Benoît Bréville dénonce le mirage d’un ,certain apaisement : Depuis que M. Emmanuel Macron a décrété la dissolution de l’Assemblée nationale, les esprits s’échauffent. Des élus sont agressés, des permanences saccagées, des militants tabassés. Les menaces pullulent sur les réseaux sociaux, les dirigeants politiques s’invectivent. Dans les médias, journalistes et commentateurs s’inquiètent d’une flambée de violence politique qui embraserait tout l’Occident, à commencer par les États-Unis où M. Donald Trump vient d’échapper à une tentative d’assassinat — comme avant lui le premier ministre slovaque Robert Fico et l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro.
Bruno Amable analyse la grande désillusion politique : sur quelle stratégie reposait la victoire en 2017 du candidat Emmanuel Macron et d’En marche ? L’exploitation puis l’accentuation de la rupture des blocs de gauche et de droite : elles permettaient d’en agréger les fractions aisées ou diplômées autour de l’approfondissement de la transformation néolibérale ainsi que de la poursuite de l’intégration européenne. Ce bloc bourgeois avait pour principal atout son homogénéité sociologique et politique ; pour talon d’Achille, sa faiblesse numérique qui commandait de rallier d’autres groupes sociaux.
Le contenu du projet – dont l’essentiel était une série de réformes affaiblissant l’État social — rendait illusoire un élargissement à gauche. Seul pouvait s’envisager le renfort de groupes provenant de l’ancien bloc de droite. Un premier ministre issu des Républicains (LR), M. Édouard Philippe, a donc formé un gouvernement dont les portefeuilles les plus importants ont échu à des personnalités conservatrices. Le personnel venu de la gauche n’a, lui, cessé de diminuer. Jusqu’à ne plus comprendre que des figures de second plan aux positions subalternes, ou quelques autres à l’identité politique confuse après un bref passage au Parti socialiste (PS), comme M. Gabriel Attal.
Cette tactique a déterminé la politique — démantèlement du droit du travail, réformes des retraites ou de l’indemnisation du chômage, répression brutale des mouvements sociaux — mais aussi les recompositions. Elle a en particulier approfondi la fracture à droite entre néolibéraux acquis à la stratégie du bloc bourgeois et tenants d’un programme proche de celui de l’extrême droite.
Un nouvel article sur l’IA (Evgeny Morozov) : Les progrès de l’intelligence artificielle éblouissent mais interrogent : la technologie ne passe-t-elle pas à côté de l’essentiel ? Dans les années 1970, des informaticiens hippies rêvaient de machines qui aident à développer notre intelligence « naturelle » et notre rapport au monde.
Laurent Dauré dénonce vigoureusement l’attitude de la plupart des médias après la libération de Julian Assange : La libération du journaliste australien, fin juin, clôt un calvaire de quatorze ans. Elle n’allège pas en revanche la responsabilité de ses persécuteurs. Dans ce domaine, Washington, Londres et Stockholm ont agi avec la complicité d’une institution censée dire la vérité au pouvoir et protéger les innocents : la presse, pour une fois assez peu confraternelle…
Depuis le 25 juin 2024, grâce à un accord de plaider-coupable conclu avec le ministère de la justice américain, Julian Assange est libre. Mais la presse mondiale n’a pas tiré ce feu d’artifice euphorique qui aurait accueilli le retour à la vie commune de n’importe quel journaliste enfermé pendant quatorze ans pour avoir révélé des crimes de guerre. L’ambiance éditoriale était teintée d’une étrange retenue. « Ses actions ont divisé l’opinion », constatait The Guardian (26 juin), principal quotidien de « gauche » au Royaume-Uni, qui avait publié plusieurs dizaines d’articles hostiles au fondateur de WikiLeaks. Invariablement, les portraits consacrés à l’heureux dénouement accordent une large place aux détracteurs : « un divulgateur imprudent qui a mis des vies en danger » The New York Times, du 27 juin, « quelqu’un qui recherche la publicité » (BBC, 25 juin), « soupçonné de servir les intérêts de Moscou » (FranceInfo, 25 juin), bref, un « personnage trouble » (Le Monde, 27 juin). Pour le quotidien vespéral, cette mauvaise réputation s’expliquait aisément : « Julian Assange n’a cessé d’alimenter la controverse. » Une controverse que les journalistes avaient eux-mêmes largement nourrie avant de la décrire comme un fait…
Elias Périgueur raconte comment l’Espagne est devenue la maison de retraite de l’Europe :
Heureux comme un aîné français à Alicante — ou allemand, ou britannique. Sur la Costa Blanca, mais aussi en Grèce, au Portugal, ils sont toujours plus nombreux à prendre leur retraite au soleil du sud de l’Europe. Plus douce la vie, plus bas les prix. Mais, en Espagne, ceux de l’immobilier tendent à augmenter du fait de l’afflux d’étrangers. La population locale peine ainsi à se loger tandis que son environnement ne cesse de se dégrader.
Ça bouge dans le Pacifique sud (Géraldine Giraudeau) : En juillet, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont participé à Washington au sommet de l’Alliance atlantique. Wellington envisage même la conclusion d’un nouveau partenariat avec celle-ci. Il s’agirait de contenir la Chine qui, de son côté, soigne ses relations avec les îles Salomon ou Kiribati. Dans ce contexte — et dans l’épreuve climatique —, les territoires océaniens se trouvent piégés, sommés de choisir un camp.
Pour Jean-Arnault Dérens et Laurent Géslin, la Chine grignote les Balkans aux marges de l’Europe : Aux marges de l’Europe, la Chine grignote les Balkans.
Les nouvelles routes de la soie passent par l’Albanie, le Monténégro, jusqu’en Slovénie. Mais c’est avec Belgrade que Pékin a noué les liens les plus étroits, sur la base d’une amitié née en 1999, sous les bombes américaines qui détruisaient l’ambassade chinoise de l’ex-capitale yougoslave. Aujourd’hui, cette relation privilégiée contribue au dynamisme de l’économie serbe, sans toujours emporter l’adhésion de la population.
Un article surprenant d’Anne Dominique Correa : Buenos Aires capitale de la psychanalyse. Tous, ou presque, en thérapie ? C’est à coup sûr le pays qui compte le plus de « psys », la « patrie symbolique » de Jacques Lacan. Les liens historiques entre Argentine et Europe ne suffisent pas à expliquer une longue hégémonie… aujourd’hui remise en cause par d’autres formes de traitement de la souffrance psychique, voire par le développement personnel. il y en a à tous les coins de rue. María Bondoni, 33 ans et passionnée de littérature, accueille ses patients sur un canapé gris et austère, orné de quelques coussins jaune et rouge, tout près d’une petite place au pied d’une église. Cinq minutes de marche plus loin, dans une rue parallèle, Nora Silvestri, la soixantaine, propose une thérapie d’orientation lacanienne, au premier étage d’un élégant immeuble haussmannien, à l’ombre d’un jacaranda. Quant à Lucila Aranda, qui se décrit comme « féministe » et « péroniste » sur son compte Instagram, elle est spécialiste des crises d’angoisse qu’elle traite dans son cabinet de l’avenue Santa Fe, à trois cents mètres de là.
En Californie, la guerre des plages n’aura plus lieu (Isabelle Bruno, Grégory Salle) : Nager, surfer, flâner, bronzer : dans l’État américain le plus riche, le droit à la plage fait l’objet de nombreux litiges. Devant les tribunaux, de grandes fortunes opposent leurs privilèges de propriétaires à des administrations qui, elles, envisagent le rivage comme un bien commun. Mais le recul du trait de côte s’accélère, et le problème se pose de moins en moins en termes contentieux.
Un extrait du roman de Marcus Malte Aux marges du palais : C’est un polar. Un roman social. Un récit d’anticipation. C’est une fable, une farce, une fantaisie. Un cauchemar burlesque. Ce qu’écrit Marcus Malte n’entre pas dans des cases. Il a le lexique en liberté, le rythme précis, l’imagination branchée sur la réalité, et vice-versa. En témoigne cet extrait inédit de son roman, politique et onirique, « Aux marges du palais ».
Johann Chapoutot revient sur les dessous de la prise de pouvoir d’Hitler : Contrairement à une idée reçue, Adolf Hitler n’est pas arrivé au pouvoir par les urnes. Dans un contexte de crises parlementaires à répétition et de paniques morales orchestrées par une presse aux ordres d’un magnat d’extrême droite, ce fut le résultat d’intrigues menées par des industriels et des banquiers. Tous entendaient casser l’élan électoral de la gauche, et abattre l’État social.
Charlotte Wiedemann étudie le rôle des juifs dans l’Afrique du Sud de l’apartheid : Trente ans après la fin de l’apartheid, la petite communauté juive d’Afrique du Sud est plus que jamais divisée. Une partie a profité du système raciste, l’autre a résisté. Deux leçons contradictoires de la Shoah s’opposent : celle d’un « plus jamais ça » universaliste, qui pousse les uns à soutenir Gaza, et celle de la singularité de la tragédie juive, qui inspire aux autres un sionisme conservateur.
Emmanuel Haddad décrit la puissance et la prudence du hezbollah au Liban :Répondre aux bombardements de l’armée de Tel-Aviv contre les populations civiles libanaises en ciblant des localités israéliennes jusque-là épargnées par les tirs de ses troupes. Cette menace récurrente de M. Hassan Nasrallah, le chef du parti-milice allié à l’Iran donne la mesure de la montée des tensions au pays du Cèdre. La population, elle, oscille entre soutien aux Palestiniens et refus d’une nouvelle guerre.
Thimothée de Rauglaudre nous présent l’empire ésotérique du Falun Gong : Les adeptes de cette doctrine millénariste se posent en victimes du Parti communiste chinois. Très actif aux États-Unis mais aussi en France où il n’hésite pas à relayer les meetings de certaines personnalités politiques d’extrême droite, leur mouvement a le soutien d’élus du Congrès américain et d’organismes proches de la Central Intelligence Agency (CIA).
Pour David Garcia, Arte est à l’avant-garde du conformisme : Publique, culturelle, exigeante : dans un univers audiovisuel écrasé par l’argent, le temps réel et l’audimat, la chaîne franco-allemande Arte tient du miracle. Séries et documentaires de qualité ont dilué son élitisme. Mais sa vision de l’histoire réduite au nazisme et au communisme, son atlantisme, et sa foi libérale-européenne cimentent une orientation éditoriale sermonneuse. Friande de ses séries sophistiquées, son cinéma d’auteur et ses documentaires fouillés, la bourgeoisie progressiste plébiscite la chaîne culturelle franco-allemande. Choix exceptionnel sur le Vieux Continent, Arte ne diffuse pas de série produite aux États-Unis. « C’est la plus grosse entreprise culturelle jamais conçue entre deux pays et la seule chaîne intégralement bilingue au monde », remarquait en 2022 M. Patrick Démerin, ex-responsable adjoint des soirées « Thema » d’Arte.
Malgré ou grâce à des audiences structurellement modestes (2,9 % de parts de marché en France, 1,2 % en Allemagne), elle a gagné ses galons d’institution consensuelle, par défaut en quelque sorte. Méconnue du très grand public, la chaîne n’est ni spécialement aimée ni franchement détestée, au-delà de son cercle de fidèles. « Elle est installée dans le paysage, les gens sont contents de l’existence d’Arte, même s’ils ne la regardent pas », résume son fondateur et ex-président Jérôme Clément, qui l’a dirigée pendant vingt ans. Apprécier une chaîne de télévision sans la regarder, est-ce bien raisonnable ? « Dire du bien de la chaîne culturelle et du mal des télévisions commerciales, c’est le pont aux ânes de ceux qui veulent paraître amis des arts et de l’intelligence, quand bien même ils regarderaient beaucoup plus souvent les secondes que la première », ironisait en 2002 Philippe Meyer, alors animateur et producteur à France Culture.
Anne Mathieu revient sur une espèce qui semble en voie de disparition : les chroniqueurs judiciaires « La plume et le prétoire ». Les chroniqueurs judiciaires apparaissent au XIXe siècle, avec l’ouverture des procès au public. Ces journalistes empruntent aux registres des romanciers ou des dramaturges. Observateurs attentifs des intrigues du prétoire, ils offrent à la presse des morceaux littéraires d’anthologie, dressant le portrait des accusés, jugeant du talent des avocats ou fustigeant l’impéritie des juges et des jurés. Morceaux choisis.
Quant à Lionel Richard, il offre un éclairage sur l’histoire du mot « intellectuel » :
Longtemps le mot a servi d’adjectif. À la faveur de l’affaire Dreyfus, « intellectuel » devient le nom de ceux dont les actes engagent la réflexion, gardiens de l’idéal républicain contre la presse d’argent, le sabre, le goupillon. La droite alors les moque, leur reproche de trahir les traditions. Jusqu’à ce que ses propres plumes en viennent à revendiquer le titre, et à en dévoyer le sens, éminemment politique.
Sylvain Bordiec oppose la solitude de riches à la solitude de pauvres : En décembre 2023 s’est tenu à Lyon le Congrès français de psychiatrie (CFP). À cette occasion, des médecins se sont réjouis de la récente création d’un ministère de la solitude au Japon et au Royaume-Uni : les pouvoirs publics prenaient enfin au sérieux la question de l’isolement. Confinements et couvre-feux imposés aux populations lors de l’épidémie de Covid ont focalisé l’attention sur ce sujet. « En janvier 2021, 24 % de la population âgée de 15 ans et plus est en situation d’isolement relationnel et n’a plus aucun lien avec son entourage ou de très rares échanges. Ce taux a augmenté de 10 points en un an », s’alarme en décembre 2021 le site officiel vie-publique.fr.
Des associations, comme la Fondation de France, se saisissent d’un « phénomène de société » désormais ausculté par des instituts de recherche et largement relayé par les médias. La lutte contre la solitude constitue en effet un laboratoire des politiques de protection sociale publiques-privées en vogue depuis le début des années 1980 dans les sociétés capitalistes : la mobilisation générale contre l’isolement est l’œuvre conjointe d’administrations toujours plus enclines à réduire leurs dépenses et d’associations de solidarité, d’entreprises et d’organisations philanthropiques soucieuses de communiquer sur leurs propres vertus. Toutes alertent sur les dangers inhérents à la solitude (dépression, suicide, pathologies chroniques, etc.), proposent des « bonnes pratiques » et imposent un discours ambiant : des jeunes absorbés par les réseaux sociaux aux vieux délaissés en maisons de retraite, la solitude toucherait tout le monde, sévirait partout et se propagerait comme une « épidémie » : la « maladie du siècle ».
Bernard Gensane
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir