Je n’ai pas vu le documentaire de Pierre Barnérias, Les Survivantes, projeté en mai dernier dans quelques salles. Mais j’ai visionné deux interventions de la principale « survivante » témoignant dans le film, Hélène Pelosse :
son entretien avec André Bercoff sur Sud Radio le 27 mai ;
son intervention après la projection du film à Genève le 16 juin.
Voici mon analyse.
Commençons par la biographie d’Hélène Pelosse, que je puise dans Wikipédia : née en 1970, diplômée de l’ENA à 26 ans, puis de deux masters en droit public et sciences politiques, elle fut directrice adjointe au sein du cabinet du ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo, de 2007 à 2009. En 2009, elle est élue directrice générale par intérim de l’Agence internationale des énergies renouvelables. Elle a démissionné de son poste en 2010.
Voici maintenant un extrait de son témoignage devant la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, déposé en décembre 2020, disponible sur morpheus.fr :
« Je suis ici pour témoigner ce dont j’ai été victime enfant, à savoir des abus rituels sataniques comportant viols, tortures et sacrifices humains et impliquant des prêtres et des évêques de France.
Ce type de traumatisme qui relève de programmes démoniaques de contrôle mental est d’une atrocité sans nom. Il est particulièrement difficile de s’en souvenir en raison des facteurs suivants : il est recouru à des drogues et à des rituels de magie noire pour écraser la mémoire des enfants, sans compter le verrouillage du traumatisme dans une crypte par l’amnésie post-traumatique particulièrement sévère en raison du jeune âge, de la participation de membres de la famille et du degré d’atrocité des tortures commises. »
Dans son témoignage, Hélène Pelosse inclut la citation suivante d’Alexandre Lebreton, dont je parlerai plus loin :
« Les fonctions naturelles dissociatives et amnésiques de l’esprit humain peuvent être exploitées dans un but de manipulation et d’exploitation de l’individu. Si ce trouble de la personnalité fractionnée avec ses murs amnésiques n’est pas – ou si peu – enseigné dans les facultés de médecine et qu’il est systématiquement controversé et décrédibilisé par une élite d’experts, c’est parce qu’il est l’axe principal du contrôle mental pratiqué par certaines organisations occultes dominantes. » (Franc-maçonnerie et Schizophrénie, Alexandre Lebreton, page 89).
D’après la bande-annonce, le film Les Survivantes fait une référence appuyée au fameux documentaire d’Élise Lucet diffusé sur France 3 en 2000. J’en parlerai également plus loin.
Dans son entretien avec Bercoff, Hélène Pelosse fait une révélation très importante : elle a eu, dit-elle, « une amnésie post-traumatique de 42 ans ». Elle voulait sans doute dire : « jusqu’à 42 ans », puisqu’elle précise ensuite que ce n’est qu’à 42 ans qu’elle s’est souvenu des abus sexuels sataniques qu’elle a subis dans son enfance. Jusque-là, elle vivait une vie normale et même visiblement une carrière très réussie dans la haute administration. Avant 2012, dit-elle, « je ne me souvenais de rien ». C’est un traumatisme, apparemment causé par des menaces de mort dans son milieu professionnel (probablement en 2010, puisque c’est à cette date qu’elle démissionne de ses fonctions), qui l’ont, deux ans plus tard (2012) « ramené dans son inconscient » et ont donc fait surgir les souvenirs d’abus sexuels durant sa petite enfance. Pour décrire l’émergence des souvenirs, elle précise : « Je ne me suis pas souvenu avec ma tête, mais avec mon corps. » Elle ne le précise pas, mais, comme on va le voir, il est probable que ces souvenirs soient survenus dans un contexte psychothérapeutique.
De quoi s’agit-il ? De son grand-père, franc-maçon satanique : « Il a commencé à faire des choses avec ma mère, qui ne se souvient bien sûr de rien, qui ne s’est jamais souvenu de rien. » Puis ce grand-père s’en serait pris à ses petits-enfants, les frères et sœurs et cousins d’Hélène, qui eux non plus ne se souviennent de rien. Comme elle le précise bien, Hélène est la seule de sa famille à se souvenir. Il faut en déduire que personne dans sa famille ne prend ses souvenirs au sérieux.
Dans son intervention à Genève, Hélène Pelosse livre d’autres détails. Elle dit avoir été victime d’une « tentative de meurtre par ondes » avant qu’elle ne parle à Pierre Barnérias. Et après l’enregistrement de son témoignage, « ils m’ont brûlé le sexe à distance, toujours avec des ondes ». Parmi les survivantes, dit-elle, « certaines ont été violées dans des rituels sataniques où il y avait le président François Hollande », certaines torturées dans des rituels qui ont lieu sous la pyramide du Louvres avec le président Macron.
Elle révèle ensuite que « les morts » (les victimes de rituels sataniques, certaines découpées en morceaux) lui apparaissent pour lui demander de témoigner pour les libérer de l’enfer. Elle a parfois des visions dans lesquels elle reconnaît les personnes « consacrées », par quoi elle entend des personnes programmées pour participer à ces rituels en tant qu’abuseurs : « Moi, j’ai des visions comme ça, les consacrés, je les vois – dans le réel, il y a quelqu’un devant moi – et puis je vois, ils ont des pieds de boucs. »
Visiblement très religieuse, elle fait part d’autres expériences surnaturelles. « Moi, je prie l’Esprit saint et je lui dis : montre-moi, si la personne elle est sous contrôle mental, ou non. »
Il me semble évident qu’Hélène Pelosse est sincère. Elle ne ment pas. Elle croit à ses propres souvenirs, et donc à son amnésie traumatique de 40 ans environ. Cependant, la question est : ses souvenirs sont-ils de vrais souvenirs, ou bien de faux souvenirs ? Toute personne doté d’un minimum d’esprit critique doit se poser la question. Douter du témoignage d’une victime d’abus sexuel est évidemment prendre le risque d’être soupçonné de protéger les coupables, de contribuer à l’omerta, et donc d’être complice du système. L’accusation m’a été portée dans un ridicule « dossier Guyénot » qui circule sur X/Twitter, et le sera certainement encore. Mais la rigueur logique exige néanmoins de ne pas se contenter de « croire » sans chercher à comprendre.
Pour comprendre, il est indispensable de connaître la controverse que suscitent depuis les années 1970 les « souvenirs retrouvés » (recovered memories) par des adultes (presque exclusivement des femmes) d’abus sexuels, sataniques ou non, vécus durant leur enfance, « souvenirs retrouvés » qui supposent une « amnésie traumatique » complète durant plusieurs décennies. Je vous invite pour cela à relire un long article que j’ai publiés sur E&R : « La fabrique des faux souvenirs et le dossier MK-Ultra » (mai 2022), dont je vais ici reprendre quelques éléments.
Il s’agit, dans l’immense majorité des cas, de femmes ayant suivi une forme ou une autre de psychothérapie régressive (Recovered Memory Therapy), dont la caractéristique est de chercher la clé des problèmes psychologiques présents dans les souvenirs traumatiques refoulés de l’enfance, et d’utiliser pour cela l’hypnose ou des techniques approchantes, qui provoquent un état de conscience modifiée, hautement suggestionnable. Des femmes se « souvenant » ainsi avoir été violées ou abusées ont réussi, dans un premier temps, à faire condamner leurs parents ou proches (le cas de la famille Ingram que je raconte au début de l’article est particulièrement saisissant), mais il s’est rapidement avéré que, dans certains cas, les « souvenirs » des plaignantes étaient des faux souvenirs induits sous hypnose. La justice de la plupart des États rejette donc depuis ce genre de témoignage. Cela explique que les plaignantes voulant faire condamner des personnes sur la base de « souvenirs retrouvés » des années après les faits, évitent désormais d’expliquer dans quel contexte leur souvenirs ont émergés. C’est très probablement le cas d’Hélène Pelosse, qui a quitté ses fonctions en 2010 suite à des « menaces de morts » dans son milieu professionnel (pour lesquelles elle ne mentionne aucune suite judiciaire), mais qui dit que ses souvenirs ont émergés en 2012, ce qui indique que son « traumatisme » professionnel n’a pas été le seul facteur déclenchant.
Dans mon article « La fabrique des faux souvenirs », vous trouverez un certain nombre de cas tout à fait comparables à celui d’Hélène Pelosse. Vous apprendrez également que le phénomène des souvenirs induits sous hypnose dépasse largement le cadre des abus sexuels, puisque c’est par les mêmes techniques que des dizaines de milliers de personnes se sont « souvenues » avoir été enlevées (abucted) par des extra-terrestres.
Le scénario classique est le suivant. Une femme consulte un psychothérapeute pour un problème relativement bénin (crise conjugale ou professionnelle, problème de poids, dépression, etc.). Le psy, adepte de la théorie selon laquelle l’inceste explique tout, et d’un modèle quasi-informatique de l’esprit humain selon lequel tout souvenir est stocké intact quelque part, encourage sa patiente à retrouver des « souvenirs refoulés », la soumettant pour cela à des conditionnements émotionnels divers, et souvent à des séances d’hypnose. La patiente finit par produire des « souvenirs » d’inceste. Au fil des séances, de nouveaux souvenirs apparaissent, de plus en plus atroces, allant éventuellement jusqu’à des scènes de viols collectifs, de meurtres rituels, de cannibalisme, etc. Les thérapeutes qui accompagnent les patientes dans cette descente aux enfers soutiennent que les scènes visualisées correspondent à des événements réels de la vie de la patiente, dont le souvenir aurait été massivement « refoulé » (repressed). Mais loin d’avoir résolu son problème initial, la patiente se transforme en victime paranoïaque, et il n’est pas rare qu’elle finisse à l’hôpital psychiatrique, après avoir traîné ses proches au tribunal sous les accusations les plus horribles.
Certaines de ces patientes, de plus en plus nombreuses à mesure que le phénomène des faux souvenirs a été mieux connu, finissent par mettre en doute leurs « souvenirs » et parfois se retournent en justice contre leurs thérapeutes. Elles passent du camp des incest survivors à celui des retractors. Selon leurs psychothérapeutes, elles ont cédé à la pression sociale et à la honte, et sont retournées dans le « déni ». Mais elles pensent avoir été victimes de manipulation mentale de la part de leurs psychothérapeutes. Nombre de ces ex-patientes se sont regroupées en association et publient une lettre d’information, The Retractor. Certaines ont publié leurs témoignages, comme Meredith Maran, auteur de My Lie : A True Story of False Memory (2010).
Le débat est loin d’être clos. Peu de psychothérapeutes ont fait amende honorable. La plupart crient au complot, et s’efforcent de convaincre leurs patientes que les gens qui parlent de « faux souvenirs » sont motivés par une idéologie réactionnaire et veulent perpétuer le déni de l’inceste. La False Memory Syndrome Foundation est accusée d’être une couverture pour les pédophiles. Tout au long des années 1990, le sujet a secoué et divisé la profession des psychiatres et psychothérapeutes, qui restent encore incapables, d’un côté comme de l’autre, de donner une explication pleinement satisfaisante des phénomènes (il n’y a pas, à mon sens, d’explication possible sans intégrer une dimension paranormale). Des spécialistes de la mémoire ont cependant publié des études très éclairantes, comme Elizabeth Loftus, présidente de l’American Psychological Association, dans son livre Le Syndrome des faux souvenirs. J’ai moi-même fait traduire ce livre en français et l’ai publié en 1997 aux éditions Exergue que j’avais créées (puis revendues en 2001). J’ai par ailleurs écrit quelques articles sur ce sujet, dans le cadre de la promotion de ce livre.
Il faut, bien entendu, replacer ce phénomène dans le cadre du féminisme, dont l’un des effets est l’obligation de croire sur parole toute femme atteinte, soit spontanément, soit sous influence, de symptômes que la médecine nommait jadis l’hystérie.
Abus rituels sataniques
Dans les années 90, le phénomène a pris une tournure particulière, avec des cas de jeunes femmes se souvenant, toujours à un âge adulte, avoir été soumis à des rituels sataniques. Dans la très grande majorité des cas, ces souvenirs émergeaient soit dans le cadre d’une psychothérapie « régressive », utilisant des techniques hypnotiques, soit dans le cadre de cérémonies religieuses visant à faire entrer par la prière les fidèles en relation avec « l’Esprit saint ». Je reprends ci-dessous ce que j’écrivais en mai 2022.
Dans leurs « flashbacks », des centaines de patientes ont vu des scènes d’une obscénité et d’une violence inouïes, se passant dans un cadre satanique. Sous hypnose, elles se « remémoraient » avoir subi, dans leur enfance ou leur adolescence, des sévices et des tortures atroces au cours de rituels sataniques impliquant de nombreuses personnes de leur famille ou de leur entourage.
Sur la base de tels témoignages, la rumeur s’est répandue qu’un vaste réseau sataniste sévissait en Amérique ; leurs rituels comportaient des tortures, des viols collectifs et la consommation de chair humaine, notamment celle de bébés assassinés devant leur mère. Les satanistes possédaient des techniques de manipulation mentale leur permettant de faire oublier à leurs victimes tout ce qu’elles subissaient dans ces rituels nocturnes, de sorte que celles-ci menaient une vie d’apparence normale durant le jour.
La rumeur, relayée par les grands médias, prit une ampleur telle que le FBI fut mis sur l’affaire. Aucune trace n’a pu être trouvé des dizaines de milliers de fœtus et de bébés que les satanistes étaient réputés avoir massacrés. Mais, bien sûr, cela ne fit qu’agrémenter la rumeur du soupçon de la complicité du FBI.
La touche satanique des souvenirs récupérés avait été introduite en 1980 par un livre retentissant, Michelle Remembers. Michelle Smith, une femme de vingt-sept ans, souffrait d’une dépression consécutive à trois fausses-couches, lorsqu’elle consulta le psychiatre Lawrence Pazder. Au bout de quatre ans de thérapie, Michelle commença à « se rappeler », dans une forme de transe hypnotique, des scènes dignes d’un film d’horreur. Encouragée par l’écoute attentive, fascinée et crédule envers son psychiatre, elle finit par se convaincre qu’elle avait subi, lorsqu’elle avait cinq ans et durant plus d’une année, des sévices sexuels et des tortures entre les mains d’une secte satanique, menée par le diable en personne, et dont sa mère (décédée à l’époque de la thérapie) aurait été membre. « Ses souvenirs profondément enfouis, restés virtuellement intacts durant vingt-deux ans, ont fait surface avec une pureté qui est un phénomène en soi », commente le docteur Pazder. Entre autres choses, Michelle aurait été enfermée nue dans une cage pleine de serpents, ou encore enterrée vivante dans une tombe ; elle aurait été témoin du massacre de plusieurs bébés et de fœtus humains, et elle aurait été forcée de commettre des actes sexuels d’une rare obscénité. Après chaque événement, un mécanisme de refoulement programmé par la secte serait entré en action, si bien que Michelle aurait continué une vie d’apparence normale et aurait tout oublié jusqu’à sa vingt-septième année (tandis que ses deux sœurs, elles, n’ont jamais rien remarqué). Michelle Remembers fut un immense succès de librairie, et fut largement responsable de la satanic panic des années 90.
Certaines églises évangéliques américaines, obsédées par le démon, ont fait grand usage des souvenirs récupérés de SRA (Satanic Ritual Abuse). Plusieurs psychothérapeutes qui ont aidé des patients à produire des faux souvenirs de satanisme étaient des pasteurs évangéliques, ou pratiquaient dans un cadre religieux. Parmi la littérature chrétienne, on retiendra Dance With the Devil, un témoignage par Audrey Harper, une chrétienne born again qui se « rappelle » avoir été plusieurs fois fécondée pour mettre au monde des bébés destinés à être consommés lors de rituels sataniques.
L’exploitation politique du phénomène
J’ai publié en 2020 une analyse critique du documentaire Out of Shadows, que je vous encourage également ou relire.
J’y abordais l’exploitation politique du sujet de la pédocriminalité satanique par le mouvement QAnon, lequel peut être considéré, avec le recul, comme une PSYOP de l’équipe de Trump. J’écrivais : « Ce film est une production du réseau de QAnon, qui depuis quatre ans annonce que le monde sera sauvé dès que Trump aura neutralisé le réseau des criminels satanistes qui gouvernent le monde, ce qui ne saurait tarder (la dernière prophétie de QAnon l’annonçait pour Pâques 2020). » Rien n’est plus mobilisateur qu’un ennemi, et plus l’ennemi est diabolisé, plus efficace sera la propagande. Et l’on sait, bien entendu, qui a la capacité de fabriquer des ennemis imaginaires ou de détourner l’attention de son pouvoir malfaisant.
Le documentaire Out of Shadows est un cas d’école, car l’imposture me semble assez flagrante. L’amalgame récurrent entre nazisme et satanisme est particulièrement significatif. Je notais également que faire du satanisme l’ennemi archétypal est une stratégie qui induit un sentiment collectif d’impuissance qui rend les populations particulièrement vulnérables à l’asservissement. D’une part, combattre Satan est une façon de ne rien combattre du tout. Mais surtout, Satan est réputé très puissant, il fait peur, et la peur paralyse. On s’en remet donc à la prière et aux urnes : Trust the plan.
Le reportage d’Élise Lucet
Le dossier des faux souvenirs concerne aussi les enfants. Dans Le Syndrome des faux souvenirs, Elizabeth Loftus démontre qu’il est facile de générer des faux souvenirs chez les enfants. De plus, les enfants ont tendance à croire à leurs propres affabulations si les adultes y croient. Sur ce sujet comme sur d’autres, il est imprudent d’énoncer des généralités, il faut discuter au cas par cas, et il faut tenir compte du contexte : il n’est pas rare que des enfants de couples divorcés très conflictuels, soient manipulés (même inconsciemment) par leurs mères. Cela semble être le cas des enfants Pierre et Marie qui sont au centre du fameux documentaire d’Élise Lucet diffusé sur France 3 en 2000, dont le documentaire de Pierre Barnérias fait à son tour grand usage. Quelques recherches permettent de comprendre que, si ce reportage d’Élise Lucet a disparu du site de France 3, c’est simplement parce qu’il est si malhonnête qu’il a dû susciter des poursuites judiciaires bien méritées. Il déforme certains faits et omet des informations et des expertises (psychologiques et physiques) cruciales qui ont justifié le non-lieu. Je vous invite à lire l’article paru sur Libération : « Les lacunes d’un sujet choc de France 3 » (si vous faites confiance à France 3, alors pourquoi pas à Libération ?).
À mon sens, le témoignage de la petite Marie (10 ans au moment des « faits », 12 ou 13 ans au moment du reportage) n’est tout simplement pas crédible. Celui de son petit frère, visiblement entraîné par sa sœur, l’est encore moins. Les experts interrogés sont tout sauf convaincants : le psy Pierre Sabourin avec son divan, qui passe 3 ans à faire dessiner les enfants, le pédopsychiatre Philippe Mazet qui a pour unique argument qu’il n’a « pas du tout, mais alors pas du tout du tout l’impression que les enfants affabulent », et le sociologue Paul Ariès avec sa théorie débile c’est inimaginable donc c’est vrai » (autrement dit, plus c’est gros, plus ça passe !).
Encore une fois, je n’en tire aucune conclusion générale. J’incite simplement chacun à faire usage de son sens critique, et à développer un peu de méthodologie et de rigueur d’analyse.
MK-Ultra selon Alexandre Breton
Reprenant ici une partie de mon article de 2022, je voudrais mettre en cause très directement le travail d’Alexandre Lebreton, qui à l’évidence a joué un rôle important dans le parcours d’Hélène Pelosse, et qui jouit dans la dissidence d’une notoriété que je trouve très dommageable.
Dans son livre MK Ultra. Abus rituels et Contrôle mental, Lebreton fait une grande place aux souvenirs d’abus sexuels retrouvés lors de séance de thérapie hypnotique. Il n’est pas troublé par le fait que, dans la plupart des cas de ce type, les « souvenirs retrouvés » vont s’élaborer au fil des séances. La patiente va d’abord se persuader qu’elle a vécu « des trucs incestueux », et après s’être documentée, finit par se souvenir de programmation Monarch. Ainsi Lebreton rapporte au sujet de Brice Taylor, traitée par la thérapeute Catherine Gould : « Ce sont d’abord les abus sexuels dans l’enfance qui sont remontés, puis les souvenirs d’abus rituels sataniques et enfin les mémoires concernant la programmation MK. »
Jamais Lebreton ne considère la possibilité que de tels « souvenirs » soient au contraire le produit d’un trouble de la personnalité, aggravé par des pratiques dangereuses d’hypnothérapies. N’est-ce pas pourtant une hypothèse à prendre en compte ? On admet facilement que certaines de ces patientes qui élaborent des scénarios complexes d’abus durant leur petite enfance ont réellement été abusées d’une manière plus classique, ou ait été perturbé par une atmosphère familiale toxique, incluant peut-être un « secret de famille », et que cela ait causé une fragilité psychologique.
Parfois, les « souvenirs » d’enfance remontent à la suite d’un traumatisme réel à l’âge adulte. Ainsi en est-il de Claudia Mullen, mentionnée par Lebreton : j’apprends, en quelques clics, que ses « souvenirs » d’enfance lui sont apparus après que, ayant subi un viol à l’âge adulte, elle entra en thérapie en 1992 avec Valérie Wolf. Cette dernière estima qu’elle avait les symptômes de la survivante d’inceste, la mit sous hypnose, et l’aida à produire les « souvenirs » souhaités. Dans certaines conditions, un traumatisme physique avec hospitalisation peut déclencher des troubles mentaux, qui vont s’aggraver en thérapie : « En 1985 et en 1987, Brice Taylor, écrit Lebreton, a eu deux graves accidents. Ce sont les chocs provoqués par ces accidents qui ont commencé à faire remonter les souvenirs de son passé… beaucoup de souvenirs. »
Loin de moi l’idée que tous les « souvenirs » produits sous hypnose s’expliquent facilement. Chaque cas est particulier, et certains sont extrêmement troublants, démontrant des facultés et des fragilités de l’âme humaine qui sont hors du commun. Mais ce qui est problématique, c’est l’empressement des auteurs de littérature à succès à faire rentrer tous les cas dans un grand sac unique auquel ils attachent l’étiquette qui leur plaît – l’étiquette MK-Ultra dans le cas de Lebreton.
Lebreton s’inscrit dans une école lancée par un livre paru en 1995, dont le titre français est L’Amérique en pleine transe-formation, et dont le sous-titre anglais est The True Life Story of a CIA Mind Control Slave. Dans ce livre, Mark Phillips raconte comment il arracha Cathy O’Brien et sa fille à un réseau gouvernemental qui avait fait d’elles des esclaves sexuelles. Sur la page Amazon du livre on lit que « C. O’Brien est une ancienne victime des expériences gouvernementales américaines de contrôle de l’esprit et a pu recouvrir ses « mémoires » grâce aux travail et soutien de son compagnon Mark Phillips ». Les « expériences gouvernementales » pratiquées sur Cathy depuis son plus jeune âge aurait fractionné son esprit en personnalités multiples, de sorte que, écrit-elle : « J’avais une personnalité pour la pornographie, une personnalité pour la bestialité, une personnalité pour l’inceste, une personnalité pour résister aux horribles abus psychologiques de ma mère, une personnalité pour la prostitution, et le reste de « moi » fonctionnait un peu « normalement » à l’école. » Cathy, donc, fonctionnait à peu près normalement à l’école, c’est pourquoi ni ses proches ni elle-même n’avaient rien remarqué. La manière dont Phillips aida Cathy à « récupérer » ses souvenirs est sans surprise :
« Mon plus grand défi était d’apprendre à contrôler l’état de transe constant de Cathy pendant qu’elle mettait ses souvenirs par écrit. […] grâce à mes propres recherches intensives en hypnothérapie, j’ai appris à contrôler les états de transe de Cathy. Je considérais cela comme une façon de la déshypnotiser. J’en vins à être considéré par les médecins de santé mentale comme un « expert » dans l’application de cet outil clinique peu utilisé pour récupérer la mémoire. »
Phillips est souvent décrit comme « un familier de la CIA », mais rien n’étaye cette prétention, et son récit me fait l’impression d’un tissu d’affabulations de la part d’un personnage trouble, qui ne cache d’ailleurs pas ses fréquentations criminelles. Il me semble probable que c’est Phillips, et non la CIA, qui a fait de Cathy O’Brien son esclave par l’hypnose, dans un but à la fois narcissique et mercantile.
Le manque de recul critique de Lebreton par rapport à ce cas et tant d’autres provient en partie de sa conception de la mémoire humaine sur le modèle du disque dur d’ordinateur, programmable et compartimentable :
« Nous pouvons ainsi comprendre que l’esprit d’un individu est potentiellement programmable tel un ordinateur avec des fichiers et des codes d’accès. Ce phénomène de fracturation de la personnalité est la pierre angulaire des abus rituels car il « déverrouille » la psyché qui devient alors accessible pour y intégrer une programmation. »
Mais les limites de Lebreton viennent surtout du paradigme religieux qui domine sa vision du monde, et que résume bien cette phrase : « La puissance spirituelle ne peut venir que de deux sources : Jésus-Christ ou Satan… ». Mon expérience me dit qu’on ne peut attendre aucune rationalité sérieuse de la part de quelqu’un qui pense selon ces catégories. Le paradigme de Lebreton, emprunté à un traditionalisme d’inspiration évangélique, détermine son regard sur les religions non chrétiennes. Son chapitre 2 est un bric-à-brac informe de clichés assimilant toutes les religions antiques au satanisme, « sans oublier le druidisme celtique », et la gnose, bien sûr, et ainsi de conclure que MK-Ultra n’a rien inventé. Ainsi, « le Livre des morts des anciens Égyptiens est un des premiers écrits faisant référence à l’utilisation de l’occultisme pour de la manipulation mentale ». Ou encore : « Le culte à Mystères d’Éleusis utilisait dans ses rituels une potion sacrée appelée Kukeon qui contenait de l’ergot de seigle et qui se rapprochait beaucoup du LSD actuel (puissant hallucinogène). » Et ce grotesque contresens : « Dans le texte gnostique intitulé Gospel of Phillip (sic), il est mentionné que « Dieu est un mangeur d’homme. C’est pour cette raison que les hommes sont (sacrifiés) à lui. » Avec une telle méthode, on pourrait facilement démontrer que les chrétiens mangent des bébés. Comme tous les chrétiens arc-boutés sur « la parole de Dieu », Lebreton a intériorisé la jalousie du dieu des juifs : « Le polythéisme des Mésopotamiens, des Sumériens, des Assyriens, des Perses et des Babyloniens était complètement lié aux entités démoniaques. » Il assimile tout ça à la « religion sans nom », autrement dit le satanisme. C’est en effet Satan qui gouverne le monde, par les Illuminati :
« Satan aurait donc un plan établi pour régner sur terre et il utiliserait certains humains (lui vouant un culte) comme catalyseurs pour mettre en place son projet terrestre, des humains passés par la contre-initiation, une inversion de la sanctification aboutissant à des pouvoirs et des connexions d’ordre surnaturel… Il est intéressant de noter ici que la franc-maçonnerie se réfère également à de mystérieuses entités d’une autre dimension qui inspirent (pour ne pas dire qu’elles dictent) ses propres actions pour la mise en place de l’Ordre mondial. / Les Illuminati, ou encore ceux qui composent « l’élite dirigeante » de la planète, semblent eux aussi avoir très vite compris l’avantage qu’ils pouvaient retirer de ces techniques pour dominer le monde. En fait, les Chrétiens auront reconnu que derrière ces techniques et ces tortures abominables, se cache la main de Satan, qui veut réduire l’humanité en esclavage, et se faire adorer comme Dieu, sous la forme de l’Antichrist (sic) annoncé par la Bible. »
Remarquons que, si Lebreton déteste toutes les religions sauf le christianisme, le judaïsme ne semble pas lui poser de problème. Il fait l’impasse sur les rituels juifs sataniques, qui ont pourtant fait l’objet de travaux historiques, notamment par Ariel Toaff dans The Bloody Satanic Sacrifice Rituals of the Jewish Race (lire cet article de Ron Unz). Rien non plus, évidemment, sur la circoncision au huitième jour, véritable rite traumatique.
Par un autre réflexe qui ne surprend pas, Lebreton projette son prisme satanique sur les nazis. Comme dans Out of Shadows, on a droit à l’amalgame entre Paperclip et MK-Ultra. L’ayant lu dans toutes ses sources, Lebreton est convaincu que MK-Ultra est peuplé de nazis, et ignore qu’à sa tête se trouvait un fils d’immigrants juifs hongrois (Sidney Gottlieb, Joseph Scheider de son vrai nom).
Voici un échantillon des méthodes de raisonnement de Lebreton. Il nous informe que les nazis mettaient du fluor dans l’eau des camps de concentration. « Les nazis n’utilisaient évidemment pas ce produit pour améliorer la santé dentaire de leurs prisonniers, bien sûr que non, cette médication massive des réserves d’eau en fluor servait à stériliser les prisonniers et à les abrutir pour s’assurer de leur docilité. » Lebreton ne réalise même pas qu’il se contredit avec la phrase qui suit immédiatement : « Le chimiste Charles Perkins fut un des premiers à dénoncer les effets nocifs de la fluoraison de l’eau potable dans un essai qu’il publia en 1952. »
Les arguments de Lebreton sont souvent de ce niveau, et rendent son livre inutilisable. Encore un exemple : dans son premier chapitre, portant sur l’Institut Tavistock, Lebreton se base sur des auteurs comme John Coleman et Jim Keith, adeptes des théories les plus délirantes. Il reprend au premier l’idée que le succès des Beatles est un complot Illuminati, ou que Jimmy Carter était un « candidat Mandchou » programmé par son psychiatre de Tavistock. Lorsqu’il cite (de seconde main) des savants impliqués dans la recherche sur la psyché humaine, Lebreton leur fait des procès d’intention, comme si toute recherche sur la manipulation mentale était ouvertement ou secrètement au service de la manipulation mentale. Par exemple, il cite William Sargant, qui explique les principes du lavage de cerveau dans The Battle for the Mind : A Physiology of Conversion and Brain-Washing (1957), en laissant entendre que ce professeur recommande ou expérimente le lavage de cerveaux, ce qui est totalement faux, comme il est facile de le vérifier. Avec de telles méthodes, on pourrait facilement « démontrer » que Lebreton fait lui aussi l’apologie de la manipulation mentale. Et d’ailleurs, il me semble bien que, comme toute la sous-culture américaine qu’il véhicule, son livre a un côté manipulatoire et donc contreproductif par rapport à son objectif affiché. Tout n’est pas à jeter chez Lebreton, car il a aussi lu quelques livres sérieux. Le sien aurait pu faire une synthèse utile s’il était deux fois moins épais et se limitait aux informations puisées dans des sources crédibles. Malheureusement, le tri est difficile à faire.
Conclusion
Ces sujets sont à l’évidence très perturbants et suscitent un fort sentiment de dégoût, qui tend à court-circuiter notre sens critique, et même conduire à une violente colère envers quiconque veut faire intervenir son sens critique. J’en ai moi-même fait les frais, et cet article va certainement me valoir des commentaires très hostiles, même si je répète que je ne nie pas la réalité effrayante de la pédocriminalité de réseau.
Néanmoins, j’estime avoir suffisamment lu et réfléchi sur ces sujets, et depuis de nombreuses années, pour être en mesure d’émettre une mise en garde utile, voire nécessaire et urgente. Ne nous voilons pas la face : la dissidence est malheureusement atteinte d’un certain nombre de pathologies, que l’on peut qualifier de complotite aiguë, et les milieux chrétiens, habitués à s’en remettre à la croyance plutôt qu’à la logique, sont particulièrement vulnérables. Je ne me considère pas moi-même comme immunisé contre certaines croyances irrationnelles, et je suis tombé, comme bien d’autres, dans certains panneaux. J’ai toujours eu l’honnêteté intellectuelle d’admettre mes erreurs. Je trouve même cela plus facile que de dire à mes amis qu’ils se trompent. Nous avons tous une tendance à considérer que, puisque tout est faux du côté du pouvoir en place, alors toute dénonciation du pouvoir en place doit faire l’objet d’un préjugé favorable, c’est-à-dire d’une croyance. Il s’agit d’une forme de paresse intellectuelle, qui peut même s’apparenter à du conformisme, voire à de la lâcheté, lorsque dénoncer une manipulation peut vous valoir l’accusation d’être complice du diable.
Un dernier point : le phénomène que j’ai décrit ici est en soi à prendre très au sérieux. Il est très certainement une manifestation collective d’une pathologie spirituelle profonde de l’Occident. L’Occident est un fou hanté par des visions diaboliques.
Restons vigilants ! Restons intelligents !
Laurent Guyénot
Bonus : Éric Verhaeghe – Satanisme et infiltration cognitive
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation