Comment les médias français préparent la violence de l’extrême droite au Venezuela. — Thierry DERONNE

Comment les médias français préparent la violence de l’extrême droite au Venezuela. — Thierry DERONNE

Un matin, parce que c’est la seule qui ne passe pas de pub, on écoute une radio publique parler des présidentielles de juillet au Venezuela : « Nicolas Maduro apparaît treize fois sur le bulletin électoral » ; « Le Venezuela refuse les observateurs internationaux ». Avant de passer à l’antenne, le pigiste du service public a sans doute allumé son ordinateur pour « s’informer » via les agences et médias du monde entier : «  Nicolas Maduro apparaît treize fois sur le bulletin électoral », « Le Venezuela refuse les observateurs internationaux ».

« Nicolas Maduro apparait treize fois sur le bulletin électoral  ». Logique, puisque 13 partis de gauche appuient sa candidature. Les 25 partis d’opposition – soit le double de ceux qui appuient Maduro – occupent la majorité du bulletin. On pourrait donc saluer le pluralisme d’élections où se présentent 38 organisations politiques qui vont de l’extrême gauche à l’extrême droite (1). Priver l’audience de ce contexte et répéter que « Maduro apparaît treize fois » ne sert qu’à réactiver les 24 ans de désinformation qui ont transformé en « dictature » la révolution bolivarienne.

Dans l’isoloir, ce bulletin s’affiche sur un écran numérique. L’électeur/trice choisit et vote de manière tactile pour le parti de son choix, lance l’impression de son vote sur papier, le vérifie et le dépose dans l’urne proche. Tous les délégués de partis ou observateurs internationaux peuvent ainsi comparer les votes électroniques avec les votes imprimés, partout où ils le souhaitent. Ce double système de vote a fait dire dès 2012 à Jimmy Carter qu’« en le comparant aux 92 processus électoraux que j’ai observés dans le monde entier, le système vénézuélien est le meilleur du monde ».

« Le Venezuela refuse les observateurs internationaux ». Bien au contraire, le Centre National Électoral vénézuélien (CNE) a invité de nombreux experts électoraux comme celles et ceux du Groupe d’experts électoraux de l’ONU (déjà sur place), du Centre Carter (qui arrivera le 29 juin), du Conseil des Experts Électoraux d’Amérique Latine (CEELA) – déjà présent, et qui regroupe des président(e)s de tribunaux électoraux de pays de tous signes politiques, de l’Union Interaméricaine des Organismes Électoraux (UNIORE), déjà présente, ou encore de l’Observatoire de Réflexion Stratégique pour l’Intégration Régionale (OPEIR). En plus de l’ONU, le CNE a invité la Communauté des États d’Amérique Latine et des Caraïbes (CELAC), la Communauté des Caraïbes (CARICOM), l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), les BRICS, d’autres pays en particulier et près de 250 personnalités du monde entier, journalistes, délégué(e)s de mouvements sociaux, activistes des droits humains. Les élections les plus récentes (2021) ont été validées comme « transparentes, démocratiques » par la grande majorité des observateurs internationaux. (2)

Invitée elle aussi, l’Union Européenne a ensuite décidé de reconduire (en mai, peu après Joe Biden) ses sanctions contre la révolution bolivarienne. Dénoncées par les expert(e)s de l’ONU, ces mesures coercitives génèrent de grandes souffrances sociales. Le Center for Economic and Policy Research (CEPR, Washington) estime qu’elles ont entrainé la mort de 100.000 patients, privés de médicaments. La reconduction par l’Union Européenne de ces sanctions inhumaines, qui visent à influencer les électeurs, la disqualifie comme « observatrice impartiale ». C’est pourquoi le Centre National Électoral a annulé son invitation (celle de l’UE seulement), suscitant la protestation immédiate de Washington : « Le peuple vénézuélien devrait pouvoir choisir son prochain président dans des élections crédibles, transparentes et compétitives, soutenues par l’observation internationale ». Voilà pourquoi votre télé, radio ou journal affirme que le Venezuela « refuse les observateurs étrangers ».

Photo : mobilisation des travailleurs avec Nicolas Maduro, le 1er mai 2024 à Caracas.

Les médias français ne sont que l’ombre portée d’une campagne mondiale bien huilée. En moins d’une semaine, le New York Times a publié trois articles traitant le président élu du Venezuela d’autoritaire : « Rencontrez le candidat qui défie le président autoritaire du Venezuela » (5/6/24) ; « Les candidats d’une émission de téléréalité se disputent le jingle de campagne d’un président autoritaire » (24/5/09) ; « Les élections peuvent-elles forcer le dirigeant autoritaire du Venezuela à quitter le pouvoir ? » (5/11/24) (3).

Pourquoi cette nouvelle campagne contre la démocratie au Venezuela ? D’abord parce que la droite, qui a demandé et appuyé les sanctions occidentales contre le Venezuela, reste impopulaire. Depuis plusieurs mois, les sondages les plus sérieux donnent au candidat de gauche Nicolas Maduro une avance de près de 30% sur le candidat ultra-libéral Edmundo Gonzalez. Une marge semblable à celle qui a permis à la progressiste Claudia Sheinbaum de remporter le 2 juin la présidentielle au Mexique face à la candidate de l’ultra-libéralisme. Bien sûr, avec ses nombreux instituts, médias, réseaux sociaux et ONGs, la droite vénézuélienne a de quoi mener la guerre des sondages. Reste qu’un des instituts privés les plus fiables – Hinterlaces – qui a déjà prédit avec exactitude le résultat des scrutins antérieurs – confirme l’avance de Maduro.

Mais c’est en comparant les deux programmes qu’on comprend mieux les causes de la désinformation. Maduro et la gauche défendent la croissance de l’État et des services publics, l’approfondissement de la démocratie participative et la coopération avec le monde multipolaire, au moment où le pays sort lentement du blocus occidental et affiche pour la troisième année, la croissance la plus élevée du continent (CEPAL-ONU) (4). Edmundo Gonzalez et la droite défendent une thérapie de choc à la Milei : éliminer l’État, privatiser tout ce qui peut l’être, remettre le pays sur orbite des États-Unis, réprimer l’inévitable mobilisation sociale qui suivrait. Nul hasard si le candidat de la droite est un ex-employé du Plan Condor, et si sa mentore la putschiste Maria Corina Machado a signé avec le Likoud israélien un accord portant sur « la sécurité » (5). Le 28 mai, le journal d’opposition « El Universal » a révélé qu’elle avait écrit dès 2018 à Benjamin Netanyahu pour l’implorer de l’aider à « changer le régime », y compris via une intervention militaire. Le 16 mai, le site Venezuela News a expliqué, preuves à l’appui, comment Machado a reçu un pot-de-vin de 3,2 millions de dollars d’un lobby états-unien pour vendre la compagnie publique du pétrole (PDVSA) en cas de victoire de son poulain aux présidentielles.

Photos ci-dessus : a) manifestation de l’extrême droite vénézuélienne pour soutenir Juan Guaido, le fake-président « nommé » par Trump en 2019, qui vit aujourd’hui un exil doré aux États-Unis – après avoir volé des milliards de dollars à l’État vénézuélien ; b) l’accord signé par la putschiste d’extrême droite Maria Corina Machado avec le Likoud ; c) Machado adoubée par Washington (elle a notamment participé au putsch contre Hugo Chávez en 2002) ; d) Et faisant campagne en 2024 au Venezuela pour son poulain présidentiel, Edmundo Gonzalez. Ce dernier a déclaré qu’il se sentait « pas assez fort physiquement » pour faire campagne et qu’il laissait cette tâche à María Corina Machado.

Fait significatif : alors que Nicolas Maduro a proposé et a signé avec les autres candidats un accord mutuel de reconnaissance des résultats, le candidat principal de la droite est le seul à s’y être refusé (6). L’internationale médiatique prépare l’opinion au narratif de la « fraude » comme prétexte à un « changement de régime » par des voies non électorales. Nul doute que les médias relookeraient les violences d’extrême droite en « révoltes populaires contre la fraude du dictateur », et un assassinat ou un nouveau coup d’État en « restauration de la démocratie ». C’est pourquoi les démocrates du monde entier doivent être particulièrement vigilants quant aux élections présidentielles au Venezuela.

« C’est fou ce que les français se laissent influencer par les médias » pleure une amie à qui je parle de la campagne en cours. Il y a 40 ans, Ignacio Ramonet, Noam Chomsky, etc.. avaient expliqué les conséquences de la concentration capitaliste des médias. L’inaction de la gauche a été telle qu’il reste autant de différence entre une radio publique et une radio privée qu’entre une banque publique et une banque privée (7). Au point que la « circulation circulaire de l’information » (Bourdieu) des années 90 prendrait presque des airs de pluralisme. Aujourd’hui, les communicants rappellent à l’élu(e) de gauche qui hâte le pas vers la forêt de micros ou se fait maquiller dans les loges de la télé, qu’il ne doit surtout pas prononcer le mot « Venezuela ». Alors que le piège médiatique se referme sur elle, la gauche occidentale n’a pas encore compris que la révolution bolivarienne fut un banc d’essai parmi tant d’autres de la transformation du réel en son contraire, en l’occurrence de la démocratie participative la plus avancée du monde en « dictature ».

Thierry Deronne, Caracas, le 20 juin 2024.

Notes :

  1. Sur le bulletin, l’ordre des partis se base sur le pourcentage des votes obtenus ou, dans le cas des nouvelles formations, à l’année d’enregistrement légal.
  2. « Venezuela : les observateurs internationaux saluent la transparence du scrutin » https://venezuelainfos.wordpress.com/2021/11/23/venezuela-alors-que-les-observateurs-internationaux-saluent-la-haute-transparence-du-scrutin-des-leaders-de-la-droite-appellent-a-tourner-la-page-du-putschisme-de-guaido/
  3. https://venezuelanalysis.com/opinion/nyt-ramps-up-venezuela-propaganda-ahead-of-elections/
  4. « Maduro est-il devenu néo-libéral ? » https://venezuelainfos.wordpress.com/2023/04/21/nicolas-maduro-est-il-devenu-neo-liberal/ et « Révolution dans la révolution : Maduro nomme un leader communard ministre des Communes » https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/06/11/revolution-dans-la-revolution-maduro-nomme-un-leader-communard-ministre-des-communes/
  5. « Du Plan Condor au « plan perroquet » : la droite a son candidat pour affronter Nicolas Maduro » https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/05/25/du-plan-condor-au-plan-perroquet-la-droite-a-son-candidat-pour-affronter-nicolas-maduro/
  6. Signature de l’accord pour respecter les résultats par tous les candidats, le 20 juin 2024 – que le candidat principal de la droite a refusé de signer : https://x.com/luchaalmada/status/1803862340745478341 ; https://x.com/MichelCaballero/status/1803900998668239069/photo/1
  7. Sur la longue histoire de désinformation sur le Venezuela par France Culture, on lira notamment : « Thomas Cluzel ou l’interdiction d’informer sur France Culture » (2015) https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/03/12/thomas-cluzel-ou-linterdiction-dinformer-sur-france-culture/
»» https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/06/20/comment-les-medias-fra…

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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