Histoire : 100 ans d’antifascisme jetés à la poubelle
Encore une intervention gravissime de Fabien Roussel, dirigeant du Parti Communiste Français, sur le plateau de BFM le 18 juin au soir. Interrogé à propos de la candidature du militant antifasciste Raphaël Arnault sous l’étiquette du Front Populaire, il indique « avoir demandé à la France Insoumise de retirer la candidature ». Cela peut paraître anodin, mais c’est un basculement politique.
D’abord parce que l’antifascisme n’est pas une injure. C’est la base même du Front Populaire, le vrai, celui de 1936. Le Front Populaire est une union des forces de gauche pour barrer la route au fascisme, qui menaçait alors de renverser la République. Ce Front Populaire appelait explicitement à s’opposer aux groupes d’extrême droite, dans les urnes comme dans la rue. Ironiquement, l’union des droites qui menaçait à l’époque s’appelait… Rassemblement National. Ça ne s’invente pas.
En principe, c’est aussi l’antifascisme qui est censé guider le « Nouveau Front Populaire » de 2024, face au risque imminent d’un pouvoir d’extrême droite. L’antifascisme est, en principe, le dénominateur commun minimal à gauche. Si nous considérons l’antifascisme comme un mot infamant, alors nous avons totalement perdu la bataille des mots et des idées.
C’est aussi un basculement majeur vis-à-vis de l’histoire du PCF. Fabien Roussel fait mine d’oublier que son parti, au moment de sa création, tenait un discours insurrectionnel, anti-militariste et révolutionnaire, et que ses premiers dirigeants étaient évidemment tous fichés et surveillés par la police. Certains sont même passés dans la clandestinité.
Dans les années 1920, le PCF appelait à « l’autodéfense » contre l’extrême droite. Il a notamment fondé une organisation paramilitaire baptisée les « Groupes de défense antifasciste » puis quelques mois plus tard des « Jeunes gardes antifascistes », issus des Jeunesses communistes. En 1928, le PCF annonce comme stratégie « la conquête de la rue » face aux forces de police et aux ligues fascistes. Il appelle aussi à créer une « autodéfense prolétarienne de masse ».
En 1932, le poète communiste Aragon écrit : « Que ta fureur balaie l’Élysée. Un jour tu feras sauter l’Arc de Triomphe. Prolétariat, connais ta force. Connais ta force et déchaine-toi ».
En 1934, les ligues fascistes tentent de prendre le Parlement, ce qui provoque un électrochoc politique. C’est le point du départ du Front Populaire. Après cet événement, le PCF annonce que « chaque organisation communiste doit organiser sa propre autodéfense ». Des rapports de police font état de caches d’armes dans certaines sections. À Villejuif, mairie communiste, un responsable fait creuser des tranchées et stocker des armes dans la mairie, avant d’être recadré par la direction du Parti.
Toujours selon les services de renseignement de l’époque, le PCF a utilisé « les groupements sportifs ouvriers pour renforcer l’autodéfense et auraient préconisé le développement de sociétés de tir ».
L’une des plus grandes résistantes françaises, Lucie Aubrac, est militante communiste dans les années 1930 et affronte l’extrême droite au Quartier Latin à Paris. Pendant la guerre, elle réussira des actions héroïques contre les nazis.
Sous l’occupation, le PCF fournit des dizaines de milliers de résistants, et paie le prix du sang contre le nazisme. Parmi les grandes figures célébrées aujourd’hui, Missak Manouchian, à la tête du réseau des Francs Tireurs Partisans Main d’Œuvre Immigrée – les FTP-MOI – réunissant des étrangers communistes menant des actions de lutte armée.
Après guerre, sur fond de guerre froide en mai 1947, les communistes français sont exclus du gouvernement. Des grèves très violentes impulsées par les communistes éclatent. En 1952, c’est carrément le dirigeant du PCF Jacques Duclos qui est incarcéré.
Nous nous arrêterons là, mais cette liste pourrait continuer, pour démontrer que les militants et dirigeants communistes ont toujours été fichés par la police, et ont toujours revendiqué l’antifascisme comme valeur. On peut reprocher beaucoup de choses au PCF : son autoritarisme, son stalinisme, sa bureaucratie, son sectarisme, ses trahisons, ses discours cocardiers, mais sur ce point, il n’avait jusqu’alors pas transigé.
En appelant à supprimer la candidature d’un antifasciste au prétexte qu’il serait fiché par la police, ce sont 100 ans d’histoire de la gauche que Fabien Roussel jette à la poubelle, pour faire plaisir à la droite et à BFM.
Une source historique ici : Violence et politique dans la France des années 1930 : le cas de l’autodéfense communiste
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir