C’était il y a un an, et cela parait pourtant si récent. Le 27 juin 2023 Nahel, 17 ans, était abattu à bout portant dans l’habitacle de sa voiture par un policier. Il y avait eu le soutien massif de l’extrême droite derrière le tireur, une vague de révolte dans tout le pays, une répression féroce, des peines de prison expéditives…
Le tireur se nomme Florian Menesplier. Il a fréquenté un lycée privé catholique avant d’officier dans l’armée, et a fait un passage par deux unités de police connues pour leur violence. Il est tout d’abord passé par la compagnie de sécurisation et d’intervention de Seine-Saint-Denis. La CSI 93 est connue pour avoir fait l’objet de pas moins de 17 enquêtes pour vols, rackets, trafics de drogue, violences, falsifications de PV et fausses procédures. Cette compagnie a même frôlé la dissolution tellement elle était corrompue, et n’a dû son maintien que grâce au préfet Lallement.
Florian Menesplier a ensuite été recruté au sein de la BRAV-M, l’unité la plus violente du maintien de l’ordre français, créée lors des Gilets Jaunes, et recrutée sur la base du volontariat. Par ailleurs, il a été mis en cause pour « exhibition sexuelle » en janvier 2023 dans la forêt de Chauvry dans le Val-d’Oise.
Florian Menesplier a été remis en liberté mercredi 15 novembre. Entre son tir mortel et sa libération, il est devenu millionnaire grâce à une cagnotte créée et relayée par des réseaux d’extrême droite, notamment par l’entourage d’Éric Zemmour.
Le 6 juillet 2023, Oise Hebdo, publication basée à Compiègne, publiait sur son site internet un article qui dressait un portrait du tireur, évoquant son parcours professionnel et sa ville de résidence.
Oise Hebdo faisait un travail tout à fait habituel et normal de journalisme. Le policier Florian Menesplier habite dans l’Oise, le journal traite de l’actualité de ce département. C’est une information d’utilité publique.
Pourtant, le jour même, le ministère de l’Intérieur avait tenté de faire retirer l’article en interpelant l’hebdo. Les syndicats policiers, tout puissants, ont menacé le rédacteur en chef. Et le soir même Gérald Darmanin annonçait avoir saisi la procureure de la République de l’Oise.
Le directeur d’Oise Hebdo expliquait qu’il n’avait fait que son travail. D’ailleurs, le droit était de son côté, puisque la loi de 1881 sur la liberté de la presse interdit seulement de diffuser l’identité de policiers dont les missions exigent l’anonymat, par exemple les unités anti-terroristes ou les agents secrets, ce qui n’est pas le cas d’un motard de la police nationale.
Pourtant, ce 22 août 2024, la justice a condamné le directeur de la publication de l’hebdomadaire à payer 4000 euros d’amende dont 2000 euros avec sursis, ainsi qu’à verser 1000 euros au policier au titre du préjudice moral. Si ce policier est traumatisé par un article dans la presse locale, que dire des proches de Nahel ?
Suite à cette condamnation, le directeur d’Oise Hebdo est resté droit dans ses bottes, expliquant à l’AFP : « J’ai fait mon travail de journaliste en disant où habitait le policier. Il importait que les gens qui habitent à côté soient au courant qu’il y avait éventuellement un danger qui pouvait se passer ». Il a ajouté qu’« il n’y avait pas de raison que son nom ne soit pas divulgué », il « circulait » sur Internet et « sa sécurité était totalement assurée puisqu’il était en prison ».
Ce n’est pas la première fois que la liberté de la presse est attaquée pour protéger la police, ni que des poursuites sont engagées contre les personnes qui diffusent le nom de policiers violents. L’année dernière, Assa Traoré a été condamnée à verser une amende à une gendarme impliquée dans la mort de son frère Adama en 2016. Rappelons en revanche qu’aucun des militaires mis en cause n’a été sanctionné.
En principe, un policier incarne la loi, il est assermenté, il est donc tenu d’être irréprochable et surtout de rendre des comptes. En France, c’est l’inverse : plus les policiers sont violents, plus on protège leur identité, moins ils rendent de comptes. C’est un privilège de plus dont bénéficient les policiers violents. Alors même que les médias n’hésitent pas à diffuser l’identité des auteurs de délits et de crimes le reste du temps.
Cette omerta n’existe pas dans d’autres pays. Même aux États-Unis, pays où la police est pourtant ultra-violente, les médias diffusent l’identité et la photo des policiers mis en cause dans des affaires judiciaires. Le plus célèbre d’entre eux est le policier qui a asphyxié George Floyd : la presse des EU n’a pas hésité à divulguer son nom, Derek Chauvin, sa photo et même son lieu de résidence. Et ce cas n’est pas exceptionnel. Personne ne s’y oppose : là-bas, c’est considéré comme relevant de la liberté d’informer. Oise Hebdo n’aurait pas été condamné outre-Atlantique.
De même chez nos voisins espagnols. Il y a quelques jours, un policier a tué sa compagne et son ex-femme avant de se suicider. La presse a diffusé le nom et l’historique du mis en cause : Juan Fortuny de Pedro.
Alors que la police bénéficie d’une protection quasiment absolue de la justice, révéler le nom des agents poursuivis est souvent l’une des seules manière de ne pas les laisser totalement impunis. Une fois encore, la France se démarque par son autoritarisme.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir