Mais que font donc les journalistes et commentateurs français, d’ordinaire si friands de « documents secrets » sur la Russie ! Eux qui traquent tout « plan caché » de Moscou visant à dissoudre la cohésion des sociétés démocratiques, toute « taupe » russe tapie dans l’appareil d’État ? Le 28 avril, le quotidien conservateur allemand Die Welt leur servait sur un plateau d’argent un projet confidentiel venu de l’Est, la dernière mouture de l’accord de paix négocié par Kiev et Moscou au début de la guerre. Un texte d’importance donc, dont l’adoption aurait pu éviter deux ans d’affrontements et des centaines de milliers de morts. Les médias hexagonaux n’en ont presque rien fait, peut-être soucieux de ne pas creuser une affaire où le camp des va-t-en-guerre occidentaux ne tient pas le meilleur rôle.
Pour Dominique de Villepin, la guerre n’est pas le plus court chemin vers la paix : « Dans un monde où nombre d’États – l’Ukraine, la Russie, la Palestine, Israël – perçoivent les conflits qui les engagent comme existentiels, comment éviter une montée aux extrêmes, surtout quand les grandes puissances s’affranchissent de leurs propres règles ? Loin du néoconservatisme décomplexé qu’elle pratique dans une Europe hors-jeu, à quoi pourrait ressembler la recherche par la France d’une sécurité collective ? »
Léa Guedj estime que les écoquartiers sont un alibi pour verdir le béton : « Construire à tout-va mais en se parant des vertus du respect de la nature et de la modernité technologique, tel est désormais le credo de nombreuses municipalités en France. Discours teintés d’écologisme, novlangue multipliant les concepts exaltant un supposé retour de la nature dans les villes, ces ficelles servent à masquer les processus de gentrification que subissent des populations de mal-logés. »
Félix Tréguer explique comment, de par le monde, la surveillance d’État fut combattue : « Les poursuites judiciaires récurrentes engagées en France contre les mouvements sociaux reposent bien souvent sur l’activité de services de renseignement. Au tournant des années 1960, la surveillance policière de la Nouvelle Gauche faisait aux États-Unis l’objet d’une vive contestation qui obtint des résultats appréciables. Depuis, cet enjeu a été largement dépolitisé. »
Maurice Lemoine observe, à Mayotte, la question coloniale à front renversé : « Jour après jour, la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader dans le cent unième département français, déjà largement pénalisé par son sous-équipement et l’absence des services de l’État. Dans un contexte de forte pression migratoire, cette situation accroît le désarroi de la population, y compris quand elle défend des idées de gauche. »
Alan Pauls dénonce l’imaginaire “ gore ” de Javier Milei : « M. Javier Milei a peu de sympathie pour la culture, ses institutions, ses subventions — un secteur parasite, un milieu progressiste… Même si elle s’appuie sur des chiffres, son offensive n’est pas fondamentalement dictée par des choix économiques, mais par une vision politique. Un messianisme obsessionnellement « antirouge » le conduit à brandir sa tronçonneuse. »
Mikaël Faujour décrit, au Guatemala, une université contre l’état : « Invités à formuler la liste des pays qui, selon eux, se sont montrés les plus déterminés zélateurs du néolibéralisme, peu d’observateurs mentionneraient l’État guatémaltèque. Au cœur de sa capitale trône pourtant une université privée à la renommée internationale chez les néoconservateurs. Elle fut créée par un ancien membre des escadrons de la mort qui souhaitait poursuivre son combat, mais par d’autres moyens. »
Qui menace la péninsule coréenne, demande Martin Hart-Landsberg : « Un discours du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, en janvier 2024, a suscité de vives inquiétudes dans les chancelleries occidentales. Annonçant une rupture stratégique, Pyongyang semblait menacer son voisin du Sud et préparer une attaque militaire. Comme bien souvent, les analyses dominantes de la situation ont omis de prendre en compte la responsabilité des autres acteurs du conflit. »
Pour Adam Baczko, le talibans se radicalisent en étant à l’épreuve du pouvoir : « Kaboul a annoncé fin mars le rétablissement de la lapidation publique pour les femmes adultères. Un recentrage du pouvoir sur sa base militante qu’explique largement le blocage des négociations par Washington. À quelques mois de la présidentielle aux États-Unis, des considérations de politique intérieure préoccupent davantage la Maison Blanche que la défense du droit des Afghanes. »
Serge Halimi et Pierre Rimbert dénoncent la passion d’interdire : « Dans des pays occidentaux volontiers disposés à claironner leur attachement à la démocratie et au débat, les mesures qui réduisent le droit d’expression des partisans de la cause palestinienne se multiplient depuis octobre dernier. Parce qu’ils ont accepté la censure des opinions qu’ils réprouvaient, certains des défenseurs des libertés publiques sont silencieux. »
Philippe Leymarie décrit la Méditerranée comme une mer de moins en moins partagée et de plus en plus morcelée : « Cimetière marin pour les migrants, lac pour cohortes de touristes en quête de repos balnéaire, “ Mare nostrum ” concentre un nombre croissant de tensions. Les flottes militaires des pays riverains et des grandes puissances s’y croisent et se défient, tandis que chaque capitale entend découper les zones maritimes à son avantage au risque de provoquer un affrontement avec ses voisins. »
David Teurtie explique comment la Russie surmonte les sanctions : « En lui imposant des mesures coercitives d’une ampleur inédite, les pays occidentaux entendaient faire reculer Moscou en Ukraine. C’était sans compter sur la robustesse de l’économie russe, dont les revenus pétroliers ont retrouvé leur niveau d’avant-guerre. La politique de substitution aux importations, le commerce avec des pays émergents et le développement d’un système financier autonome ont fait le reste. » Irina Zviagelskaïa observe la question palestinienne vue de Moscou : « En raison de son histoire diplomatique, la Russie figure parmi les rares puissances à entretenir des relations avec l’ensemble des parties du conflit israélo-palestinien, y compris avec le Hamas. Son rôle de médiateur reste cependant restreint dans le contexte de confrontation russo-occidentale en Ukraine et de monopolisation du dossier par les États-Unis. » Gilbert Achcar se demande quel est l’avenir pour Gaza : «
Leur volonté d’éradiquer le Hamas est répétée à l’envi, mais les dirigeants israéliens restent bien en peine d’indiquer quel sera l’avenir de l’enclave une fois les combats terminés. Si l’Égypte, les Émirats arabes unis et le Maroc pourraient fournir une force de maintien de la paix, une chose est certaine : Tel-Aviv n’a pas l’intention de laisser les coudées franches à l’Autorité palestinienne. »
Anne Jourdain évoque la vie rêvée des profs : « Les murs, les parements et la structure, fabriqués en usine, ont été assemblés sur place et intégrés au paysage en 1979. Des plans standardisés permettaient alors de construire des établissements scolaires en série, et de faire une place aux enfants des classes populaires sur les bancs du collège unique. C’est un bijou d’architecture industrialisée. Tout y est d’origine, même l’amiante des faux plafonds. Ripoliné maintes fois à peu de frais. On le voudrait vintage ; il est délabré.
Les W.-C. ont perdu de leur lustre depuis les “ trente glorieuses ”. Au rez-de-chaussée, ils sont sous clé, réservés à la direction. Au premier étage, professeurs, personnels de vie scolaire et agents d’entretien se partagent deux cabinets seulement : il faut jouer des coudes à la récréation. Difficile, sous la crasse, d’apprécier le cachet du lieu. L’endroit fait pourtant l’objet d’une attention particulière, comme en témoignent les nombreuses affiches, plastifiées et punaisées au mur :
« Merci à tous d’éteindre la lumière en partant !
(Si vous êtes le dernier.) »
« Nous visons à garder ces toilettes propres, nous apprécierions que vous visiez juste. »
« Madame, Monsieur, afin de permettre à l’agent technique de faire son travail, je vous remercie de bien vouloir :
— ne pas laisser vos boîtes de nourriture sur le lavabo ;
— ne pas introduire de produits de nettoyage non répertoriés dans l’établissement.
Je vous remercie pour votre précieuse collaboration.
Mme l’Intendante »
Pour Grégory Rzepski, les droites sont en fusion dans de nombreux pays européens : « Longtemps, les grands partis européens ont formé un cordon sanitaire autour de l’extrême droite. Mais à mesure que celle-ci a progressé, la barrière s’est dissoute. Et des idées xénophobes, autoritaires sont devenues le lot commun d’un ensemble politique de plus en plus imposant. Les droites extrêmes sans frontières domineront-elles bientôt le paysage politique de l’Union européenne ? »
Lionel Richard ressuscite un texte d’Ernst Toller, “ Hop là, nous vivons ” : « Ernst Toller, poète et dramaturge, fut un combattant. Il prit part à la révolution des conseils en Bavière, puis s’employa à promouvoir l’idée que seule l’unité du prolétariat pourrait faire obstacle à l’ascension du nazisme. Il connut l’exil, le désespoir, politique et intime. Mais il fut aussi le héraut des élans révolutionnaires et de ce qui les fêlait. »
Daniel Paris-Clavel propose un article savoureux sur les Bérus : “ Pogote camarade… ”. « Les Bérus sont-ils “les Beatles de l’underground” ? », se demande en 1986 le fanzine Les héros du peuple sont immortels. À l’époque, le « troupeau d’rock » Bérurier noir – « les Bérus », formés autour du chanteur FanXoa et du guitariste Loran – connaît un succès populaire qui prend de court les institutions médiatiques et musicales françaises. Absents du lénifiant Top 50, des groupes enragés se fédèrent aux quatre coins du pays (OTH à Montpellier, Babylon Fighters à Saint-Étienne, Nuclear Device au Mans…). Les punk-rockeurs ruent dans les brancards, s’emparent des jeunes radios libres, créent leur propre presse (les fanzines), font hurler les guitares dans toutes les friches. Inventent une scène alternative dans le hors-champ des œillères de la culture officielle.
En mai 1982, pour exiger l’ouverture de salles de concert à Montpellier, OTH organise une manifestation perturbant l’inauguration de la ligne TGV. À Paris, l’association PariBarrocks branche ses amplis dans les troquets (d’où émergeront Les Wampas, Los Carayos, Les Garçons bouchers…) tandis que les Bérus jouent dans les squats, la rue, le métro, en manif ou sur les marchés… avant de remplir le Zénith à prix cassé. Caisses de résonance de cette libération par le rock, les labels indépendants se multiplient : VISA, Rock Radical Records devenu Bondage Records, Gougnaf, Boucherie Productions… « L’idée, c’est de provoquer un large mouvement de création, de prise en charge individuelle, d’échange et d’entraide », résumaient les Bérus dans leur dossier de presse (« A BieN MärréR HiieR Souàr ! », 1986). »
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir