L’“énigme” transatlantique
18 mai 2024 (09H30) – Le texte (très court, comme d’habitude, mais très dense) de Constantin von Hoffmeister, – souvent cité, 5 fois en 2023, le dernier le 27 décembre 2023, – commence par une citation de Martin Heidegger qui porte une certaine charge d’ambiguïté énigmatique. (Malheureusement, aucune indication n’est donnée sur le contexte, ni le sens de ce contexte.) Il date de 1942, une période “noire” pour Heidegger selon les sentinelles de la bienpensance. Il dit ceci et nous laisse, par rapport aux événements en cours, – les rapports USA-Europe, le sort des USA, celui de l’Europe, – un peu sur notre faim, – ce qui l’indifférait fort probablement ayant assez à faire avec les événements qu’il traversait :
« Nous savons aujourd’hui que le monde anglo-saxon de l’américanisme est déterminé à anéantir l’Europe, c’est-à-dire la patrie et la création de l’Occident. Le conceptuel est indestructible. »
Ce texte de von Hoffmeister du 16 mai 2024 est sur son site ‘Eurosiberia’ et porte sur « L’identité européenne de l’Amérique ». Le titre lui-même est ambigu également, et même énigmatique, – bref, sujet à débat, et donc parfaitement dans le sens du texte.
Dans une première partie, assez détaillée et fort bien argumentée, von Hoffmeister développe une définition métahistorique de l’Amérique. On observera qu’elle correspond parfaitement à notre propre conception qui place l’Amérique comme une sorte d’entité née “hors de l’histoire” ; en quelque sorte, indifférente ou coupée de l’histoire (et, soupçonnent certains avec bien des arguments, avec l’ambition très vite développée et affirmée de faire l’histoire elle-même et de l’imposer au reste, comme le pensaient les génies de l’administration G.W. Bush).
« Contrairement à l’Europe, qui est passée à la modernité à partir d’une riche histoire prémoderne, l’Amérique est née directement dans la modernité, incarnant une société purement conceptuelle basée sur l’individualisme. Ce fondement individualiste a donné naissance à une culture hautement libérale, dans laquelle l’individu évolue comme un Dasein isolé. L’anthropologie et les sciences sociales modernes, qui assimilent « l’humanité » à l’individu, sont restées figées sur ce concept. La fixation de l’Amérique sur l’individu a conduit à un mode d’existence superficiel, dépourvu de la profondeur de l’être historique qui caractérise les sociétés européennes.
» S’inspirant de la philosophie de l’histoire de Hegel, l’Amérique n’a pas suivi le développement dialectique de la conscience historique qui insuffle à la modernité européenne un sens du Geist (esprit) et de la Geschichtlichkeit (historicité). L’absence d’expériences prémodernes – telles que l’empire, la théocratie ou la féodalité – signifie que l’Amérique ne possède pas la perception profonde de l’histoire qui façonne une identité plus riche et plus authentique. Au lieu de cela, l’Amérique opère dans un état de Seinsvergessenheit (oubli de l’être), prise dans la superficialité du monde moderne. Cela contraste fortement avec l’Amérique latine qui, en tant qu’extension périphérique de l’Europe, a hérité et intégré des éléments prémodernes dans son identité, tels que les coutumes et structures sociales médiévales espagnoles et portugaises. Ainsi, la recherche d’une identité plus authentique dans la société américaine reste complexe et difficile, entravée par ses circonstances historiques et son individualisme omniprésent. »
Ensuite, von Hoffmeister développe une thèse qui établit un lien solide, sinon indéfectible entre Américains et Européens. Cette thèse diverge de la nôtre, et je dirais, de plus en plus et de plus en plus vite à mesure que se développent les événements. Pour nous, et pour moi sans nul doute, s’il est une civilisation et une spiritualité qui conservent un acquis fondamental européen face à la prédation dévorante de l’Amérique, c’est la Russie bien plus que les pays de l’UE complètement dévorés par leurs choix politiques assortis de l’emprise d’une communication d’une telle puissance qu’on peut se demander si elle ne modifie pas l’essence de l’être. (C’est une idée récurrente dans ces pages que la prise en compte comme un bouleversement ontologique majeur porté par le système de la communication.) Cela s’oppose au jugement de Heidegger selon lequel « le conceptuel est indestructible », en introduisant l’hypothèse selon laquelle la puissance de la communication est telle qu’elle touche à l’essence même de l’être.
Voici le passage du texte de von Hoffmeister. On y trouve notamment le terme ‘Dasein’ qui est a été introduit dans la philosophie par Heidegger pour signifier “être-là”, et qui est l'infinitif substantivé du verbe allemand ‘dasein’ signifiant dans la tradition philosophique “être présent”.
« Cependant, certains soutiennent que l’Amérique est une greffe européenne et que le passé de l’Europe est aussi le passé des Américains d’origine européenne. Dans cette optique, l’Amérique est une république européenne érigée par les Européens sur le sol du Nouveau Monde, imprégnée des traditions, de la politique et donc aussi de l’histoire européennes. Cette perspective suggère que l’identité américaine est inextricablement liée à la trajectoire historique européenne et que la composition culturelle et philosophique de l’Europe fait partie intégrante de la compréhension de l’être américain. Même si l’Amérique n’a pas sa propre histoire prémoderne, elle perpétue l’héritage dialectique de l’Europe, incarnant la modernité européenne dans un nouveau contexte. Cette connexion implique que les racines de l’identité américaine, bien que transplantées, restent liées à l’histoire riche et complexe de l’Europe, offrant une voie différente pour découvrir la véritable essence du Dasein américain, qui n’est qu’une autre variante du Dasein européen. »
La conclusion du texte répond parfaitement à notre constat d’ambiguïté et d’énigme métahistorique : s’il y a une telle proximité, comment expliquer que l’Amérique semble décidée à dévorer l’Europe, notamment avec ses moyens de propagande et de capitalisme prédateur, – « semblant déterminé à rompre ses liens primordiaux avec le Vieux Monde » ?
« Considérez le paradoxe de notre époque : l’Amérique, descendante de l’Europe, est devenue à la fois héritière et adversaire. Elle utilise les instruments de propagande comme divertissement et de prédation comme le capitalisme, semblant déterminé à rompre ses liens primordiaux avec le Vieux Monde. Pourtant, l’essence de la civilisation occidentale, imprégnée de la pensée et de l’esprit européens, reste inébranlable. Le cœur de l’être américain est imprégné d’héritage européen – un marqueur identitaire qui perdure. Le prétendu annihilateur est également porteur de continuité, car la création de l’Occident était donc un événement métaphysique et, en tant que tel, imperméable à la dissolution. »
Notre approche est différente, bien entendu. Nous croyons effectivement qu’il reste quelque chose de l’héritage européen chez l’Américain, mais il ne s’agit nullement d’une continuité mais bien d’une bataille défensive face au monstre de la communication qui dévore aussi bien l’Américain que l’Européen, que le reste. Cette bataille se marque aujourd’hui par l’affrontement au cœur des USA, avec une intensité de haine qui en mesure bien l’importance, et l’on voit bien, – nous le répétons souvent, – qu’un certain nombre d’Américains qui sont conscients de leurs origines civilisationnelles ont reconnu chez les Russes la subsistance de la Tradition qui est nécessairement la marque de la civilisation européenne, comme de toute civilisation.
Note de PhG-Bis : « Je parle de “civilisation” au sens cosmique et spirituel du terme, sans aucune référence géopolitique, raciale, ethnique, etc. Ce terme de “civilisation” mettant en cause l’Europe er les USA dans le texte considéré, concerne en fait toute la planète elle-même, parvenue, à cause de ses réalisations matérialistes et technologiques emportant tout dans le sens choisi qui est indéniablement pervers et satanique, à un point de rupture de toute sa métahistoire. »
Nous retrouvons la bataille de la Tradition contre la Modernité, et l’Amérique telle qu’elle se développa, et malgré les intentions de certains qui prirent vite conscience de leur erreur (« Tout, tout est perdu », disait Jefferson avant de mourir, en 1825), est devenue l’arme absolue de la Modernité. Aujourd’hui, nous nous trouvons dans la phase finale et les Européens, réduits à rien, ne sont certainement pas ceux qui peuvent prétendre soutenir le combat. Les centres de cette guerre ultime sont aux USA même et en Russie, et les Européens, s’ils sont encore vivants et capables de se dégager de leur zombification, – cette réserve pour ne pas paraître trop catastrophiste ni me décourager moi-même, qui suis Européen, – ont un choix évident à faire
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