Comment le syndicalisme international se détermine face à une situation aussi inédite que celle que nous connaissons ? Le seul constat qui s’impose, c’est qu’il est en partie hors jeu, inopérant, atone, sans ressort et surtout dépendant d’évènements qu’il subit.
Il est un fait qu’en France, en Europe et internationalement, le syndicalisme dominant, c’est-à-dire le syndicalisme occidental de conception réformiste, n’entend pas mettre en cause le fond des choses, c’est-à-dire la contradiction capital/travail. En fait, il ne cherche pas à contester le système capitaliste qui à ses yeux fait figure de sujet intouchable, indépassable et tabou. Il s’en accommode, pire, il s’y est rallié. Par ses orientations, ses décisions et son fonctionnement il entend accompagner celui-ci et le soutenir comme vient de l’illustrer le long conflit de l’automobile aux Etats-Unis ou le syndicat UAW affilié à l’AFL-CIO a volé aux secours des grands groupes comme Stellantis, Ford, General Motors mais aussi du candidat Joe Biden qu’il faut aider à sauver par un bel élan d’indépendance syndicale.
C’est d’ailleurs ce que font la plupart des forces syndicales affiliés à la Confédération Européenne des Syndicats (CES) et à la Confédération Syndicale internationale (CSI, ex CISL) dans leurs pays respectifs à travers une rhétorique partisane éloignée de la réalité et du vécu de millions de travailleurs. Pour elles, la recherche du dialogue social doit primer sur l’action. L’institutionnalisation du syndicalisme est devenu la règle à travers un partenariat où il s’associe avec les institutions et les partis politiques. Cette approche qui brade l’indépendance, la liberté de parole et d’action des syndicats, elle conduit à l’attentisme, à l’amertume, à la lassitude et aux désengagements de la vie sociale et politique d’une majorité des travailleurs tout particulièrement en Europe.
Pourtant, quand la richesse des milliardaires explose, les salaires réels et les avantages sociaux diminuent, c’est ainsi ! Les orientations et décisions du capital conduisent partout au pillage aggravé de la force de travail et donc à un recul social sans précédent à l’origine d’une pauvreté de masse et d’une paupérisation qui ne cesse de grandir. La cause en sont les politiques réactionnaires comme l’illustrent les récentes annonces de Gabriel Attal à travers la destruction du système d’indemnisation des chômeurs, le blocage des pensions et retraites, l’accélération de la casse des services publics avec de nouveaux projets de lois de démantèlement en route, des centaines de milliers de pertes d’emplois, un système éducatif plus sélectif que jamais et que l’on dégrade plus encore par un autoritarisme désuet, un système des soins et de santé réduits au point d’être arrivé à un état de non fonctionnement permanent. Face aux résistances, la répression syndicale de masse est sans précédent, plus d’un millier de militants de la CGT font l’objet de procédures devant les tribunaux, dont Jean Paul Delescaut, condamné à un an de prison avec sursis pour apologie du terrorisme, en fait pour avoir affirmé sa solidarité avec le peuple palestinien. Beaucoup d’autres le sont comme lui.
Face à cette situation lourde de périls, la plupart des confédérations syndicales en Europe sont à l’exemple de la CES, dans la position d’un spectateur passif. Face aux conflits et tensions qui s’intensifient leur tâche principale semble être de préserver la paix sociale, c’est-à-dire d’étouffer en fait la lutte des classes. On ne saurait les taxer de négligence, d’incompétence ou d’insuffisance, il s’agit de choix délibérés cohérents avec leurs orientations. La CES contribue ainsi à paralyser le monde du travail, c’est-à-dire la seule force sociale capable d’affronter l’état autoritaire en forme de néofascisme.
Attentisme et dialogue social ?
Cette situation est préjudiciable en tout premier lieu aux travailleurs, laissés ainsi sans perspectives, ni alternative véritable. C’est, entre autre, pourquoi un grand nombre d’entre eux se détournent du syndicalisme et de l’action collective ou s’apprêtent dans les prochaines semaines à se réfugier dans l’abstention politique à l’occasion des élections européennes dont d’ailleurs ils ne voient pas l’utilité puisqu’en dernière analyse on ne tient pas compte de leur vote et de leurs opinions.
Malgré l’attentisme du syndicalisme « de dialogue social » l’action rendue nécessaire exprime une colère, une exaspération et des exigences de justice, de liberté et de respect. Nombreux sont ceux qui font grève face à la baisse de leurs revenus, à l’accélération des cadences de travail ou encore pour protester contre le génocide à Gaza, comme c’est le cas dans de nombreuses universités en Europe et aux Etats-Unis. Ces mouvements d’une grande diversité dans les entreprises et les quartiers populaires, dont l’importance ne saurait échapper, sont aussi révélateurs de perspectives et de profonds changements des consciences. Il se développe malgré les violences policières, et les campagnes politiciennes de discrédit médiatique et de répression de la parole autant que de l’action, mais aussi indépendamment de la plupart des confédérations syndicales. C’est le cas au sujet de la solidarité avec la résistance palestinienne et de la critique du génocide mis en œuvre délibérément par Israël, que l’on laisse assimiler dorénavant à une apologie du terrorisme, voir à de l’antisémitisme.
Les intérêts géopolitiques des États, le commerce, le contrôle, et le pillage des richesses, les conditions de leur accès, le soutien aux entreprises transnationales, la mainmise sur les communications et les technologies du futur, les conflits asymétriques qui se multiplient son autant de sujets qui sont au cœur des préoccupations de chaque État et gouvernement.
Par ailleurs, cela contribue à déterminer les alliances, les politiques nationales et internationales et à influer sur les rapports de force. Bien évidemment, la France n’échappe pas à cette réalité, à cette façon de voir et de faire. Cela était vrai hier de sa politique internationale comme puissance coloniale et impériale cela est le cas aujourd’hui, en particulier en Afrique ou dans ce que l’on nomme les territoires et départements d’Outre-Mer ou la France revendique un pré carré de plus en plus en perdition. Toutes ces considérations et ces constats influencent la vie des gens au quotidien et tout spécialement celle des travailleurs au sein des entreprises.
Il n’y a pas de philanthropie dans les relations internationales, chaque État défend ses intérêts nationaux et l’ONU n’est que le reflet d’un rapport des forces. Comme on vient de le voir récemment, à la fois capable à son Assemblée Générale de voter à une très large majorité la reconnaissance et l’adhésion de la Palestine au système onusien mais, dans le même temps, incapable d’appliquer cette décision par le veto des Etats-Unis et l’opposition hystérique d’Israël.
Même vassalisée et atlantiste, la France est une des principales puissances impérialistes, puissance nucléaire, elle est membre du conseil de sécurité de l’ONU. Elle aspire à jouer un rôle déterminant dans le leadership qu’elle partage avec l’Allemagne en Europe. Cette réalité impose une responsabilité particulière aux syndicats et à la CGT en particulier. Elle a donc besoin à tous les niveaux de son organisation d’une analyse, si elle veut jouer un rôle et prétendre à une stratégie syndicale conséquente susceptible de peser sur les orientations de la France et au-delà, qu’il s’agisse de celles du gouvernement, comme des entreprises, ou des institutions supranationales voire des différentes forces politiques. Ainsi, la récente orientation en forme de provocation irresponsable annoncée par Macron d’impliquer la France aux côtés du régime néo nazi de Kiev, devrait faire l’objet d’une action résolue de la part de la CGT, tout comme d’ailleurs des organisations pacifistes pour s’y opposer. Nous n’en sommes pas là. Et cela d’autant plus que la CGT entretient dorénavant des relations étroites et soutient financièrement une organisation prétendument syndicale comme la KVPU dont le principal dirigeant Mikhaielo Volynets est un cadre du mouvement nazi AZOV auquel d’ailleurs Volodymyr Zelensky vient de rendre un hommage appuyé.
Quelle activité internationale de la CGT ?
Dans ce contexte, et pour ces raisons, la CGT avec d’autres organisations en Europe, dans le monde et pas exclusivement syndicales se doit d’échanger, de partager, de s’informer, de façon bilatérale ou multilatérale avec l’objectif que ce travail soit utile à son combat et à celui d’autres. Est ce la démarche qui l’anime aujourd’hui en toutes circonstances ? Rien n’est moins sûr ?
Ni angélisme, ni idées reçues, ni a priori, la CGT a besoin de tous les éléments d’appréciation pour se déterminer en connaissance de cause. Elle se doit de les apprécier à partir de principes, et non à partir de positions de circonstances déterminées par l’air du temps, ou tout simplement par le souci d’être euro compatible c’est-à-dire en conformité avec la pensée syndicale réformiste dominante au sein de la plupart des confédérations syndicales en Europe.
L’activité internationale de la CGT se doit d’être indépendante et pour ces raisons être un engagement constant dans le but de nouer les solidarités nécessaires et construire des rapports de force internationalement permettant aux peuples et aux travailleurs de gagner. C’est historiquement cette démarche qui à contribuer à lui donner ce caractère singulier, et son identité comme à la reconnaissance internationale qui est, ou disons plutôt, qui a été la sienne.
Il existe dans le mouvement syndical international deux conceptions, deux visions, une approche de classe et une autre qui est une conception réformiste et de collaboration de classes. Ainsi, par exemple, il existe deux confédérations internationales, la CSI et la FSM, pas une, mais deux. Par ailleurs il y a aussi d’autres structures régionales pour chaque internationale syndicale, ce qui représente mondialement une force organisée incontestable que l’on évalue autour de 450 millions d’affiliés étant entendu qu’un grand nombre de confédérations syndicales n’on pas d’affiliation internationale, c’est le cas par exemple de la Fédération des Syndicats de Chine. Toute la question étant de savoir comment cette grande force des syndicats dans le monde intervient et pèse en faveur de la justice sociale, de la paix, de la coopération, du développement et des intérêts des peuples.
Si l’on jette un regard rapide sur les débats dans la CGT que constatons-nous, s’agissant de la FSM, de la CES ou de la CSI ?
Qu’en est-il de la FSM ?
Des militants voudraient ignorer ou feindre d’ignorer l’existence de la FSM. Pourtant celle-ci défend des positions anticapitalistes et anti impérialistes. Sa représentativité est indiscutable, elle revendique désormais près de 110 millions d’adhérents dans plus de 135 pays. Son congrès de Rome en mai 2022 a été un succès, tant par une participation exceptionnelle y compris de syndicalistes et étasuniens ou du DGB allemand, que par les décisions prises pour être toujours mieux en phase avec les luttes sociales et politiques émancipatrices sur le terrain. Elle est présidée par un dirigeant de la prestigieuse COSATU d’Afrique du Sud et animée par un nouveau secrétaire général, Pambis Kiritsis de la PEO, cette importante centrale syndicale particulièrement combative à la tête des luttes des travailleurs chypriotes.
Est-il acceptable de se taire, pire de cacher la solidarité qu’exprime la FSM vis-à-vis des luttes des travailleurs français comme encore récemment à l’égard de Jean-Paul Delescaut, dirigeant de la CGT du Nord ou, comme ce fut le cas dans l’important mouvement sur les retraites et alors qu’internationalement, elle a été la seule dans ce cas ? Pas seulement avec des déclarations mais avec des initiatives concrètes dans les entreprises devant les ambassades de France, comme dans les manifestations en France et dans de très nombreux pays. Alors pourquoi le taire, pourquoi cet ostracisme d’un autre âge ?
Autre exemple : ne faut-il ne rien dire sur le fait que d’importantes Confédérations dans le monde ont préféré choisir la FSM plutôt que la CSI, c’est le cas en Afrique, en Asie, en Amérique Latine ? On ne saurait écrire ou réécrire l’histoire comme elle convient.
Disant cela, l’intention n’est pas de démontrer que la FSM serait sans critiques, sans carences, sans faiblesses, ni insuffisances. Bien sûr, il est important pour la FSM de disposer d’une stratégie de conquête dans les pays développés particulièrement en Europe où son implantation reste faible, même si elle a progressé comme en Italie, en Grèce, en Grande Bretagne et en France notamment avec des organisations représentatives et combatives. La FSM doit également et impérativement trouver les moyens de dialoguer et de coopérer pour agir avec toutes les forces syndicales qui se battent résolument et dont les orientations s’opposent aux capitulations de la CES et de plusieurs confédérations.
Mais, il est un fait indiscutable que, depuis son congrès de La Havane en 2005, et alors que beaucoup l’avaient enterré un peu vite, celle-ci s’est profondément renouvelée, transformée en mettant en pratique des réformes que d’ailleurs la CGT avait préconisées concernant la FSM dès les années 90. Les résultats de celle-ci sont incontestables, sa crédibilité a progressé de manière significative. Pour beaucoup de syndicats dans le monde, cette évolution est observée avec intérêt et sympathie comme une alternative possible à la crise du syndicalisme international. La FSM compte de nouveau dans le paysage syndical mondial ! Au nom de quoi et de qui faudrait-il le taire ? Que craint on ?
Existe-t-il un problème avec le syndicalisme qui défend des positions critiques vis-à- vis du capitalisme, de l’impérialisme, de l’Europe, de l’euro et qui attache une grande importance à la solidarité internationale de lutte, qui considère l’action revendicative comme le meilleur et seul moyen pour anticiper toute discussion ou négociations en position de force. L’engagement remarquable et permanent de la FSM vis-à-vis de la résistance palestinienne et de tout un peuple soumis à un génocide est un bon exemple de ses capacités à mobiliser. C’est pourquoi ce syndicalisme de lutte de classes qu’incarne la FSM a les moyens de progresser sensiblement en influence comme en force organisée.
Qu’en est-il de la CES, CSI ?
On aura du mal à trouver le même comportement du côté de la CES et de la CSI. Au plan international et européen celles-ci ne font qu’épouser le point de vue occidental en restant muettes, devant les crimes commis par l’état raciste d’Israël au nom du fait qu’un des affiliés de la CSI est la Histadrut israélienne. Pourquoi ne faudrait-il pas en parler ?
Car enfin, est-on si certain qu’il y a compatibilité entre les orientations des organisations syndicales CGT, en particulier dans les entreprises et celles du syndicalisme européen CES ou celui incarné au niveau international par la CSI ? Qu’en pensent les syndiqués et les militants de la CGT ? Ont-ils la parole à ce sujet ? Si la CGT continue à revendiquer une analyse de classe, celle-ci doit être cohérente avec ses positions internationales ! Si elle fait d’autres choix ce qui est son droit, elle doit le dire, mais c’est à ses syndiqués et militants d’en décider.
Soyons lucide. En Europe, la CGT, de par la combativité de nombre de ses militants et de ses syndicats, est toujours perçu comme une sorte d’anomalie au regard de ce que représente et ce qui domine dans le syndicalisme européen. De nombreuses forces politiques et syndicales aimeraient voir la CGT se mettre définitivement en conformité d’orientation et de fonctionnement avec le syndicalisme européen, permettant de créer ainsi des conditions en faveur de l’émergence en France d’une grand pole syndical réformiste. Bien que cette orientation a été contesté et abandonné par les délégués au 53e Congrès Confédéral, la nouvelle direction de la CGT persiste à ne pas en tenir compte et pousse actuellement plus avant les discussions avec d’autres organisations syndicales comme la FSU, dans le but à terme de fusionner. Ceci ne pourrait être qu’une étape en vue de la création d’un cadre plus large dont l’intersyndicale dans le mouvement des retraites de 2022/2023 avait donné un avant-goût.
Dans ce contexte, apparait de plus en plus nettement l’impasse stratégique dans laquelle se trouve aujourd’hui le syndicalisme européen incarné par la CES et, internationalement, par la CSI. Son institutionnalisation, sa bureaucratisation, son mutisme face au développement de l’action revendicatives souligne ce que ces deux organisations sont en définitive : les roues de secours du système capitaliste dominant, une justification sociale et finalement un des rouages de l’Union européenne et des institutions financières internationales, dont par ailleurs elles sont dépendantes financièrement à travers leur budget comme l’illustre les affaires de corruption dans lesquelles la CES et son ex secrétaire général ont été impliqués récemment et qui ont contraint celui-ci à la démission.
Pendant de nombreuses années l’argument officiel de plusieurs dirigeants de la CGT fut : adhérer à la CES c’est se donner les moyens d’influencer le syndicalisme européen et avec d’autres confédérations rendre celle-ci plus combative, plus démocratique et indépendante. D’autres ajoutaient que l’objectif était aussi de rendre conciliable la CGT avec la conception qui a leurs yeux dominait de manière irréversible le syndicalisme européen et international, c’est-à-dire une vision réformiste des rapports entre le capital et le travail afin de favoriser un prétendu « dialogue social » par la « concertation » la « proposition », la « négociation », le « partenariat ».
Alors que la quasi-totalité des confédérations syndicales en Europe soutenait l’affiliation de la CGT, l’opposition en France, particulièrement de la CFDT, persistait. Lever celle-ci était une condition pour permettre l’affiliation de la CGT du fait des statuts de la CES. Pour sortir de cette situation, il fallait parvenir à un compromis impliquant de la part de la CGT, une révision, un recentrage, en accélérant une mutation déjà engagée depuis des années.
Commodément, ceci fût fait au nom d’un nouveau concept, celui du « syndicalisme rassemblé » ainsi qu’à une modification des statuts en particulier ceux portant sur ce que l’on a coutume d’appeler la double besogne. On s’empressa d’adopter ces changements de principes pour les adapter aux autres confédérations françaises, européennes et internationales. Malgré les critiques fort nombreuses dans la CGT, on a depuis continué à défendre bec et ongles cette conception dont l’échec est patente après plus de 25 ans. Comme on l’a vu au 53e congrès, cette obstination dont certains dirigeants continuent à faire preuve n’est pas sans risques pour l’unité et la cohésion de la CGT.
Cette révision doctrinale à laquelle la direction de la CGT a contribué a entraîné une réorientation des activités internationales de la CGT, une approche différente des enjeux européens, une normalisation des relations avec la CFDT, une révision des fondamentaux comme déjà précédemment l’avait été l’abandon du concept de socialisation des moyens de production et d’échange qui appartenaient au patrimoine de la CGT.
Ce ralliement exigé par la CFDT pour qu’elle accorde son feu vert à l’affiliation de la CGT à la CES fut finalement accepté ! Ainsi, ce n’est donc pas la désaffiliation de la CGT de la FSM qui permit l’adhésion de la CGT à la CES puis à la CSI mais bien un changement d’orientation, et pas seulement s’agissant de l’euro et la construction européenne. Le récent discours de Sophie Binet au dernier congrès de la CES confirme une adhésion sans nuances de la CGT aux conceptions et orientations du syndicalisme européen. Ainsi, selon celle-ci, “ toutes les avancées européennes de la dernière période sont issues de nos luttes coordonnées par la CES ”. Il fallait oser, pour faire apparaître la CES comme l’organisation stratège des luttes de classes en Europe.
Quant à la CSI, les mêmes raisons furent invoquées. La convergence de la CGT au niveau mondial avec d’autres confédérations allait permettre, disait on, de réorienter le syndicalisme international pour en faire un outil au service de la lutte contre les excès de la mondialisation. En réalité, les activités en Europe et dans les institutions internationales ont ainsi pris le pas sur une approche globale, transversale, militante qui était en phase avec les besoins de la CGT dans les entreprises.
Faire ce constat n’a rien de polémique, il s’agit de faits ! Il est important que les militants de la CGT en soient informés pour qu’ils agissent dans la clarté des positions réelles. C’est d’ailleurs le cas de nombreuses organisations de la CGT qui en ont tiré les conclusions, après débats dans leurs organisations respectives, et en les menant jusqu’au bout pour certains en reprenant leur place dans les rangs de la FSM.
Aussi, ne faut-il pas se poser également la question de savoir si aujourd’hui les affiliations à la CES et la CSI demeurent pertinentes et si d’ailleurs à travers l’expérience concrète, elles ne l’ont jamais été.
Quel internationalisme ?
L’internationalisme n’est pas une pétition morale, elle est un trait où devrait être un trait, constitutif d’une conception de la lutte de classes, du sens et de l’orientation donné à un combat comme à l’organisation de celui-ci. Chaque lutte en influence une autre et contribue au succès de toutes. C’est vrai en France ; ça l’est tout autant à une toute autre échelle.
La solidarité internationale fait donc partie d’une démarche conséquente et cohérente parce qu’elle vise à rassembler et unir les travailleurs à travers le monde pour leur permettre des rapports de force capables d’influer sur les choix, les décisions. Il s’agit d’une histoire qui est commune avec d’autres forces syndicales dans le monde. S’agissant de la CGT, c’est là son patrimoine et tous ses militants en sont comptables !
Il est donc nécessaire que la CGT s’inscrive dans cette continuité qui est indispensable au contenu de son action revendicative comme aux valeurs et principes qui sont et qui doivent demeurer les siens. A fortiori dans le contexte d’un aiguisement des luttes de classes au niveau international, de la mondialisation du libéralisme et de l’influence des forces de la finance. Et plus encore si l’on tient compte de la conflictualité extrême et des risques d’une 3e guerre nucléaire mondiale que certains voient imminente.
Nous sommes entrés dans une nouvelle période de l’histoire de l’humanité entre risques et opportunités. La question qui se pose est de savoir si la CGT peut continuer dans la voie de ce syndicalisme international institutionnalisé coupé des réalités des luttes dans le monde et de surcroit aligné sur les positionnements des gouvernements occidentaux. Ainsi en est-il des évènements à Gaza, en Palestine et dans une région ou la CGT entretient de manière sélective des relations qui ne contribuent pas à l’unité et au rassemblement pourtant si nécessaire.
Les militants de la CGT ne saurait-être indifférente aux bouleversements dont le monde est le théâtre, elle ne saurait observer passivement les causes des conflits, des tensions, des crises, des menaces ou des risques de guerre. Par conséquent, elle doit avec les travailleurs prendre parti au nom de son histoire, de ses convictions et de générations de militants engagés dans la lutte pour la justice sociale, le progrès et la paix.
Voilà pourquoi la meilleure solidarité internationale est celle qui repose d’abord sur l’action dans l’entreprise sur ce qui est le lieu de travail, car ce sont là que se noue les contradictions, là que nait la lutte de classes. C’est donc à partir de là qu’il faut l’articuler avec celles d’autres travailleurs et d’autres forces syndicales ailleurs. C’est Benoit Frachon qui disait avec malice « avant de faire le tour du monde, il faut faire le tour de l’atelier ».
Les militants de la CGT sont des internationalistes, non pas en soit, de manière incantatoire ou pour la forme ! Mais tout simplement parce qu’on ne saurait concevoir le sens du combat de classes indépendamment de celui d’autres travailleurs dans le monde et de l’action de leurs syndicats. Leurs victoires, mais aussi leurs défaites sont les leurs !
Ainsi, si l’on est d’accord pour dire que le mouvement syndical international est divers et si il est nécessaire d’échanger, de partager, d’écouter et d’apprendre les uns des autres, alors on ne saurait exclure quiconque ! Cela doit se faire dans le respect des positions de chaque organisation, sans jugement péremptoire, ou pire encore en cherchant à les masquer, à les cacher, à les travestir en faisant parfois preuve d’arrogance et de suffisance.
Concrètement, cela veut dire débattre avec tous sans discriminations, mais aussi sans concessions. Les travailleurs font face à un même système, à un même adversaire, à une même logique d’exploitation et de prédation, à de mêmes objectifs de domination. Dans ce combat on ne saurait écarter aucune force toutes sont nécessaires. Nul ne saurait prétendre qu’il a seul la force qui lui permettra de résoudre les problèmes, ou qu’il a les réponses aux défis auxquels nous sommes aujourd’hui tous confrontés. La CGT se doit de contribuer à cette ambition.
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