Le Trifluvien Yvon Dugal
L’un des plus beaux néologismes du XXe siècle
Il semble qu’il soit aussi difficile de trouver l’inventeur du mot courriel (né de la contraction des mots courri(er) et él(ectronique) [1] que celui de la poutine.
Après avoir consulté des documents sur l’historique de ce néologisme [2], je relève qu’un professeur de l’Université Laval l’aurait créé avec des étudiants dans un séminaire de néologie en 1989 et qu’un professeur de l’Université de Montréal l’aurait employé quant à lui dans la revue de traduction Meta, « quelque part entre 1985 et 1995 » [3]. Or, je connais un Trifluvien, Yvon Dugal, qui, dans le cadre de son travail, a forgé ce mot aussi tôt qu’en… 1980. Voici le fin mot de son histoire.
En avril 1980, M. Dugal est embauché par Xerox Canada Ltée comme chef traducteur à Montréal, siège du bureau régional de l’entreprise. Le 29 août de la même année, à 16 h 40, il reçoit un appel téléphonique de George Zarras, chef de projet à Xerox Corp (USA), division de la bureautique à Palo Alto (Californie). Il dit appeler sur le conseil de Raymond Lapointe, détaché à Rochester (New York) pour travailler, avec l’apport de Systran, à la traduction et à l’uniformisation de la terminologie des notices de fonctionnement des divers appareils (photocopieuses, télécopieurs, systèmes de traitement de texte, etc.) de l’entreprise, et ce, dans les principales langues occidentales.
M. Zarras demande à ce qu’on lui traduise les termes electronic mail (e-mail, en abrégé), traduction qui vaudra pour toute la francophonie. Il explique qu’il s’agit d’un système de diffusion qui reproduit la note de service traditionnelle (comprenant les rubriques « Expéditeur », « Destinataire » et « Objet »), à l’aide d’un logiciel permettant à des interlocuteurs de s’envoyer des messages par voie électronique. Il y a cependant deux contraintes : le mot ne peut excéder huit lettres non accentuées.
Ayant déjà en tête la traduction courrier électronique, M. Dugal suggère le mot-valise courriel (6 + 2 = 8), facile à prononcer. Pour s’assurer que M. Zarras l’avait bien écrit au bout du fil, M. Dugal lui fait répéter, deux fois plutôt qu’une, chacune des lettres du néologisme. Fin de l’échange.
M. Dugal quitte Xerox trois ans plus tard. Le temps passe. Quelle ne fut pas sa surprise de lire en 1990 le fameux terme en toutes lettres dans Le Nouvel Observateur. Reconnu comme étant d’origine québécoise, courriel a fait florès depuis. Il a même été adopté officiellement par le Québec et la France [4].
M. Dugal ne sait pas ce qu’il est advenu de MM. Lapointe [5] et Zarras. La seule « preuve » à l’appui de ses dires est une note manuscrite dans son vieil agenda, à la page du vendredi 29 août 1980, entre 16 et 17 heures : « G. Zarras – E-mail – Courriel » [6].
Chapeau M. Dugal, vous avez inventé l’un des plus beaux mots du XXe siècle, qui, du reste, a fait des petits : courrieller [7] et pourriel [8] (voici des mots qui ne finiront pas comme le ridicule gaminet). C’est enrichir la langue française que de nommer les nouvelles réalités et choses dans des mots qui lui font écho (et c’est aussi faire preuve d’inventivité). Ces nouveau-nés sont mille fois préférables à e-mail [9], e-mailer [10] et spam [11], qui sont orphelins et mort-nés chez nous.
Sylvio Le Blanc
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec