Douguine s’explique
• Le philosophe de l’Eurasie présente ce qu’il juge être “l’idéologie de la Russie”, expliquant l’actuel destin de ce pays. • Et aussi : comment, dans cette logique, Douguine n’est absolument pas “le cerveau de Poutine”.
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Existe-il un corpus idéologique pour expliquer l’évolution de la Russie depuis l’arrivée de Poutine en 1999 ? L’homme le plus habilité pour répondre, et sans douter que sa réponse sera affirmative, est le philosophe Alexander Douguine. Il vient justement d’écrire un texte très court, concis, pour nous présenter cette “idéologie de la Russie”, d’autant plus intéressante que ce pays est engagé dans une guerre importante et qu’il a suivi une courbe économique et de production exactement contraire à celle qu’attendait le monde américaniste-occidentaliste en lui imposant le plus formidable paquet de sanctions (autour de 10 000, dit-on) qu’aucun pays n’ait eu à supporter.
Bien entendu, Douguine n’apporte pas une réponse satisfaisante pour la pensée bureaucratique (bien plus que “démocratique”) américaniste-occidentaliste. Philosophe de la métaphysique de la géopolitique, Douguine a des affirmations qui sortent complètement du champ de la pensée dite-rationnelle de notre civilisation aux abois ; pour certains, sinon pour beaucoup, elles relèvent de la farce ou de la croyance primaire. Cela explique beaucoup de chose (de notre côté).
Avant de présenter ce texte de “l’idéologie russe”, nous voulons vous présenter un extrait d’une interview de Douguine par Larry Johnson, où le second demande au premier :
« …Comment avez-vous acquis cette réputation d’être ‘le cerveau de Poutine’ [alors que vous affirmez ne pas l’être] ? »
La réponse de Douguine est très structurée. Elle s’appuie sur l’affirmation de l’existence d’un événement extérieur à eux tous (à nous tous), et qui nous est supérieur. Nommons cet événement ; “destin de la Russie”, – Douguine en tirera “l’idéologie de la Russie”… Chacun d’eux, Douguine et Poutine, se réfère à ct événement, mais de façon différente, et sans aucun lien entre eux deux. Douguine l’a identifié et l’a décrit, Poutine l’applique, éventuellement sans distinguer immédiatement les rapports de ses actes avec l’événement. Il est évident que cette explication, qui a un caractère universel, nous satisfait comme nous l’avons souvent laissé entendre d’une façon générale (pas seulement pour la Russie), mais qu’il représente pour cette “pensée bureaucratique américaniste-occidentaliste” une envolée totalement farfelue qu’il est préférable de discréditer par le sarcasme plutôt que d’essayer de prouver son inanité, – ce qui n’est pas du tout, mais pas du tout évident à moins d’en appeler au “politiquement correct”…
Voici donc la réponse de Douguine à Johnson :
« Je pense pour ma part qu’il y a deux niveau de perception de la Russie moderne.
» D’une part, il y monsieur Poutine avec toute la logique de son action politique, les décisions qu’il prend et les actes qu’il pose. Il est très difficile d’interpréter cela parce qu’il dit quelque chose et fait quelque chose de différent et tout semble comme s’il n’avait pas d’idéologie précise.
» Cela signifie qu’il est pragmatique mais il y a quelque chose de plus derrière lui, il y a une logique qui n’est pas évidente et il ne reconnaît absolument pas son existence. Cela crée une sorte d’énigme qui est le secret de Poutine.
» [D’un côté, on perçoit qu’]il y a quelque chose derrière lui et personne ne pourrait dire, de l’extérieur, quelle est la nature de la logique de cette idéologie, de cette doctrine géopolitique. D’un autre côté et dans un contexte complètement différent il y a mon explication de l’état de la géopolitique de l’État russe, de l’histoire russe, de la civilisation russe dans l’idéologie eurasienne, la vision de la multipolarité, la Théorie des forces politiques et de nombreuses autres choses que j ‘ai développées d’une façon complètement indépendante de Poutine et de sa politique.
» Mais quand vous mettez ensemble tous ces facteurs politiques, avec le comportement de poutine au niveau international et au niveau intérieur, que vous les combinez avec ma vision, vous arrivez à la conclusion qu’elles se correspondent parfaitement. Ce qui est intéressant, est que j’ai donné l’explication de l’avenir de la Russie et la géopolitique russe de l’Eurasie bien avant que Poutine n’arrive au pouvoir. Ainsi on peut dire que mon analyse personnelle n’est pas basée sur une relation personnelle avec monsieur Poutine mais sur la logique d’une analyse de la place de la Russie, de la Guerre et de l’Histoire du Monde, basée sur les lois de la géopolitique qui sont totalement indépendantes de la personne qui dirige la Russie.
» Mais Poutine et cette proximité finale de l’évolution extérieure à lui sont une particularité propre du personnage ; en contraste avec Eltsine et Gorbatchev, il est dès l’origine objectivement en conformité avec cette logique objective de l’histoire de l’indépendance politique de la Russie et c’est pourquoi nous nous rencontrons. Mais les cercles politiques occidentaux ne peuvent imaginer des choses comme la logique de l’Histoire et de la Providence, et toutes les choses de ce domaine, et alors ils sont arrivés à la conclusion que cela (notre rencontre) n’est possible que si je suis personnellement présent dans cette légende qui m’a couté beaucoup parce que je suis sanctionné comme si j’étais l’esprit de Poutine… »
On passe maintenant à “l’idéologie de la Russie”, dont le contenu n’étonnera personne mais contribuera à comprendre beaucoup de choses. (Original sur ‘geopolitika.ru’, version française ‘euro-synergies.hautefiort.com’).
Le traducteur précise ceci, d’une réelle importance pour comprendre que le “modèle Douguine“ n’est pas spécifique ni exclusif à la Russie.
« Dans ce texte, il suffit, pour nous Européens à l'ouest du Niémen et du Dniestr, de remplacer le mot “russe” par un terme désignant une Europe dé-occidentalisée (ou hespériale) et dé-libéralisée, une Europe qui a suivi l'injonction de Heidegger, celle de mettre un terme à la “métaphysique occidentale”. »
dde.org
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L’idéologie russe
La Russie a désormais une idéologie: les valeurs traditionnelles et les lumières historiques. En outre, l'établissement de la Russie en tant qu'État-civilisation (ou monde russe) dans le contexte de la multipolarité. Ils fixent un axe vertical immuable.
L'Occident est déclaré adversaire civilisationnel, ce qui signifie que le libéralisme est fini. Le libéralisme est une idéologie destructrice, tout libéral est dès lors un agent étranger.
La Grande Humanité (c'est-à-dire tout le monde à l'exception de l'Occident et de ses esclaves) est constituée d'alliés et de partenaires. Quelques privilégiés: la Chine, l'Inde, l'Iran, la RPDC.
Il s'agit d'une véritable idéologie dans tous les sens du terme.
Il est maintenant très important de mettre cette idéologie en pratique afin qu'elle ouvre la voie à l'avenir. Nous devons trouver et découvrir son potentiel interne, les énergies qu'elle renferme. Elles existent à coup sûr. Une lutte commune contre l'Occident en se posant comme civilisation alternative, ça vaut quelque chose ! Et c'est déjà beaucoup, beaucoup. Nous rejetons en Occident, tout d'abord, la modernité, – l'antichristianisme, l'athéisme, le libéralisme, l'individualisme, les marottes LGBT (interdites en Russie) et la postmodernité. Mais il faudra à un moment donné s'attaquer au capitalisme, un phénomène également occidental et répulsif, antirusse. Désormais, l'Occident ne doit plus faire l'objet d'une copie aveugle, mais d'une critique sans fin. Mais c'est au cours de cette critique que l'on découvrira nos propres affirmations alternatives :
• L'orthodoxie,
• une foi fervente et active,
• le lien organique et subtil entre les choses et les personnes,
• la solidarité, l'amour,
• la solidarité, la famille fidèle,
• l'exploit, le saut du devenir à l'être,
• la grande volonté de construire le pouvoir,
• la justice,
• le salut de l'homme et du monde face à l'enfer qui nous attend.
L'Occident se veut universel, il dicte à tous les autres ce qu'est un être humain, ce que sont la vie, le corps, le temps, l'espace, la société, la politique, l'économie. Et c'est contre cela que nous, en tant qu'État-civilisation, avançons aujourd'hui notre idée alternative, celle de l'homme russe, de la vie russe, du corps russe, du temps russe, de l'espace russe, de la société russe, de la politique russe, de l'économie russe. C'est cela qui est fascinant. Tout cela ne doit pas seulement être défendu, mais redécouvert et même recréé. Et ce qui n'existe pas, il faut l'imaginer, le concevoir, le construire.
La première partie à jouer c'est d'achever l'éradication de l'occidentalisme. La seconde, c'est la création de l'avenir russe.
Il n'est pas très difficile de démanteler le libéralisme que l'on imite servilement. Ce processus est aujourd'hui en plein essor. Mais jusqu'à présent, le libéralisme se transforme en quelque chose de neutre, d'indéfini, d'obéissant, mais d'incompréhensible. C'est bien, c'est la première phase de la transformation idéologique. Retirez ceux qui savent ce qu'il faut faire et comment le faire, mais dans un sens antirusse. Laissez-les être remplacés par ceux qui ne savent pas quoi faire et comment le faire, mais qui savent qu'il est absolument impossible de le faire comme l'Occident l'ordonne et comme les russophobes et les libéraux le veulent.
La deuxième phase se profile à l'horizon. L'émergence de personnes qui veulent tout faire à la manière russe, conformément aux valeurs traditionnelles et à la lumière historique, et qui sont prêtes à apprendre comment le faire et ce que cela signifie. Non seulement à apprendre, mais aussi à essayer, à expérimenter, à créer.
L'avenir de la Russie est ouvert. Il n'y a pas de dogmes, il est inspiré par l'ouverture de l'éternité elle-même, il tend la main à la Providence de Dieu, afin que Dieu lui-même travaille à travers les Russes, avec nos mains, pour créer un monde meilleur, tel qu'il a été conçu, tel que le Christ l'a sauvé. Nous devons devenir des bâtisseurs du Royaume.
Notre idéologie est l'édification de la nouvelle Jérusalem. Et c'est entièrement dans le futur, et donc dans l'éternel.
Alexander Douguine
Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org