Ce n’est pas un article maison, c’est une recomposition d’extraits à partir d’un article du Figaro, paru le 13 mai 2024, au moment du grand débat sur l’aide à mourir, c’est-à-dire l’euthanasie, en langage réel. La journaliste interroge le haut fonctionnaire Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d’État, à propos de la discussion de la loi (Vautrin) en cours, et ses réponses sont d’une clairvoyance absolue.
Aujourd’hui, en cette première semaine de juin, la loi est passée avec quelques aménagements. On ne reviendra pas sur le débat politique, qui ne présente pas un grand intérêt avec ses amendements secondaires, puisque le gros de l’esprit de la loi est passé : on peut désormais donner la mort en régime républicain, sous certaines conditions (mais souples). C’est un grand changement, presque civilisationnel, et c’est le moment de placer notre prêtre. Car qui dit civilisation dit religion.
Théoriquement, pour les besoins de l’information et surtout de la compréhension des enjeux, on devrait passer cette excellente interview dans son intégralité. Le Figaro ne nous le pardonnerait pas, puisque l’article est payant. Avant d’envoyer les meilleurs morceaux – mais il n’y en a pas de mauvais, donc choix difficile –, on rappelle nos trois principes de relais d’articles de la presse mainstream :
si l’on juge un article parfait ou sur notre ligne (quelle vanité) de bout en bout, on l’envoie direct, ou, s’il est payant, en morceaux choisis ;
si c’est article est jugé bon par moments, on coupe les « mauvais » morceaux et on laisse les articulations intéressantes, comme quand on coupe une entrecôte (on laisse de côté le gras épais et les nerfs pour garder la viande), mais avec une intro maison pour expliquer la découpe et remettre un peu de liant dans ce qui reste ;
si cet article mainstream est jugé médiocre, mais que sa thématique nous intéresse, on fait un article maison avec juste quelques citations de l’article originel, pointant ici et là le manque de logique, de cohérence ou d’honnêteté.
De la sorte, on nettoie l’info en fonction de son degré de désinformation. Maintenant, passons à l’interview de Sauvé. On va essayer d’en mettre le plus possible tout en essayant de ne pas réveiller les vigiles du Figaro. Travailler chez R&R, c’est un exercice permanent d’acrobate.
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Quel regard portez-vous sur le débat actuel concernant la fin de vie ?
Le regard que je porte sur ce débat est d’abord celui d’une personne hostile à toute obstination déraisonnable, qui a rédigé ses directives anticipées sur l’arrêt des traitements inutiles. Mon regard est aussi celui d’un citoyen sur notre société. Je respecte profondément ceux qui veulent mourir, car ils souffrent trop, et ceux qui veulent les aider. Mais, au-delà de décisions individuelles respectables, la mort administrée représente une rupture anthropologique et un choix de société dont les plus faibles seront les premières victimes. Ce texte signe une nouvelle victoire de l’individualisme sur le collectif, la sollicitude et la fraternité.
Sur la fin de vie, il faut faire un choix entre deux risques. Le premier est de ne pas permettre aux patients qui veulent mourir d’écourter leur vie, alors que la législation actuelle répond à la quasi-totalité des cas douloureux. Le second est qu’une loi permettant de donner la mort incite des patients à mettre fin à leur existence sans qu’ils aient réellement la certitude de vouloir en finir. En Oregon, plus d’un tiers des personnes qui ont obtenu une potion létale ne vont pas au bout de leur démarche. Cela montre la fragilité de décisions de fin de vie soi-disant irrévocables. Entre une mort provoquée par la pression sociale ou familiale et une mort réellement voulue, mais que la loi interdirait, je choisis le second risque dont l’occurrence est, de manière certaine, plus rare. Avec ce texte, je redoute qu’il y ait plus de décès par défaut de sollicitude et d’accompagnement que de décès authentiquement souhaités. Peut-on se permettre de prendre ce risque sur une question aussi fondamentale que la vie ou la mort ? Ma réponse peut sembler inhumaine, voire réactionnaire. Je crois au contraire qu’elle est humaine et progressiste.
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Le projet de loi prévoit une « aide à mourir », sans citer le suicide assisté et l’euthanasie. Quel rôle joue la sémantique dans ce débat ?
Le projet de loi ne nomme pas correctement ce qu’il autorise : le suicide assisté et l’euthanasie, comme l’ont fait avant nous tous les pays qui les ont légalisés. L’aide à mourir, ce sont les soins palliatifs et la sédation profonde et continue. Aider à mourir, ce n’est pas faire mourir. Par ailleurs, le gouvernement dit vouloir mettre en avant le suicide assisté. L’euthanasie serait réservée au cas où le patient ne peut s’administrer lui-même la dose létale. Mais le texte ne consacre pas une procédure qui garantisse le caractère exceptionnel de ce geste. Dans la pratique, celui-ci sera posé dans l’intimité de la chambre du malade. Dans les statistiques, on recensera des suicides assistés. Qui saura ce qui s’est réellement passé ? Il s’agit d’une incertitude majeure que le débat parlementaire doit dissiper. Car dans tous les pays où ces deux manières de donner la mort ont été introduites, l’euthanasie a totalement supplanté le suicide assisté. En outre, l’association de proches du patient à l’acte létal, même avec son accord, ne semble pas exclue. Elle doit être prohibée en raison d’évidents risques d’abus de faiblesse, voire de conflit d’intérêts.
Des mutuelles de santé militent en faveur de l’aide à mourir. Les contraintes économiques, la lourdeur des dépenses de santé en fin de vie jouent-ils un rôle souterrain dans ce débat ?
Le mouvement mutualiste est attaché à la maîtrise de la vie humaine, y compris de son terme. Je refuse donc de lui faire un procès d’intention sur d’éventuelles motivations économiques. Mais il est clair que la mort administrée va engendrer des économies non négligeables, déjà évaluées par le gouvernement canadien. Il aurait pu être procédé à ce chiffrage en s’appuyant sur un rapport de l’Igas sur les dépenses de l’Assurance-maladie en fin de vie qui s’élèvent à 6,6 milliards d’euros par an. Si l’on transpose à la France le taux de mort administrée du Québec, on peut estimer les économies à 1,4 milliard d’euros par an à terme pour la seule Assurance-maladie. Le projet de loi peut donc apparaître comme l’ultime ruse du libéralisme pour faire des économies sur l’État-providence.
L’autre tabou de ce débat, c’est le risque que la mort administrée s’applique en priorité aux plus pauvres et aux plus démunis. En Oregon, l’expérience a montré qu’avec le temps, les personnes à faibles revenus étaient surreprésentées parmi les candidats au suicide assisté et que les problèmes financiers occupaient une place croissante dans leur motivation. Une étude canadienne montre un écart de près de 20 points entre la proportion des personnes à faibles revenus et celle des candidats à l’euthanasie. De cela aussi, il faut parler.
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On l’aura compris : cette loi est un permis de mourir quand on va mal, très mal, pas forcément physiologiquement, mais psychiquement ! Et là, ça ouvre un champ nouveau aux candidats à la disparition assistée… Le Monde, qui a suivi le débat, écrit à propos de ce point sensible des souffrances psychologiques :
Les députés ont également modifié la quatrième condition, afin de permettre à une personne en proie à « des souffrances psychologiques » de demander une « aide à mourir ». En commission spéciale, Mme Firmin Le Bodo avait fait préciser, par un amendement, que seules les souffrances psychologiques liées à des douleurs physiques pourraient être considérées comme une condition d’accès. En séance, des amendements Renaissance, écologistes et communistes ont rétabli la possibilité de faire état de souffrances psychologiques indépendamment de douleurs physiques. « On ouvre le champ à des maladies purement psychiatriques, dont la schizophrénie », s’est alarmé Philippe Juvin (LR, Hauts-de-Seine).
Cette loi devient un permis de mourir quand la vie est trop dure, que ce soit en fin de vie ou pas ! Quant au critère de la « volonté libre et éclairée », il repassera : quelqu’un a déjà essayé de remonter le moral à un dépressif lourd ? Autant soulever un éléphant avec une main. Au départ, on voulait légiférer su les affections graves et incurables, et on se retrouve avec des millions de candidats potentiels à la mort : les dépressifs, les schizophrènes, les archipauvres, les accidentés de la vie (divorce dur, licenciement brutal), les malades ou handicapés sans perspectives, les personnes séniles ou sur la voie de l’être.
Toute cette nouvelle population, c’est sans compter les jeunes désorientés par les problèmes d’identité sexuelle, pour qui l’ultralibéralisme a inventé la facilité à changer de sexe : on trouve chez eux pas mal de candidats au suicide. Et ce, pas par la faute des homophobes ou des transphobes, mais bien parce que les troubles de l’identité sont une souffrance pour les jeunes en question, horriblement mal dans leur peau !
Sauvé pointe justement tout ce vocabulaire qui cache la réalité : les soins palliatifs sont renommés soins d’accompagnement, mais ça reste ni plus ni moins du suicide assisté ou de l’euthanasie. Nous terminerons sur les conséquences de cette loi sur la société et le soin en général :
Ce projet de loi ne commande pas à lui seul notre avenir. Mais il signe, parmi d’autres indices, l’entrée dans une société moins fraternelle où l’on assume sans ciller que toutes les vies ne se valent pas et qu’il serait décent, à un certain moment, de partir. Au nom d’un droit nouveau, l’autodétermination de la personne, nous allons vers une société qui va ajouter au désespoir individuel une forme d’impuissance collective : « Tu veux partir ; voici la dose létale », alors qu’il faudrait entendre les appels au secours qui nous sont lancés sous couvert d’apparentes demandes de mort. Quand tout se juge à l’aune de l’utilité individuelle et de l’apparence de liberté, on ne parvient plus à penser en termes d’interdépendance et de solidarité. Nous risquons très vite de nous résigner à un monde où tous les « fatigués de la vie », les uns volontaires, les autres incités, pourront accéder à la mort, sans plus prendre en compte une maladie grave et incurable ou un pronostic vital.
C’est ni plus ni moins que de l’auto-élimination des plus faibles, dans un monde ultralibéral de plus en plus violent, individualiste, concurrentiel, bref, antichrétien. Il est question de valeurs fondamentales, là, et sous des prétextes humanistes – soulager les vies trop douloureuses –, la société avance vers le camp de dilution, ce camp de concentration sans barbelés mais aux principes identiques. Les faibles, les fragiles, les malades ? À la fosse ! Les autres, au turbin, et jusqu’à la mort !
La résistance molle de l’Église face aux attaques
du pouvoir profond antichrétien (2023)
L’ultralibéralisme est-il un nazisme ? Vous avez 4 heures…
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation