dans le débat dissident : la France est une colonie américaine et/ou une colonie israélienne. Au sein de la droite, on entend davantage que la France est devenue « la colonie de ses colonies ». Ce terme de colonie peut-il être sérieusement employé ? Faut-il regarder le phénomène par le haut ou par le bas ? Si l’on mobilise la notion de « situation coloniale », il est possible de mettre en évidence des caractéristiques de colonisation dans la France d’aujourd’hui, non pas dans le sens d’une rigoureuse comparaison historique entre les sociétés coloniales des XIXe et XXe siècles (sans remonter à la période de la traite négrière) et la France de l’après-guerre mais plutôt dans le sens de la continuité et des évolutions d’une situation coloniale qui fournit à ceux qui la mettent en place et l’entretiennent des outils commodes de domination.
I) Nommer la colonisation
Qu’est-ce qu’une situation coloniale ?
L’expression a été forgée en 1951 par le sociologue Georges Balandier qui, à la faveur de ces années passées à Dakar puis à Brazzaville, met en évidence dans les Cahiers internationaux de sociologie comment la colonisation s’organise autour d’une « majorité numérique » (c’est-à-dire les colonisés) placée dans une situation de « minorité sociologique » tandis qu’une « minorité numérique », qu’il nomme « société coloniale » exerce une domination complète sur la société autochtone [1]. Les historiens de la colonisation se sont emparés de ce concept tout en évitant d’aborder la situation coloniale comme une opposition de deux monolithes, colonisateurs d’un côté et colonisés de l’autre, car les deux blocs ne sont pas hermétiques et l’usage de la violence coloniale ne permettait pas seule d’expliquer la permanence de la colonisation sur des décennies, voire des siècles, comme ce fut le cas pour le Sénégal par exemple. Aussi, des travaux historiques ont emprunté la notion d’« accommodement » qui permettait de décrire la manière dont les Français se sont adaptés à la présence de l’occupant allemand durant la Seconde Guerre mondiale. À partir des années 1990-2000, des historiens britanniques ont poussé l’analyse jusqu’à un renversement de perspective, en décrivant les nations européennes colonisatrices sous l’influence de leur empire colonial. Pour l’empire français, c’est l’historien Pascal Blanchard qui saisit la balle au bond et publie en 2003 avec plusieurs autres auteurs, une série au titre évocateur : Culture coloniale. La France conquise par son empire 1871-1931.
À rebours de la vision repentante qui marque l’historiographie de la colonisation depuis les années 1950, Bernard Lugan publie en 2022, alors qu’il est conseiller pour les questions africaines auprès du candidat à la présidentielle Éric Zemmour, un ouvrage intitulé Colonisation, l’histoire à l’endroit : Comment la France est devenue la colonie de ses colonies.
À l’instar de ce qu’avait déjà démontré Jacques Marseille dès 1984, Bernard Lugan insiste sur le fait que le contribuable français a largement subi le coût d’une politique coloniale qui maintenait sous perfusion des secteurs économiques en perte de vitesse, tandis que l’industrie d’avenir était délaissée. Ainsi, en 1959, l’Algérie représentait 20 % du budget français, soit plus que « les budgets additionnés de l’Éducation nationale, des Travaux publics, des Transports, de la Reconstruction et du Logement, de l’Industrie et du Commerce. […] La mise en valeur de l’Empire africain fut donc totalement supportée par l’épargne des Français et les sommes considérables qui y furent investies, retirées du capital disponible métropolitain afin de financer outre-mer des infrastructures pourtant nécessaires en France » [2].
Reprenant la formule du député radical Édouard Herriot prononcée en 1946 à la tribune de l’Assemblée nationale, Lugan dénonce la déferlante migratoire qui fait de la France la « colonie de ses colonies ». Il veut ainsi démontrer que, premièrement, le peuple français a subi la politique coloniale qui allait contre ses intérêts et, deuxièmement, que ce même peuple, considéré comme responsable des injustices et violences supportées par les colonisés dans le contexte de la situation coloniale, est sommé d’accepter une contre-colonisation afin de payer le prix de l’épisode impérial français en Afrique, puisque c’est principalement de ce continent qu’il est question.
Justifier la colonisation
Le terme de colonie est utilisé sans complexe jusqu’au début du XXe siècle. Le terme renvoie à l’épopée de la colonisation grecque qui a contribué à la diffusion de la civilisation hellénistique. Le discours colonial français, à l’inverse du monde britannique, insiste sur la « mission civilisatrice » de la colonisation envers des populations jugées en retard sur la marche du progrès portée par la civilisation européenne. Cependant, l’élite républicaine qui promeut la colonisation, ceux que l’on appelle les colonialistes, se voit contrainte d’apporter une justification nouvelle à ce projet civilisateur au sortir de la Première Guerre mondiale. Le tournant discursif est pris en main par la puissance montante : les États-Unis d’Amérique. Le président Woodrow Wilson impose dans une large mesure sa patte sur les conditions du traité de Versailles de 1919 comme sur les statuts de la Société des Nations (SDN) créée par ce même traité. Le régime juridique du « mandat » est mis sur pied afin d’administrer 14 territoires, situés au Proche-Orient, en Afrique et dans le Pacifique, anciennes possessions des puissances vaincues de la Grande Guerre (Empires allemand, austro-hongrois et ottoman). Wilson voit dans le mandat un moyen de mettre fin à l’expansion coloniale de l’Europe. Les statuts de la SDN évoquent en particulier le rôle de « tutelle » (en anglais trusteeship) que la France et la Grande-Bretagne doivent exercer sur les populations des territoires concernés (Syrie, Irak, Liban, Togo, Cameroun…), s’engageant à assurer le bien-être matériel et moral des peuples mis sous tutelle afin de les mener progressivement à l’indépendance. Il faut ici noter que le mandat britannique sur la Palestine fut gratifié d’un régime spécial, à savoir qu’il ne prévoyait pas d’accorder à terme une indépendance du peuple palestinien, mais engageait le mandataire – la Grande-Bretagne – à « placer le pays dans des conditions politiques, administratives et économiques qui permettront l’établissement d’un foyer national juif et le développement d’institutions d’auto-gouvernement », et à « faciliter l’immigration juive et encourager l’installation des juifs » en Palestine [3].
En 1945, la Charte des Nations unies abandonne le terme de tutelle et met en lumière celui de développement. La France met d’ailleurs en place en 1946 le FIDES, le Fonds d’investissement pour le développement économique et social, afin de moderniser ses territoires coloniaux, en particulier l’Afrique noire et Madagascar.
Aujourd’hui, si l’on se place dans la perspective d’observer une situation coloniale qui perdure, sous des formes renouvelées, on constatera que c’est le mot de « transition » qui remplace celui de développement et qui tend à justifier l’emprise d’un empire colonial aux prétentions universelles.
En terrain conquis
Les sociétés coloniales telles qu’elles ont été analysées par les historiens supposent une origine fondée sur la conquête militaire d’un territoire qui ouvre la voie aux spoliations foncières et à la nécessaire « mise en valeur » du territoire. Cette nécessité s’appuie sur la notion de terra nullius utilisée dès le XVIIe siècle pour désigner les terres inoccupées. Parmi les théoriciens du droit international, citons John Locke qui, en 1690, expliquait qu’il est légal de s’emparer des terres pourtant occupées par des populations dès l’instant où ces dernières ne sont pas capables d’en faire le « meilleur usage » [4]. La terra nullius est donc devenue par extension la terre non cultivée puis la terre non cultivée selon les critères de l’agriculture européenne. On retrouve cette justification, forgée à l’origine dans le monde colonial protestant, dans la célèbre formule « une terre sans peuple pour un peuple sans terre » qui servit à justifier, en puisant dans le « droit international », l’installation du foyer national juif en Palestine.
Si l’on parle de « situation coloniale » pour le territoire français au XXIe siècle, il faudrait donc qu’il y ait eu, au commencement, une conquête de la part d’une puissance étrangère qui se serait en conséquence emparée des terres fertiles de l’Hexagone. Évidemment, cette conquête par les armes n’existe pas. L’occupation allemande à partir de juin 1940 a bien donné lieu à un projet de colonisation dans la zone interdite, et notamment dans les Ardennes, avec la mise en place de la WOL (Wirtschaftsoberleitung, ou direction générale des affaires économiques) qui visait à la mise en place d’une agriculture productiviste au service de l’économie de guerre allemande en réquisitionnant 50 % des terres du département.
L’effondrement du IIIe Reich, essentiellement dû à la pression gigantesque exercée par l’Armée rouge, ouvre la voie à un monde bipolaire séparé en deux blocs. Si les Anglo-Américains avaient envisagé la mise sous tutelle de la France avec l’AMGOT (Gouvernement militaire allié des territoires occupés), Roosevelt fut néanmoins contraint de reconnaître, le 23 octobre 1944, le GPRF (Gouvernement provisoire de la République française) du général de Gaulle.
Le plan d’occupation de l’Allemagne par les États-Unis était initialement beaucoup plus radical. À l’issue de la seconde conférence de Québec en septembre 1944, Roosevelt et Churchill s’interrogent sur la mise en place du projet Morgenthau, « un programme d’élimination des industries d’armement dans la Ruhr et la Sarre en vue de transformer l’Allemagne en un pays à caractère essentiellement agricole et pastoral ». Henry Morgenthau est alors secrétaire du Trésor des États-Unis. Issu d’une famille d’immigrés juifs allemands, il est bien décidé à faire payer le peuple allemand. Néanmoins, son plan est ouvertement critiqué par le secrétaire à la guerre, Henry Stimson qui y voit un « sémitisme sauvage en quête de vengeance » et surtout par le ministre des Affaires étrangères Cordell Hull qui considèrent que le plan Morgenthau conduirait à la mort par famine plus de 40 % de la population allemande. Hull estime, et la mise en place du plan Marshall montrera le succès de ses idées, qu’il faut au contraire américaniser l’Allemagne en détruisant son autarcie et l’intégrer, donc la rendre dépendante, aux marchés mondiaux [5].
C’est le sort qu’a également subi la France et en ce sens, le rapport de domination qui s’établit entre l’Hexagone et les États-Unis relève plutôt du protectorat, comme ont pu l’être le Maroc et la Tunisie, puisque les Américains ont laissé les institutions politiques en place. Par ailleurs, ils n’ont pas spolié les terres, pas plus qu’ils n’ont cherché à installer des colons en France. Il n’y a donc pas de colonisation au sens propre du terme au sortir de la Seconde Guerre mondiale. En revanche, par le biais du soft power, la pénétration massive de la culture américaine (Hollywood) et du consumérisme (Coca-Cola) qui lui est consubstantiel, les Français se sont progressivement mis à l’heure yankee. Il est symptomatique de constater aujourd’hui que l’expression « ingérence américaine » est pensée comme un oxymore par la classe politico-médiatique, tandis que celle d’ingérence russe paraît être un pléonasme. Cela parce que le « grand frère » américain jouit d’un capital sympathie construit pendant plus d’un demi-siècle par une propagande omniprésente. Le Français croit être un membre de la famille américaine apprécié et choyé. C’est sur ce terrain conquis des mentalités que peut se déployer une mécanique coloniale.
II La mécanique coloniale
Minorité causale et racisme fondateur
La situation coloniale emprunte largement au vocable du paternalisme et de la famille. Ainsi, lorsque le premier président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, proclame l’indépendance de son pays en 1960, il explique que les Ivoiriens sont « devenus majeurs » et qu’ils peuvent désormais « quitter la famille française », non sans « regrets de part et d’autre » [6]. La domination coloniale reposait en grande partie sur l’idée d’une minorité des peuples colonisés, incapables de prendre en main leur destin seuls. Ainsi, Georges Balandier définissait la situation coloniale comme « la domination imposée par une minorité étrangère, racialement (ou ethniquement) et culturellement différente au nom d’une supériorité raciale (ou ethnique) et culturelle dogmatiquement affirmée, à une majorité autochtone matériellement inférieure » [7].
La population française d’aujourd’hui connaît cette minorité au niveau de ses libertés politiques, à savoir que le vote est strictement encadré par un discours politique et médiatique parfaitement huilé et qui se réfère à un péché originel du peuple français : la collaboration et la révolution nationale. Présentée comme le dernier avatar de la réaction antirépublicaine depuis la fin de l’Ancien Régime, elle s’inscrit dans une chronologie de la « faute française » comprenant notamment l’affaire Dreyfus, les ligues, la crise du 6 février 1934 …
La publication en 1973 de l’essai historique de Robert Paxton, La France de Vichy, 1940-1944, aux éditions du Seuil (éditions engagées en faveur de la décolonisation et qui publient des auteurs comme Frantz Fanon ou Édouard Glissant) marque un tournant, pas seulement historiographique mais également politique, dans la prise en compte du passé collaborationniste de la France. L’ouvrage est alors préfacé par Stanley Hoffmann, un français d’origine juive hongroise, professeur de Sciences politiques à l’université de Harvard aux États-Unis qu’il rejoint en 1955 et où il fréquente notamment Henry Kissinger. Stanley Hoffman est surtout le fondateur, en 1976, de la French-American Foundation qui fournit depuis lors les fameux Young Leaders si nécessaires au soft power américain. Il faut donc comprendre que l’œuvre de Robert Paxton, qui est une commande du pouvoir profond américain, est destinée à ancrer dans la France de la fin des Trente Glorieuses qu’elle porte en elle une faute pour laquelle elle n’a pas suffisamment payé. En 1976, Jacques Chirac, alors Premier ministre de Giscard, signe le décret du regroupement familial. C’est le même Chirac qui, fraîchement élu président de la République, s’empressa de reconnaître la responsabilité de la France dans la déportation des juifs de France lors des commémorations de la Rafle du Vel’ d’Hiv’ le 16 juillet 1995, reconnaissance que François Mitterrand avait toujours refusée.
Cette période de la fin des années 1970 et du début des années 1980 constitue un tournant politique, économique et social : sous prétexte de combattre et d’éliminer le racisme qui était à la fois le socle des sociétés coloniales et la cause de la « faute française » de la collaboration et de la révolution nationale, le terme se charge d’une valeur totalisante et inonde le discours politique, accompagné du monde de la culture qui dispose dès lors d’un véritable monopole du pathos au service de la lutte contre le racisme. Le peuple français autochtone, blanc, le « beauf » (personnage inventé par Cabu en 1972) est progressivement circonscrit par un discours d’abord méfiant, puis accusateur avant d’être finalement agressif.
La ramure du système colonial
On peut distinguer trois grands étages dans la fusée coloniale : tout d’abord, et tout en haut, les « colonialistes », c’est-à-dire les penseurs, les idéologues de la colonisation. Le terme de colonialiste n’apparaît qu’aux alentours des années 1830, après la conquête de la régence d’Alger lancée par Charles X. C’est à partir des années 1870 que le lobby colonialiste trouve sa pleine expression. Si l’entreprise coloniale est calquée sur le modèle anglo-saxon, puisque les colonialistes rêvent d’une « France plus grande », traduisant ainsi la formule du colonialiste britannique Charles Dilke (1843-1911), Greater Britain, elle correspond également à la transition du capitalisme vers son stade financier. La bourgeoisie britannique, repue jusqu’à la lie de revenus surabondants, trouve dans l’épopée coloniale, comme le suggère l’économiste John A. Hobson en 1902, un bon placement pour son capital. Jules Ferry, qui présente la colonisation comme la « fille de l’industrialisation » [8] invite également les décideurs à détourner le regard de la « ligne bleue des Vosges » et donc de l’esprit de revanche envers l’Allemagne qui avait dépossédé la France de l’Alsace-Moselle en 1870, et de se tourner vers les vastes territoires à conquérir, notamment africains. En plus de Jules Ferry, on peut compter, parmi les principaux colonialistes français, Eugène Étienne, député d’Oran en 1882 et fidèle disciple de Gambetta, des explorateurs comme Paul Crampel ou Gabriel Bonvalot qui financent leurs expéditions grâce à des donateurs privés, tel le banquier philanthrope Edmond de Rothschild, le même qui finança l’action de l’agent provocateur appelé Tournadre lors des grèves ouvrières de Carmaux en 1892.
Au deuxième étage de la fusée coloniale, les « coloniaux », militaires et administrateurs chargés par le pouvoir de l’édification et de la gestion de l’empire colonial. Cela regroupe les personnages les plus célèbres (Faidherbe, Gallieni, Lyautey) comme les plus anonymes, tous au service de la machinerie coloniale.
Enfin, au premier étage, tout en bas, les colons, issus de la paysannerie et des classes populaires. Ceux-ci quittent souvent leur pays pour ne jamais y revenir afin d’exploiter une terre donnée par la métropole ou à la recherche d’un métier prometteur.
On peut trouver une organisation similaire dans la structure qui produit une situation coloniale dans la France d’aujourd’hui. En guise de « colonialistes », des idéologues mus par une vision aussi irénique en apparence que destructrice en réalité. On nommera ainsi le lobbyiste états-unien d’origine juive hongroise George Soros et son Open Society, actif notamment au sein du Forum économique mondiale de Klaus Schwab. En France, Alain Minc et sa « mondialisation heureuse » ou Jacques Attali, né à Alger en 1943, qui voit la France comme un « hôtel » et qui murmure à l’oreille des hommes politiques français depuis les années 1980.
La fondation en 1984 de l’association SOS Racisme par d’anciens trotskistes passés au Parti socialiste comme Julien Dray, né à Oran en 1955 dans une famille juive séfarade et par Harlem Désir né en 1959 d’un père martiniquais communiste et militant anticolonialiste et d’une mère d’origine juive contribue à délégitimer toutes les revendications des Français « autochtones », à l’époque cristallisées autour de la figure de Jean-Marie Le Pen et du Front national. La question des limites de l’immigration, pourtant posée ouvertement par le Parti communiste de Georges Marchais en 1981, est marquée du sceau de l’interdit.
Cette idéologie « immigrationniste », relayée en France, de manière paradoxale, par des personnes qui s’avèrent être de farouches nationalistes sur la question d’Israël, tels le « philosophe » Bernard-Henri Lévy ou le déjà cité Julien Dray qui a quitté les babouches ostentatoires de l’anti-racisme pour se draper dans un nationalisme israélien des plus revendicatifs, est mis en application par des agents, similaires aux coloniaux définis plus haut, mais auxquels il faudrait retrancher désormais la composante militaire au profit de la catégorie politico-médiatique (parlementaires et journalistes), qui jouent un rôle de premier plan dans la construction du citoyen-castor et dans l’usage ambigu au sein de la population du sentiment du « colonisé ».
Enfin le colon. Lorsque Édouard Herriot, député radical-socialiste, s’inquiète en août 1946 à l’Assemblée nationale de voir la France devenir la « colonie de ses colonies », c’est parce qu’il s’oppose à l’égalité des droits politiques pour les populations coloniales dans le cadre de l’Union française, vaste projet visant à dépoussiérer l’Empire colonial français après la participation déterminante des colonies dans la construction de la France libre. Dans l’entre-deux-guerres, cet empire atteint son apogée et rassemble plus de 65 millions d’habitants sur une surface de 12 millions de kilomètres carrés. Pour Herriot, la population française qui dépassait à peine les 40 millions d’habitants risquait d’être noyée dans un ensemble hétéroclite et perdrait ainsi sa souveraineté politique. Mais il n’envisage pas les populations colonisées comme de potentiels colonisateurs de la métropole. Celui que l’on désigne aujourd’hui par le terme générique de « migrant » n’est pas un colon au sens étymologique du terme. En effet, en latin, le mot colonus désigne le cultivateur, le fermier, celui qui met en valeur la terra nullius que nous avons définie plus haut. Cependant, si ces migrants ne sont pas envoyés à proprement parler par leur pays avec un objectif politique de prise de possession d’un territoire, il existe néanmoins des organisations internationales qui donnent un cadre à ces migrations et même un objectif. Ainsi, le pacte dit de Marrakech adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 19 décembre 2018 demande aux autorités nationales de « créer des conditions favorables qui permettent à tous les migrants d’enrichir nos sociétés grâce à leurs capacités humaines, économiques et sociales » [9].
D’une manière générale, le migrant est, comme le colon, issu des classes populaires. Néanmoins, du point de vue des organisations mondialistes, il n’a pas vocation à prendre possession d’un territoire mais davantage à participer au métissage d’un peuple autochtone. Plutôt qu’un colon, il est destiné à être et à rester un déraciné, c’est-à-dire qu’il participe, sans en être conscient, à briser l’autarcie et l’indépendance des peuples.
Cette triade – mondialistes, mondialisés, déracinés – qui répond à la première – colonialistes, coloniaux, colons – est un marqueur important de la situation coloniale.
Le deux poids, deux mesures
L’un des éléments caractéristiques des sociétés coloniales dans l’Empire français était un ensemble juridique finalement assez flou que l’on rassemble sous le terme de code de l’indigénat. Les Européens présents dans les colonies disposaient bien sûr de la citoyenneté française tandis que les indigènes étaient des sujets français et conservaient ainsi un « statut personnel ». Dans les protectorats (Maroc et Tunisie), les indigènes étaient sujets de leur État puisque la nationalité locale avait été maintenue par les colonisateurs français.
En théorie, la République française prônait l’assimilation des colonisés. En réalité, les sociétés coloniales maintenaient en permanence une distance, juridique, politique, sociale, spatiale, culturelle. Le droit et la justice coloniale n’étaient pas forgés par le pouvoir législatif mais par le pouvoir exécutif et les coloniaux, que nous avons défini précédemment, jouaient le rôle d’administrateur et de juge.
S’il n’existe pas de telles distinctions dans la France d’aujourd’hui, il est néanmoins frappant de constater la tendance manifeste des autorités politiques, obéissant à des directives européennes elles-mêmes calquées sur les intérêts de la finance internationale, à gouverner par décret en s’affranchissant du pouvoir législatif, si faible soit-il. L’importance croissante de la justice administrative dans la séquence que vit la France depuis la mise en place de régimes d’exception (État d’urgence de 2015 à 2017, État d’urgence sanitaire) participe de l’écart progressivement creusé entre les gouvernants et la population, et voit l’État de droit se réduire comme peau de chagrin. La validation par les plus hautes autorités administratives (Conseil d’État, Conseil constitutionnel) des infractions caractérisées aux lois les plus essentielles a mis en évidence une barrière. L’exemple des policiers et des parlementaires exemptés du passe sanitaire est particulièrement parlant, le pouvoir s’assurant ainsi la fidélité de ses « administrateurs » aux dépens d’une population qu’il convient à la fois de mettre à distance et dont il faut canaliser les revendications.
On trouve également un élément significatif dans la situation coloniale : la censure de la presse « indigène ». Afin de l’encadrer, les pouvoirs coloniaux subventionnaient la presse et encourageaient même la création de nouveaux titres. Aussi, pour pouvoir exprimer ses revendications, le mouvement malgache qui réclame dans les années 1920 la fin du dualisme juridique colonial, se tourne vers les journaux français puisqu’à l’inverse des titres locaux, c’est-à-dire indigènes, ils bénéficient de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Si la situation de la presse aujourd’hui est sans commune mesure avec celle de la première moitié du XXe siècle, notamment en raison du développement des réseaux sociaux, la presse française est apparue à de nombreuses reprises moins libre que dans d’autres pays qui étaient pourtant concernés au premier chef par les sujets censurés. En témoigne la posture de la presse subventionnée française qui, le doigt sur la couture du pantalon, se montre plus frileuse que la presse d’outre-Atlantique, sur la question de la version officielle du 11 Septembre, sur le sort des dissidents comme Julian Assange, sur la destruction du Nord Stream II, sur le rôle de l’OTAN… Plus manifeste encore est l’alignement rigoriste de la presse française sur une version israélienne officielle des attaques du 7 octobre 2023, alors que la presse israélienne elle-même, en particulier le journal de centre-gauche Haaretz, mettait en évidence l’implication de Tsahal dans les tirs qui ont causé des victimes civiles israéliennes. La presse française, muselée par ses propriétaires, se contente de commenter ce qu’elle ne peut dissimuler tout en martelant la thèse officielle d’un État pourtant étranger.
Enfin, dans ce deux poids, deux mesures, on peut voir la constitution progressive d’un droit communautaire ou, pour reprendre la critique telle qu’elle est formulée par les juristes, de lois obéissant à une « logique communautariste » [10].
Les lois en question prennent pour socle la fameuse « faute française » que nous avons évoquée et correspondent à la vision d’une démocratie des minorités, pour les minorités, par les minorités. Les lois mémorielles, dont la première et la principale est la loi Gayssot du 16 juillet 1990, répondent à ce schéma. Elles s’opposent au principe de légalité du code pénal (article 111-3) et constituent la base d’un droit communautaire qui permet de réprimer de manière élargie toute critique sérieuse du pouvoir profond.
III. Colonisation, décolonisation, « transcolonisation »
Rupture ou continuité historique ?
L’accélération de la conquête coloniale à partir des années 1870, que l’on nomme la « course au clocher », ou Scramble for Africa chez les Anglais – puisque c’est essentiellement sur ce continent que les puissances européennes se coudoyaient et parfois même s’affrontaient (Fachoda en 1898 ou le coup d’Agadir en 1911) –, était pensée par les hommes politiques de la IIIe République comme la continuation de la Révolution française. À l’instar des conquêtes de la Convention puis de celle du Ier Empire, diffusant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et le Code civil dans l’Europe monarchique, la colonisation devait, en lien avec sa mission civilisatrice, propager l’égalité et la liberté républicaines chez des populations considérées comme primitives ou en retard.
Les premiers véritables mouvements de contestation de la colonisation apparaissent dans l’entre-deux-guerres, alors que de nombreux colonisés ont connu l’expérience combattante et que ceux que les autorités coloniales nomment les « évolués » c’est-à-dire les indigènes ayant suivi un cursus scolaire et universitaire, émettent des critiques de la société coloniale fondées sur le droit en s’appuyant sur la formation républicaine qu’ils ont acquise. Le mouvement de décolonisation qui s’amorce en 1947 pour se terminer globalement avec les accords d’Évian en 1962 est la conséquence de trois grands processus historiques : l’affaiblissement des puissances européennes après les deux conflits mondiaux, la constitution d’un mouvement indépendantiste disposant de bases idéologiques solides et la volonté des deux hyperpuissances d’après-guerre, les États-Unis et l’URSS, de mettre un terme aux empires coloniaux européens afin d’étendre leurs aires d’influences respectives.
Cependant, la phase de décolonisation ne correspond pas à une période d’indépendances des anciennes colonies. Au-delà même de la Françafrique, les accords de Bretton Woods en 1944 s’appuyaient sur ce que Keynes appelait les « deux sœurs jumelles », le FMI et la Banque mondiale. La première était chargée d’accorder des crédits à court terme, l’autre à long terme. Sous couvert du développement, les États-Unis asseyaient leur domination économique grâce à une nouvelle forme de domination.
En 1956, Jean-Paul Sartre met en garde contre la « mystification néo-colonialiste » [11]. Alors qu’au départ ce néologisme faisait référence aux liens de domination qui se perpétuaient entre les anciennes colonies et leur ancienne métropole, certains économistes, comme John Perkins, ont étendu l’idée à celle d’un néo-impérialisme : les prêts accordés aux pays les plus pauvres se font en échange d’un monopole accordé aux sociétés étrangères. Non seulement le pays débiteur entre dans la spirale de la dette qu’il ne pourra pas rembourser, mais en plus les fonds alloués par le FMI ou la Banque mondiale reviennent dans les poches des entreprises étrangères en situation de monopole par le biais de subventions. L’opération est bien plus perverse que le système des compagnies concessionnaires qui obtenaient de la part de l’État colonial un monopole commercial et territorial en échange d’une promesse de mise en valeur du territoire, comme cela a pu se faire en AEF (Afrique équatoriale française) au début du XXe siècle. Perkins explique que si les « assassins financiers » comme il le fut lui- même, échouent dans leur mission de mise sous tutelle financière d’un État, des tueurs à gages, qu’il nomme les « chacals » sont envoyés pour éliminer les personnalités faisant obstacle à la prise de contrôle. Si cette deuxième phase échoue également, alors c’est l’intervention militaire américaine [12].
En réalité, le colonialisme n’a pas pris fin avec l’effondrement des empires coloniaux classiques, mais la nature et les objectifs de la colonisation elle-même se sont transformés car les acteurs ont changé. Dès 1933, Adolf Berle et Gardiner Means s’inquiétaient de la montée en puissance d’une nouvelle forme de pouvoir capable de supplanter la puissance publique : « L’essor de la grande entreprise (corporation) a favorisé une concentration sans précédent du pouvoir économique qui, à l’avenir, pourrait se mesurer sur un pied d’égalité avec l’État moderne [… et qui] pourrait même le détrôner comme forme dominante d’organisation sociale ». [13]
Alors que les États coloniaux du XIXe siècle se tournaient vers des financiers privés pour réaliser leurs projets, c’est progressivement la finance, coiffée du casque colonial, qui utilise les États-nations pour mettre en place un projet de mise sous tutelle des peuples.
Mais le terme de colonie connut également une seconde vie : alors que la séquence des décolonisations s’achevait, l’État d’Israël colonisait, après la guerre des Six Jours de 1967, les territoires palestiniens, égyptiens et syriens avec l’objectif avoué de favoriser des « implantations de peuplement ». Si les formes de ségrégation spatiale peuvent s’apparenter à celles mises en place dans les anciennes colonies européennes, le processus d’épuration ethnique ne correspond pas en revanche à une ambition coloniale classique. La vision raciale qui sous-tend la colonisation israélienne va plus loin qu’un simple rapport de domination : elle implique, in fine, l’extermination. Cela n’empêche pas les relais du pouvoir israélien en France de promouvoir un parallèle potentiellement explosif entre la situation de la société israélienne et celle de la société française. Toutes deux combattent un même ennemi : le musulman, l’Arabe, le terroriste, le migrant. C’est le national-sionisme largement mis en évidence par Alain Soral.
Le mot colonisation renvoie donc à des réalités multiples (colonie d’exploitation, colonie de peuplement, protectorat…) mais implique nécessairement des mouvements de populations, qu’ils soient limités à un petit groupe de coloniaux (administrateurs) ou qu’ils soient massifs avec l’installation de colons.
Une immigration coloniale ?
Le mouvement migratoire des populations colonisées vers la métropole peut être daté assez simplement. À cet égard, comme pour bien d’autres, la Première Guerre mondiale constitue un tournant. Avant le premier conflit mondial, la population algérienne en France se limite à quelques milliers d’individus, principalement situés dans les Bouches-du-Rhône où ils sont employés comme dockers, manouvriers ou travaillent dans les huileries. C’est l’entrée en guerre de la France en 1914 qui conduit le pays à recruter plus de 225 000 travailleurs, dont plus de la moitié sont issus d’Afrique du Nord. Dès le 15 juillet 1914, le permis de voyage est supprimé pour les Algériens qui peuvent alors librement se rendre en métropole. À ces migrations de travail s’ajoutent des centaines de milliers de combattants issus des colonies, dont les fameux tirailleurs sénégalais. Si ces mouvements migratoires massifs prennent fin après la guerre, ils ont néanmoins enclenché une dynamique, d’autant que la France des années 1920 a besoin de main-d’œuvre pour la reconstruction.
L’émigration algérienne a été étudiée en détail par le sociologue Abdelmalek Sayad qui a distingué trois grandes phases : la première, qui s’étend des années 1930 aux années 1950, concerne principalement des migrants de courte durée pour les travaux saisonniers et durant laquelle les Algériens, essentiellement des paysans, ne se mêlent pas à la société française. La deuxième phase est caractérisée par des migrants désireux de s’affranchir de leur condition paysanne ; la durée du séjour en France s’allonge en même temps que se distend le lien avec la famille restée en Algérie. L’immigré se sent alors presque autant étranger en France que dans son pays natal. La troisième phase débute dans les années 1960, et s’accélère dans les années 1970 avec la politique du regroupement familial. L’immigré reconstitue une société algérienne en France et la naissance des enfants de deuxième génération conforte l’éloignement définitif d’avec le pays de départ [14].
Les migrants issus des anciennes colonies d’Afrique noire (AOF, AEF) ne prennent part aux mouvements migratoires massifs vers la France qu’après les indépendances des années 1960.
Depuis lors, la question migratoire n’a cessé de se poser tout en étant systématiquement reléguée au rang des questions interdites ou, pour mieux dire, semi-autorisées. Les statistiques ethniques sont interdites en France par la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978. Cela permet à la fois d’empêcher d’avoir une idée précise de la composante ethnique du territoire métropolitain mais cela interdit également la production de données chiffrées sur la part de certaines communautés dans les secteurs clés du pouvoir (institutions, médias…). Toujours lié à la « faute française » originelle, le débat sérieux sur le sujet est donc rendu impossible. Par contre, le débat biaisé est lui autorisé, et même encouragé. La montée des tensions autour des conséquences des politiques migratoires doit permettre aux autorités que nous pourrions qualifier de coloniales, de rester à l’écart du débat en « sanctuarisant » la question des causes, et peuvent ainsi poursuivre une politique déstabilisatrice pour le plus grand profit d’intérêts privés et communautaires.
Pour l’année 2023, d’après le ministère de l’Intérieur, la France a délivré 2,4 millions de visas et donne la fourchette, pour l’immigration clandestine, de 600 000 à 900 000 personnes par an [15].
En 2022, l’INSEE a compté 7 millions d’immigrés vivant en France, soit 10,3 % de la population totale. Parmi eux, la moitié (48,2 %) étaient nés en Afrique [16]. Mais depuis le transfert de souveraineté acté par le traité de Maastricht en 1992, c’est à l’échelle de l’UE, véritable autorité de tutelle de la France, qu’il faut regarder. Pour 2022, l’UE annonçait 3,5 millions de migrants légaux et 370 000 clandestins. Mais surtout, elle s’engage à accroître l’immigration légale dans les pays membres [17].
Poursuite d’une politique migratoire ouverte d’un côté, baisse démographique de l’autre. En France, la croissance démographique ralentit et la fécondité chute ; en 2020, l’indice synthétique de fécondité était de 1,83 enfant par femme, insuffisant pour assurer le renouvellement des générations. Le pays était entré dans ce que l’on appelle un « hiver démographique » depuis le milieu des années 1970. D’où la montée en puissance depuis les années 2010 de l’idée d’un « grand remplacement », associée à l’écrivain Renaud Camus. Néanmoins, cette théorie a été formulée par Bat Ye’or, dans son ouvrage intitulé Eurabia : l’axe euro-arabe, publié en 2006. Bat Ye’or, de son vrai nom Gisèle Littman-Orebi est une essayiste britannique d’origine juive égyptienne, née au Caire en 1933. Déchue de sa nationalité égyptienne après la crise du canal de Suez en 1956, elle développe une rhétorique militante anti-arabe et noue des relations avec l’Agence juive et le Mossad, notamment lorsqu’elle organise avec son mari, David Littman, en 1961, l’exfiltration de 500 enfants juifs depuis le Maroc vers Israël.
Pour elle, le projet d’Eurabia consiste en un accord passé entre l’Europe et les pays de la Ligue arabe dans lequel la première s’engage à accueillir des migrants et à les maintenir dans leur culture d’origine en échange d’hydrocarbures et d’une protection contre le terrorisme. Cet accord serait destiné à nuire à Israël. En effet, Bet Ye’or a également développé une animosité certaine envers la France et la diplomatie gaulliste qui avait mis en place une « politique arabe de la France », d’autant que les relations franco-israéliennes avaient pris un sérieux coup de froid après la guerre des Six Jours de 1967 et le début de la colonisation israélienne.
Dans ce contexte idéologique à la fois condamné officiellement et promu en sous-main, l’accent est aujourd’hui mis sur « le migrant à couteau », réalité incontestable qui, même si elle est marginale au regard de la masse de la population immigrée en France, n’en demeure pas moins incontournable. Alain Soral présente ainsi le « sous-prolétariat, aujourd’hui majoritairement immigré, [comme] une armée de réserve [du Capital] au sens littéral du terme » [18].
D’une manière générale, les migrants ne constituent pas une population homogène regroupée autour d’une idéologie ou de principes fondamentaux. Ainsi, ce n’est pas la charia qui prévaut au sein de la population immigrée en France puisque, dans ce cas, les « racailles » issues des « quartiers » seraient les premiers, en tant que « musulmans », à tomber sous le coup de la loi religieuse. La mise en avant de « représentants » de l’islam de France par le pouvoir (comme l’imam de Drancy qui en est sans doute l’expression la plus humiliante), participe de la politique de division qui vaut autant pour les immigrés que pour les autochtones. Les autorités coloniales ont d’ailleurs toujours joué sur cette division car, si l’islam et les institutions islamiques ont été relativement ménagées afin de les inclure dans le système colonial, les coloniaux ont fondé leur politique à l’égard de cette religion sur trois axes :
élimination des oppositions islamiques à la colonisation par la répression ;
promotion d’une élite musulmane destinée à saper les autorités religieuses trop sérieuses ou influentes ;
empêchement de la jonction entre l’islam noir (subsaharien) et le monde arabo-islamique.
Cette politique ne valait d’ailleurs pas que pour l’islam. Le leader syndical camerounais, Ruben Um Nyobe, qui intègre le parti politique UPC (Union des populations du Cameroun) en 1948, est considéré comme une menace dans le contexte de la guerre froide. L’UPC, qui rassemble de nombreux marxistes et communistes, est interdite et Ruben Um Nyobe, trahi par les siens, est tué par des soldats français le 13 septembre 1958 alors qu’il avait pris le maquis contre le pouvoir colonial. À l’inverse, Félix Houphouët-Boigny, avait su en 1950 et à la demande de François Mitterrand, rompre ses liens avec le PCF et l’UPC de Ruben Um Nyobe pour se tourner vers les socialistes. Cela lui permettra de rester président de la Côte d’Ivoire de 1960 jusqu’à sa mort en 1993.
Pour résumer, on ne peut parler d’immigration coloniale qu’en gardant à l’esprit que les migrants n’ont pas vocation à s’implanter comme de véritables colons, à mettre en valeur un territoire qui par ailleurs n’en a pas besoin, mais qu’ils sont destinés à demeurer déracinés. La colonisation moderne vise à produire des sociétés inquiètes et instables.
Le « transcolonialisme »
La phase de décolonisation puis celle du néocolonialisme qui lui a succédé s’est faite sous la couverture du développement, tel qu’il est inscrit dans la charte des Nations unies.
La situation coloniale que nous avons tenté de décrire, celle dans laquelle nous vivons, s’embarrasse de moins en moins de cet argument dolosif. Le mot-clé à partir duquel les mondialistes insèrent leur idéologie au sein des politiques publiques est désormais celui de la transition. Étymologiquement, ce terme d’origine latine désigne le passage, le fait de passer de l’autre côté. On parle ainsi de transition économique (shifting economy), transition écologique, « transidentité », transition numérique… Dans des sociétés volontairement plongées dans l’inquiétude, la nécessité de traverser un passage périlleux afin d’atteindre une rive garante de sécurité permet de mobiliser des populations à partir desquelles on souhaite produire un homme nouveau. C’est dans ce sens que l’on peut parler de « transcolonialisme ». Il s’agit d’un colonialisme tous azimuts qui n’a pas pour objectif de construire des sociétés pérennes mais de les déstabiliser afin d’en assurer un contrôle sans avoir à recourir aux conquêtes militaires. Par ailleurs, il ne s’agit pas d’une politique exercée par une puissance étatique sur des territoires extérieurs, mais d’une mise sous tutelle généralisée organisée par des sociétés non étatiques ou supranationales. On peut ainsi considérer que les Nations unies, la Banque mondiale, les institutions européennes sont des relais majeurs de ce « transcolonialisme ».
L’offensive est déterminante en Europe et la guerre en Ukraine en est un exemple significatif. Ce n’est pas simplement le complexe militaro-industriel américain qui cherche à profiter du conflit mais également des gestionnaires de fonds, comme le colosse BlackRock qui, bien que sa richesse repose sur une économie virtuelle, connaît la valeur de la terre. La destruction peut ainsi être un bon moyen de rendre un territoire « vierge », d’en faire une « terra nullius » où les terres fertiles peuvent être achetées pour une bouchée de pain. Dans la même veine, Israël fait payer le coût de sa politique coloniale destructrice aux organisations internationales, aux États européens et, au final, au contribuable, qu’il soit français ou allemand. Le « transcolonialisme » externalise ses moyens d’actions car pour réussir il doit utiliser la puissance d’action des États dont il met pourtant l’existence en danger.
Citons enfin les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Meta) dont le rôle dans le « transcolonialisme » est primordiale en participant à un véritable nettoyage ethnique du Web en interdisant la diffusion de la famille blanche traditionnelle. Le métissage est désormais la seule version autorisée de la famille, version que les publicités, les téléfilms, le cinéma s’empressent d’appliquer à la lettre. Le monopole du pathos, au service de la mise en minorité de la majorité autochtone, atteint des sommets inégalés.
Ce type de colonialisme n’est finalement qu’un outil au service d’une vision universelle, qui s’avère être un totalitarisme. Léopold Sédar Senghor, président du Sénégal de 1960 à 1980, poète de la négritude, d’abord socialiste avant de s’éloigner de la SFIO, avait développé la théorie d’une « civilisation de l’universel » caractérisée par l’« interpénétration, le dialogue, l’influence réciproque de toutes les cultures » [19]. Une civilisation mondiale fondée sur le métissage. Mais il y a souvent loin de la coupe aux lèvres : dès 1962, Senghor fait arrêter et condamner ses opposants politiques, met en place un régime autoritaire, supprime le multipartisme en 1963 et la plupart des libertés publiques. Le choix de cette figure tutélaire pour désigner la promotion 2002-2004 de l’ENA de laquelle Emmanuel Macron est issu est donc plutôt cohérent.
La colonisation est en effet le fruit d’un rêve : celui d’une civilisation universelle. De l’empire universel de Charles Quint à La Fin de l’histoire de Fukuyama, c’est finalement une vieille chimère humaniste qui se répète, aspirant à un monde unifié. Cependant, ignorant complètement la nécessité de l’unicité, que ce soit à l’échelle sociale comme anthropologique, elle ne peut dériver que vers une parodie d’unité, dont les accents satanistes ne sont qu’une conséquence inévitable.
Pour conclure
Dans un ouvrage paru en 1947 sur le racisme à Madagascar, l’ethnologue Octave Mannoni constatait le fait suivant : « Les Malgaches qui habitent actuellement la France sont au mieux avec les Français. Mais ils évitent avec soin la plupart des Français qui ont fait quelque séjour à Madagascar. Ainsi un « indigène » européanisé peut vivre en milieu européen sans que se crée nécessairement une « situation » particulière. » [20]
Cette « situation particulière » est un marqueur de la situation coloniale. Aujourd’hui, on constatera, comme a pu le faire Alain Soral, qu’un Français aura des relations plus apaisées avec des Algériens en Algérie qu’avec des immigrés algériens en France, nourris de propagande anti-raciste [21].
Le pouvoir des mots est donc considérable et il ne faut pas négliger l’importance des discours dans la construction des sociétés. Le Français est enfermé aujourd’hui entre un statut de colon de par une dette morale dont il n’est pourtant pas responsable (rappelons que les autorités coloniales n’ont cessé de se plaindre du manque d’intérêt des Français pour les colonies, d’où la mise sur pied répétée des expositions coloniales en métropole) et celui de colonisé de par une dette financière dont il ne porte pas plus la responsabilité mais qui a conduit son pays à vendre sa dépendance aux intérêts privés et communautaires. On se félicite ainsi de l’émancipation des femmes qui ont pu, après la loi de 1965, signer des chèques sans l’autorisation de leur mari, mais on ne s’émeut guère du fait que le mari comme la femme doivent aujourd’hui demander l’autorisation à leur banquier pour retirer leur propre argent en liquide. La mise sous tutelle des peuples n’est en réalité pas un phénomène propre à la colonisation. Les populations colonisées d’Algérie, d’Afrique subsaharienne, d’Indochine, n’avaient pas grand-chose à envier au sort des ouvriers français du XIXe siècle.
Entre colon ou colonisé, le Français ne devrait pas avoir à choisir, car le seul statut qui lui sied, c’est celui d’homme libre.
Hyacinthe Maringot
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation