Je viens par cette démarche solliciter le relais de votre réseau médiatique, pour partager avec l’opinion publique nationale haïtienne (locale et de la diaspora) et internationale cette lettre plaidoyer que j’adresse publiquement à ceux et celles qui sont en charge de la gouvernance des institutions d’Haïti. En l’adressant à l’actuel Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique (MJSP), je ne vise pas moins aussi les officiels du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) et toutes les autres autorités judiciaires, notamment le nouveau Commissaire du Gouvernement qui aura la lourde tâche de conduire l’improbable politique pénale d’un gouvernement qui semble ne pas maitriser les grandes problématiques du pays. Dans cette lettre plaidoyer (voir le contenu ci-dessous), qui n’a aucune finalité personnelle, j’essaie d’attirer l’attention des décideurs haïtiens du système judiciaire sur l’improbable capacité des institutions la justice et de la sécurité publique haïtienne à assurer leur mission régalienne, par l’adoption d’une politique pénale contextuelle qui reflèterait la vision d’une gouvernance intelligente et exemplaire, orientée vers des finalités stratégiques de cohésion sociale et de responsabilité sociétale. Ces trois grandes problématiques ont gravement accentué l’état d’indigence de toutes les institutions de la gouvernance du pays. En particulier, celles de la justice et de la sécurité publique. Alors même que ces institutions faisaient, depuis longtemps, face à des défaillances structurelles, méthodologiques, informationnelles et humaines qui impactaient négativement leur fonctionnement. Or, aujourd’hui, le pays fait face à trois grandes problématiques existentielles qui, induites par la défaillance sécuritaire du pays et la situation d’errance des populations déplacées, questionnent l’existence même du système judiciaire haïtien. En effet, dans leur reliance avec la situation d’illégitimité totale de ce gouvernement hybride, transnational ou de procuration, ces trois problématiques structurent trois dimensions de défaillance (sécuritaire, stratégique et humaine) qui forment la structure du chaos rendant ingouvernable le pays. Puisqu’en effet, ces défaillances s’imposent à Haïti comme de multiples défis : existentiel pour la population, d’intelligence contextuelle pour les autorités étatiques et d’intelligence éthique pour les acteurs sociaux. Et force est de constater qu’il n’y a pas l’ombre d’un effort projeté, dans le sens d’une rupture d’avec les insignifiances des gouvernements passés, pour laisser au pays l’illusion qu’après l’éclipse totale de ces 13 dernières années, une éclaircie durable poindra à l’horizon. Ma légitimité à tenir ce plaidoyer est factuellement fondée par ma trajectoire professionnelle. Il est vrai que je ne suis ni juriste, ni sociologue, ni économiste, ni anthropologue, ni philosophe. Je ne revendique nul rayonnement académique. Je ne suis qu’un modeste professionnel des systèmes d’information décisionnels. Pourtant, mon objet d’étude est plus stratégique qu’on ne pourrait le penser, car il touche à la prise de décision. En ce sens, le contexte et ses problématiques, le décideur et ses choix, à travers sa culture, ses repères et ses postures, en termes de motivations sont mes éléments de travail. Ainsi, la finalité de mon métier est d’apporter au décideur, quitte à le perturber, l’information la plus stratégique relative au domaine problématique sur lequel il veut agir, pour orienter ses choix vers le plus de cohérence, selon un modèle de données structurées, pertinentes et congruentes. C’est dans ce contexte que j’ai arpenté le système pénal haïtien en conduisant différents audits sur les outils de collecte et de traitement de l’information pour la prise de décision des institutions judiciaires haïtiens, entre 2006 et 2018. Sans fausse arrogance, je peux revendiquer une certaine maîtrise des problématiques qui rendent défaillant le système judiciaire haïtien, au préjudice de la société et de la population et au bénéfice de nombreux acteurs qui, pourtant, prétendent travailler à sa performance. Une telle maitrise factuelle donne une grande pertinence à cette lettre plaidoyer, que j’adresse aux décideurs haïtiens en charge de la gouvernance judiciaire et sécuritaire du pays. Je compte sur les médias pour lui donner une large audience médiatique, au-delà de ma petite personne insolente. C’est important de le souligner, car tous les repères déontologiques et éthiques, qui régulent le fonctionnement des médias dans une société, s’accordent à dire que « l’information et la communication sont indispensables à l’existence de la démocratie ; […] pour se développer pleinement, toute démocratie doit garantir la participation des citoyens aux affaires publiques et que cette participation est impossible quand les citoyens et les institutions ne peuvent recevoir l’information dont ils ont besoin ou s’exprimer publiquement ». On essaiera de ne pas oublier que l’information ne vient pas seulement des lieux de pouvoir et de rayonnement académique, puisque si l’on approprie bien les enseignements de Daniel Innerarity dans Démocratie et société de la connaissance, l’évolution performante d’une société est fonction de la capacité des individus qui la composent, de l’universitaire au simple quidam, à nourrir leurs réflexions pour construire une société de la connaissance par l’alliance entre le savoir académique et le savoir provenant de leur expérience personnelle. D’ailleurs selon Charles Alain Martinet, auteur incontournable pour ceux qui s’intéressent à la stratégie, il n’y a de légitimité pour un penseur que par le courage de porter, par sa recherche, sa parole, son projet d’écriture, l’idée d’un autre possible pour changer l’invariant. A ce titre c’est aux médias et aux universités d’ouvrir la focale de leur lieu d’information, de formation et de savoir pour laisser entrer des dissonances et des divergences structurantes, pour faire ainsi écho à l’utopie d’une ‘‘société de la connaissance’’ (Daniel Innerarity, 2019) comme lieu d’effectivité démocratique. J’ose prendre la parole en me mettant en danger. A la presse, aux médias, aux influenceurs des réseaux académiques et sociaux haïtiens, s’ils sont compétents et intelligents, de faire vivre cette parole citoyenne, libre, insoumise, insolente et contestataire, en la relayant auprès de l’opinion publique visée, pour qu’elle s’impose, non comme vérité incontestable, mais comme une parole courageuse qui dérange et invite à l’introspection. Pédagogique insolence pour pousser chacun à questionner les valeurs et le centre de recherche de sens qui lui permettent de tisser ses liens avec ce pays, combien fatigué d’être l’infatigable chérie des crapules accréditées (CA) et des couillons assumées (CA) qui souillent sa dignité en s’associant par bandes joyeuses en paire de CAs.
Monsieur le Ministre,
Introduction
Votre nomination à la tête de ce ministère régalien, s’occupant, par ses domaines métiers fondés sur la justice et la sécurité publique, de la cohésion sociale, dans un pays en pleine érosion de l’essence de son existence, n’est ni gageure ni une sinécure. Tant bien que mal, votre profil professionnel d’homme de loi semble rassurer une grande majorité, sinon de la population, du moins de ceux des professionnels du droit qui vous connaissent, car votre longue expérience et vos compétences dans le domaine de la justice semblent être reconnues. Mais c’est là une mince consolation. Pour cause, le pays a déjà vu des hommes et des femmes de grandes compétences dans le domaine du droit occupés cette fonction ministérielle — bien avant l’outrage que lui on fait les imposteurs qui vous ont précédé ces 7 dernières années — il reste malgré tout traversé par des cycles invariants d’improvisation, d’amateurisme, de clientélisme et de corruption qui rendent insignifiants l’existence du système judiciaire haïtien. D’ailleurs, ces cycles d’improvisation et de corruption se sont si bien structurés, malgré nos éminents hommes de loi promus ministres, qu’ils se sont métamorphosés, au point de transformer le pays en un fossile invariant d’injustice sociale, de gangstérisation économique et d’impunité politique.
Gouverner les défaillances
Face à ces défaillances existentielles, les vrais stratèges, qui héritent d’un tel marasme institutionnel, fait de ruines et de décombres, ne peuvent pas que compter sur les compétences qui leur sont reconnues. Ils se doivent de s’armer systémiquement et de s’outiller méthodologiquement, pour s’offrir une boussole éthique comme repère capable d’orienter la justice, réputée aveugle, mais aussi armée, vers une gouvernance intelligente, responsable et exemplaire. Autrement dit, hors de cette routine dysfonctionnelle invariante, qui lui vaut son indigence et, par conséquent, sa dépendance confortable vis-à-vis de l’assistance internationale depuis déjà 30 ans. Une manière insolente de vous rappeler, Monsieur le Ministre, qu’au-delà de la célébration des compétences et des promotions de carrière, la vraie mission du stratège, c’est l’innovation.
Et pour relever ce défi de l’innovation, dans un pays verrouillé sur une régression circulaire, le stratège visionnaire et éthiquement compétent sait qu’il doit se mettre en posture de veille stratégique, informationnelle et anticipative pour trouver les données rares et les ressources contextuelles qui pourront lui permettre de tisser, autour du centre de valeurs de l’institution qu’il va piloter, des liens porteurs d’intégrité, de responsabilité et d’innovation. Car, contrairement à ce qu’ont fait tous vos prédécesseurs, on ne gouverne pas une institution publique, réputée aveugle et armée, par décrets et injonctions de réformes venues des hauts lieux géostratégiques. Pour cause, la finalité de la justice dans un pays, n’est pas que de dire le droit, mais de le dire, de manière à orienter la société dans le sens d’une cohésion par la responsabilité sociétale. A ce propos, une stratégie de gouvernance judiciaire, notamment dans un pays comme Haïti, c’est d’abord l’assumation d’un centre de valeurs partagées comme socle de la cohésion sociale, le tissage de liens de responsabilité et d’intégrité autour de ce socle pour revitaliser le tissu social, combien effiloché, décousu et délabré. Ce qui demande la valorisation de trois ressources dont le pays dispose et que paradoxalement l’assistance internationale qui pilote depuis 1994, officiellement, les destinées de la justice haïtienne, méprise pour les besoins de sa performance. Trois ressources qui sont pourtant reconnues par les vrais experts comme les piliers forgeant le repère d’instrumentations avec lequel ou gouverne intelligemment. C’est en tout cas ce que l’on peut apprendre dans les ouvrages collectifs Gouverner par les instruments (Pierre Lascoumes, Patrick Le Galès) et Éthique et Gouvernance Publique (Direction Yves Boisvert). Ces trois piliers que l’on nomme instruments (données et outils), processus et valeurs des structures de pilotage, sont ceux qui font défaut à toutes les institutions haïtiennes.
Vers des liens d’apprenance contextuelle
C’est justement de liens d’intégrité, de données, de processus, de valeurs et de pilotage dont je viens parler dans cette lettre plaidoyer qui promeut la vision d’une gouvernance intelligente et exemplaire par la mise en œuvre d’une veille informationnelle stratégique. En effet, Monsieur le Ministre, celle lettre se veut avant tout un plaidoyer pour soutenir, auprès de votre management, mais pas que, une nouvelle utopie collective, promouvant la culture d’une écologie de responsabilité multifactorielle (citoyenne et professionnelle) par le tissage de nouveaux liens avec le pays, le territoire, la société, les institutions et la population. Car, c’est seulement, à travers de nouvelles connexions irradiantes, provenant d’un engagement authentique, voire sacrificiel, que ceux, qui assument le courage et l’intelligence d’habiter dignement Haïti, peuvent redonner du sens à un pays, dont la gouvernance, osons courageusement l’avouer, à tous les niveaux institutionnels, n’est, depuis quelques décennies, sinon depuis toujours, qu’une errance pilotée et assistée par des intérêts géostratégiques paradoxaux. En ce sens l’effondrement total des institutions du pays, assommées par les coups de boutoirs d’une situation sécuritaire chaotique, sonne comme le tic-tac du temps long qui rappelle l’imminent besoin pour Haïti de se doter d’une gouvernance de rupture d’avec l’invariance, pour embrasser des finalités collectives innovantes.
Monsieur le Ministre, les liens dont je viens vous parler, dans ce long plaidoyer, mais combien exaltant, car collectivement motivé, pédagogiquement argumenté et stratégiquement orienté, sont ceux qui peuvent justement structurer systémiquement le leadership du MJSP, dans le sens d’une performance durable, pour que cette institution réponde responsablement aux enjeux de sa mission, selon les besoins du réel problématique haïtien et dans l’intérêt de la cohésion de la société. Monsieur le Ministre, si je surfe sur la valeur du lien pour soutenir mon plaidoyer, c’est parce que je ne doute point que votre longue expérience d’homme de loi vous a permis de mesurer à quel point l’exercice de la responsabilité de la prise de décision, notamment dans les métiers de la justice et de la sécurité publique, est une affaire de liens. Et de fait, en m’inspirant de la théorie du lien, je peux postuler que la gouvernance intelligente, comme l’errance, pour nommer son contraire, n’est qu’une affaire de liens, de sens et de centre d’intérêts. Ce qui distingue l’une de l’autre, c’est le sens d’orientation de ces liens et la nature du centre de valeurs, représentant l’intérêt, autour duquel se nouent des connexions qui peuvent être humanisantes ou déshumanisantes.
Repère éthique
De ce postulat, on peut déduire un repère éthique pour évaluer le niveau d’intelligence de l’action de toute gouvernance : Le centre d’intérêts pour la mission, les liens pour la structuration et le sens pour l’évolution. Ainsi, sur ce repère, l’errance apparait, non plus comme une fatalité à subir, mais comme une posture inconsciente et/ou irresponsable qui verrouille un management stratégique sur une trajectoire chaotique et invariablement problématique, par des nœuds, sanglants de dépendance. Ces liens sont justement ceux qu’il faut éviter à tout prix, car ils réduisent, comme une peau de chagrin, les degrés de liberté des décideurs, en les contraignant à une vile soumission, allant de l’usure de leur dignité jusqu’à l’érosion de leur humanité. Toujours, à l’aune de ce repère, inversement, l’intelligence s’impose comme une posture consciente et responsable pour s’orienter sur une trajectoire de rupture d’avec la dépendance, et s’extraire de l’invariance, en forgeant, autour de la liberté de la pensée critique et éthique, des nœuds débordants de dignité, d’intégrité et d’humanité. Ultime manière, s’il en reste, quand tout s’effondre autour de nous, de faire émerger une nouvelle écologie de valeurs collectives, jusqu’à la régénérescence. Qui ne se régénère pas dégénère, dit Edgar Morin.
Voilà, Monsieur le Ministre, l’utopie collective que je viens vous vendre dans ce plaidoyer. Et pour cause ! Haïti évolue dans un contexte de plus en plus incertain, voire hypothétique et anecdotique, notamment en raison de la situation d’instabilité créée par la terreur des gangs et la désespérance de la population. Lequel contexte agit, en amont et aval, comme une tenaille puissante qui pulvérise l’écosystème local. Il induit trois grandes problématiques qui affectent toutes les institutions du pays, et mettent à mal la cohésion de la société, combien indispensable à sa résilience tant vantée comme l’ultime valeur de résistance et de résurgence de la population hors de ses malheurs. Je me réserve le droit de vous décrire ces trois problématiques dans une correspondance plus technique que ce plaidoyer, car deux d’entre elles questionnent directement l’existence de votre ministère dans ses missions de justice et de sécurité publique.
Mais même sans avoir encore connaissance de ces problématiques existentielles pour la gouvernance du pays, il ne fait aucun doute que les incertitudes innombrables qui hypothèquent la perspective de la cohésion de la société, par la persistance et la durabilité de la défaillance sécuritaire, se dressent comme un gigantesque obstacle qui rend improbable la mission, déjà complexe, du ministère dont vous avez la charge. Pour autant, cet obstacle n’est pas une fatalité. Pour cause, opportunément, comme le veut la complexité, dans l’errance la plus obscure, il y a toujours des brèches éclairantes qui surgissent furtivement comme de nouveaux possibles humains, magnifiant l’espérance d’une résurgence vers l’intelligence collective. Mais encore faut-il que l’on soit éveillé (en état de pleine conscience) et dispose de capteurs suffisamment sensibles (systémiquement outillé) et de décodeurs analytiques éthiquement orientés (boussole éthique), pour capter les signaux faibles, porteurs de frémissements des mutations du futur, et mettre en place le moteur de la cognition capable de décoder le sens de ces signaux pour réactiver l’intelligence contextuelle au cœur des stratégies de changement. Ultime méthode à explorer pour innover l’invariance par de nouveaux liens de responsabilité, d’intégrité pour que la dignité soit l’ultime ressort de notre destin commun et de notre humanité.
En conséquence, le contexte actuel dans lequel agonise le pays tout entier, malgré ou à cause de ses incertitudes multidimensionnelles, peut intelligemment et stratégiquement être interprété comme une invitation à repenser les liens qui structurent l’identité institutionnelle du MJSP pour lui permettre d’assurer son fonctionnement et son évolution dans une maitrise de ses domaines métiers et des problématiques du contexte stratégie sécuritaire efficace que par la capacité à s’inscrire dans l’anticipation. Or, qui dit anticipation dit capacité à faire preuve de vigilance et de réactivité. La gouvernance de la sécurité nécessite donc des méthodes prospectives et de recherche pour détecter dans l’environnement les signaux faibles des menaces dissimulées ou silencieuses. C’est seulement ainsi qu’on peut avoir une marge de manœuvre stratégique pour intervenir avant leur manifestation incontrôlable.
Tout porte à croire que le basculement du pays dans le chaos actuel est dû à la non détection et/ou au non traitement des signaux qui alertaient sur ce développement chaotique. Et pour cause, car ceux qui ont le monopole de la prise de décision n’ont souvent pas les ‘‘compétences techniques et les qualités humaines’’ pour prêter attention à ce qui dérange leur confort. Défaillance éthique qui révèle une panne certaine de prospective dans le processus décisionnel haïtien. Défaillance qui rappelle l’allégorie de la grenouille : en effet, celle-ci s’est faite grillée dans son bain, parce que trop confortable, elle n’a pas prêté attention aux variations de chaleur infinitésimales de son environnement. La perte de sens avec son environnement et ‘’la méconnaissance du contexte’’ dans lesquels on évolue, et sur lesquels on veut agir, sont toujours des postures fatales en matière de gouvernance [de la sécurité] et de prise de décision.
Dans ce contexte, Monsieur le Ministre, ce serait extrêmement maladroit, imprudent, voire irresponsable que le nouveau stratège que vous incarnez, parce qu’étant en charge de la gouvernance de la justice et de la sécurité publique du pays, n’intègre pas dans sa vision stratégique ces jalons scintillants qui doivent éclairer la voie vers une boucle innovante par une gouvernance intelligente. Gouvernance qui ne peut être crédible que si elle repose sur trois piliers structurants :
• Fondée sur des données probantes et des processus congruents comme instruments ;
• Orientée par un repère scintillant d’axe de valeurs éthiques ;
• Pilotée par des hommes intègres et résolument engagés.
L’utopie de la régénérescence
Souffrez que je vous dise, Monsieur le Ministre, au risque de paraitre insolent, sans cette structuration, pour ainsi dire sophistication, de la gouvernance judiciaire, il sera difficile d’empêcher que l’avenir d’Haïti ne soit point qu’une résurgence de son passé déshumanisant. Et ce glissement indigent, augure de notre extinction anthropologique, vous sera aussi imputable, puisqu’au demeurant, si, comme le veut le dicton populaire, la justice élève une nation, toute nation dont la justice est insignifiante et indigente ne peut être qu’une nation destinée à se laisser emporter vers les abysses. Monsieur le Ministre, c’est en révolte de cet avenir déshumanisant que je vous propose les brèches irradiantes de cette utopie collective, en vous rappelant que la gouvernance de la justice d’un pays ne saurait se reposer sur des normes, des décrets et des réformes qui magnifient uniquement la dimension normative du droit et le caractère répressif de la loi. Pas plus que sa gouvernance sécuritaire ne saurait être confiée à des étrangers. Toute gouvernance judiciaire et sécuritaire intelligente dans un pays doit tenir compte des causalités systémiques enfouies dans le contexte social, économique et culturel de l’écosystème de ce pays. Car, c’est ce contexte qui formate les individus et les enchevêtre dans les liens des causalités qui leur dictent leurs comportements sociaux, professionnels et humains. Avec un peu d’intelligence contextuelle et de logique systémique, on peut prouver, par des inférences cohérentes que ce théorème de la gouvernance intelligente que je viens d’énoncer est un corollaire de la proposition de Montesquieu. Laquelle postule que les peuples ont les gouvernements qu’ils méritent. En effet, si les peuples ont les gouvernements qu’ils méritent, ces gouvernements ne peuvent être intelligents que s’ils s’enracinent dans leur écosystème problématique pour trouver les causalités enfouies les lignes de fuite vers un équilibre transformationnel.
Sans ce théorème comment assurer l’équilibre de l’équation de la justice qui, dans ses dimensions distributive et corrective, veut que, pour toute infraction commise contre la société, la réponse de l’institution judiciaire puisse à la fois punir le coupable, réparer la victime et réinsérer le coupable dans la société pour prévenir la récidive` et protéger la société ? Comment garantir l’efficacité de la justice sans capteurs pour détecter les risques et menaces qui surviennent dans les mutations sociales ? sans outils de veille informationnelle stratégique pour analyser et dimensionner les risques sociaux ? sans prospective éthique pour une co-construction de la cohésion sociale par l’apprentissage contextuel et l’éducation à la responsabilité multifactorielle ?
Monsieur le Ministre, ce sont là des outils qui font défaut au système judiciaire du pays, non parce que le pays ne peut pas les concevoir, mais par le choix assumé de ceux qui le dirigent, par procuration, de remettre son renforcement à l’assistance internationale. Une dérive stratégique qui révèle une profonde insignifiance qu’entre autres, l’homme de loi Patrick Pierre-Louis, que vous devez bien connaitre, avait critiqué en des termes sans équivoque : en effet, dès 2002, il sonnait la charge contre les insignifiances mises en place comme renforcement du judiciaire haïtien. Il observait judicieusement que : « Parmi ceux qui réfléchissent ou qui travaillent sur la problématique de la réforme de la justice (haïtienne), beaucoup ignorent par provision méthodologique ou par parti pris idéologique, les liens entre justice politique, justice et État de droit, justice et démocratie. Nombreux sont ceux qui ne voient dans la réforme de la justice qu’un simple effort d’adaptation de la norme au fait, dans le meilleur des cas, ou, n’y perçoivent, au pire, qu’un pur exercice technique de modification de la norme ».
Cette insignifiance ne saurait ne pas vous interpeller, pas plus que vous ne pouvez prétendre ignorer les multiples failles du système judiciaire haïtien, en matière d’outils et de processus indispensables à son fonctionnement efficace et efficient. D’ailleurs, si je prends la liberté de vous faire cette lettre publique, c’est parce que, sauf trouble mental de ma part, quand vous étiez Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince et président de la Fédération des barreaux d’Haïti, je vous avais proposé de faire une présentation, pour les avocats du dit barreau, d’un éventail d’outils et de dispositifs de veille informationnelle qui pourrait améliorer le fonctionnement de la justice, en l’orientant vers une plus grande transparence et vers une meilleure évaluation de l’activité des tribunaux et de la déontologie des juges. Et je me souviens que vous m’aviez dit gentiment d’attendre votre réélection, puisque vous étiez à nouveau candidat. Et, depuis, vous n’avez jamais fait de suivi, malgré les messages que je vous envoyais par email sur la persistance des dysfonctionnements judiciaires.
Aujourd’hui, vous êtes à un poste plus stratégique qui vous offre loisir de définir une nouvelle vision pour faire émerger, par-delà les structures et services qui constituent l’existant organisationnel du MJSP, un cycle d’apprentissage à partir des données d’activité des différentes institutions en charge des métiers de la justice et de la sécurité publique. Cycle d’apprentissage d’autant plus nécessaire qu’il est reconnu que la justice ne peut être efficace à prévenir les risques sociaux et à protéger la société, contre les incitations à contrevenir aux lois et la récidive des infractions, que si elle dispose de données contextuelles et reliées permettant aux acteurs des métiers de la justice et de la sécurité de travailler en réseau et de manière interdisciplinaire. Or, vous devez bien savoir, par vos fonctions passées et votre connaissance du système, que les acteurs œuvrant en amont des décisions pénales, parmi lesquels les commissaires du gouvernement et les magistrats de siège sont systématiquement amenés à prendre seuls les décisions en lien avec l’évaluation et la gestion des risques relatives aux infractions. Et de fait les réformes pénales se promulguent en Haïti par décret, sans analyse des données contextuelles provenant des activités de la justice et de l’évolution des sanctions prises, de l’efficacité de la justice sur l’incitation à commettre des infractions et sur leur récidive. Or ces données d’activités, si elles étaient structurées, analysées, partagées entre les juridictions pourraient suggérer des évaluations de risques qui autoriseraient des mesures de prévention en amont, et protégeraient mieux la société que les sanctions pénales, socialement injustes en Haïti, puisque majoritairement ce sont les pauvres et les noirs qui croupissent en prison. D’autant plus que l’état de fonctionnement des prisons en Haïti conduit à fabriquer plus de criminels qu’à travailler à leur réinsertion, et ce parce que la détention est un business juteux duquel vivent, avec fastes, autant les juges, les avocats les policiers, les ONG que les professionnels du crime.
Sous cet angle, c’est pour le moins irresponsable, inconscient ou simplement le signe d’un insoutenable et angoissant impensé, sinon celui d’un abandon total de l’intelligence, que les institutions du système de justice et de sécurité publique ne disposent d’aucun système de veille informationnelle stratégique et de prospective éthique comme identité institutionnelle. C’est dans la perspective de construction de cette identité professionnelle que je lance ce plaidoyer comme utopie de vigilance pour soutenir une proposition de veille informationnelle stratégique comme vision vers une gouvernance intelligente et efficiente par des liens d’apprentissage pour de nouvelles connexions avec l’environnement (VISGIELANCE). La finalité de cette VIS-GIE-LANCE serait de collecter les données provenant des activités des parquets et des tribunaux de les traiter analytiquement, en les soumettant à l’évaluation des bouleversements sociaux qui induisent des modifications dans les comportements des acteurs sociaux et dans la vie des populations. Il s’agit de faire vivre les retours d’expériences comme autant de flux de capitalisation de connaissances, en réutilisant les données des activités passées en enseignement sur leurs performances et/ou leurs défaillances pour l’innovation.
Monsieur le Ministre, je m’en voudrais de ne pas ajouter ces dernières lignes pour mieux booster la valeur de ce plaidoyer : Plus que jamais, le pays a besoin de s’offrir une vision stratégique innovante pour aligner la gouvernance publique et la gouvernance d’entreprise sur les valeurs d’une cohésion qui assume des finalités collectives et sur les leviers d’une responsabilité sociétale qui priorise le contexte problématique et l’apprentissage contextuel. Plus qu’à tout autre moment, les institutions et organisations du pays ont besoin d’identifier les compétences rares et distinctives qui sont décidées à s’enraciner sur le terroir, malgré les incertitudes, pour nourrir, par leur engagement de soi, la reliance entre société, organisation et individus. Reliance dont Haïti a cruellement besoin, pour que cette terre, invariablement instable, depuis les divers métissages improbables qu’elle a connus, devienne, non plus un lieu qu’on fuit et sur lequel on est en transit et déracinement perpétuel ; mais un pays dignement habité, dans lequel on s’enracine pour devenir un ferment de la nouvelle écologie pensée par les Haïtiens pour les Haïtiens.
Monsieur le Ministre, j’espère que vous ne resterez pas sourd, distant ou indifférent envers les échos engageants de ce plaidoyer. Car cette lettre plaidoyer est beaucoup plus un appel à l’irradiance des consciences pour un partenariat stratégique capable de faire taire les mauvaises langues qui disent avec raison qu’Haïti est un pays improbable qui n’est gouverné ni par les Haïtiens, ni pour les Haïtiens. C’est donc une invitation à l’introspection pour que chacun, sur son domaine métier, ose faire le saut éthique de la cognition vers l’intelligence contextuelle pour l’assumation de la gouvernance, non plus comme recette universelle de principes à décliner, mais comme un apprentissage à s’ancrer dans les couches de données problématiques de son réel pour trouver les brèches irradiantes de la régénérescence.
Est-il besoin que je vous dise, Monsieur le Ministre, que si je suis un citoyen aussi bruyant, c’est justement parce que ces brèches, irradiantes de la régénérescence, crépitent au plus profond de mon être et rougeoient le feu de mon insolence. C’est ce feu qui illumine ma conscience et m’oriente vers cet engagement authentique, que je vis comme ultime utopie pour ce pays, sur lequel je suis confiné, puisque n’ayant pas d’autre résidence dans d’autres ailleurs. Sans préjuger de vos réactions vis-à-vis de ce plaidoyer, mais tout en ne me faisant guère d’illusions sur les silences et les indifférences qui peuvent l’enfumer, je me permets de rappeler qu’en vous interpelant publiquement, je ne fais que mon devoir de citoyen informé et formé : je mets mes expériences et mon projet professionnel dans un même engagement humain, pour faire luire d’autres possible pour Haïti. Il ne me reste qu’à vous transmettre mes salutations respectueuses, en laissant le pays prendre acte de vos postures devant l’intelligence contextuelle.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir