L’autrice est membre du Collectif Entropie
Nous faisons l’hypothèse que TESCANADA H2, qui propose de fabriquer, dès 2028, 70 000 tonnes d’hydrogène vert, à Shawinigan, pourrait, de façon opportuniste, s’approprier, en tout ou en partie, l’électricité « excédentaire » du parc de production de la Rivière St-Maurice et ce possiblement à vil prix – puisqu’il s’agit d’une production qui aurait été de toute façon « perdue ». Une fleur discrète et potentiellement lucrative à ajouter à son large bouquet d’énergies vertes, soit 800 MW d’éolien, 200 MW de solaire et 150 MW d’électricité garantis par le réseau d’Hydro-Québec!
Voyons comment…
Le bassin versant de la rivière Saint-Maurice s’étend sur 42 651 km2, ce qui équivaut au territoire de la Suisse. La rivière reçoit les apports en eau de 100 affluents et de 36 000 lacs. De ce fait, la St-Maurice a été, dès 1899, harnachée pour, progressivement, laisser place à un parc de production hydroélectrique d’une puissance installée de 2037,5 mégawatts (à titre de comparaison, celle du Complexe de La Romaine (1,2,3 et 4) est de 1550 mégawatts).
Hydro-Québec exploite ces aménagements en cascades (chaîne hydroélectrique) sur un dénivelé de plus de 400 mètres, dont l’aboutissement est le fleuve Saint-Laurent. Situé en amont de la rivière, le réservoir Gouin, un très grand réservoir «multiannuel», régularise les apports d’eau (neige, pluie, ruissellement) sur plus d’une année : sa capacité de stockage se compte en semaines. Les barrages Manouane, Matawin et Mékinac sont des réservoirs « annuels », qui sont vidés chaque année : leur capacité de stockage est limitée à quelques jours, en fonction des apports entrants. À eux quatre, ils permettent de gérer 40% des apports d’eau du bassin versant de la rivière St-Maurice. L’autre 60% s’écoule sans retenue directement dans la rivière.
Les onze centrales – Chute-Allard, Rapides-des-Cœurs, Rapide-Blanc, Trenche, Beaumont, La Tuque, Grand-Mère, Rocher-de-Grand-Mère, Shawinigan-2, Shawinigan-3 et La Gabelle – sont des centrales « au fil de l’eau » et ne disposent pratiquement d’aucune réserve en amont (i.e aucun réservoir) …
Les centrales « au fil de l’eau » n’ont pas (ou très peu) la capacité de moduler leur production en fonction des besoins des consommateurs ou de l’opérateur du réseau. Leur production, intermittente, varie en fonction des évènements climatiques : pluies, sècheresses, saisons, etc. Elles font donc partie, comme l’éolien et le solaire, des énergies renouvelables à production dite « fatale » i.e. qui doit être récupérée et utilisée sous peine d’être perdue…
…À moins de recourir à l’hydrogène pour stocker momentanément cette l’électricité…
Grâce à l’électrolyse de l’eau, il est, en effet, possible d’implanter une solution de production d’hydrogène n’importe où (ou presque) à partir du moment que l’on peut trouver à disposition une source d’eau (ici, la rivière Saint-Maurice) et une source d’énergie renouvelable (ici, l’électricité produite au fil de l’eau)… De fait, il est envisageable de monter un site de production d’hydrogène directement à proximité d’un consommateur qui justifierait l’implantation (même provisoire) d’un tel site.
Mais qu’entend-t-on par hydroélectricité « excédentaire »?
La gestion de la ressource hydrique se fait en tenant compte des aléas météorologiques et des contraintes d’exploitation: elle doit, ultimement, permettre de répondre adéquatement aux besoins en électricité – qui varient constamment selon les heures et les saisons -, tout en assurant la sécurité du public et des aménagements, de même que le respect des lois et des ententes convenues avec les communautés. Ce délicat arbitrage oblige Hydro-Québec a «vidanger» ses réservoirs, durant l’hiver jusqu’à atteindre, au moment de la crue printanière, le niveau de la «cote d’exploitation minimale», qui est prescrit par la Loi sur la sécurité des barrages. Le niveau des centrales «au fil de l’eau», elles, sans retenue, est abaissé au début de la crue pour limiter les inondations sur leur territoire.
Le remplissage des réservoirs, lors des mois qui suivent, permet à l’inverse d’accumuler de l’eau jusqu’au niveau d’exploitation maximal des réservoirs pour produire de l’énergie et répondre à la demande en électricité le reste de l’année. Des «déversements saisonniers et ponctuels», principalement liés à une faible demande ou d’un débit d’eau excédentaire peuvent toujours s’imposer durant ce laborieux exercice annuel… À titre d’exemple, et selon les données hydrométriques géolocalisées mesurées aux installations d’Hydro-Québec, on peut constater que dans le seul secteur de Shawinigan, le 14 avril 2024 à 8h 00, près de la moitié du débit total – 1513,87 m3/s – a été déversé, soit 730,79 m3/s…
Quelle serait, sur une année, l’importance de ces déversements saisonniers et ponctuels? Pourraient-ils, par ailleurs, être valorisés, tenant compte des caractéristiques des installations actuellement en place? Difficile de le dire avec précision puisque la couverture temporelle des données de débits, rendues disponibles par Hydro-Québec, est de 10 jours seulement et que le contenu du journal d’exploitation tenu par le personnel du Centre de conduite du Réseau – le CCR gère, en temps réel, les mouvements d’énergie de la centrale à la maison –, qui pourrait nous informer des circonstances particulières entourant la décision de déverser demeure un secret bien gardé!
Chose certaine, l’accaparement de cette ressource excédentaire, convenu derrière des portes closes, permettrait potentiellement à TESCANADA H2 de toucher le pactole puisqu’il est nettement plus avantageux de fabriquer de l’hydrogène vert à partir de l’énergie hydroélectrique (coût de production estimé à 22,00 $ le gigajoule) que de valoriser l’énergie solaire (62,60 $ le gigajoule) ou éolienne (63,80 $ le gigajoule).
Oui, assurément, un projet «MAGIQUE» comme le dit, avec enthousiasme, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie!
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