Jean Baillargeon, Martine Eloy, Raymond Legault et Suzanne Loiselle sont membres du Collectif Échec à la guerre
Alors que l’agression génocidaire d’Israël s’abat sur Gaza depuis plus de sept mois, les Palestinien·ne·s commémoraient, le 15 mai, le 76e anniversaire de la Nakba (la Catastrophe). D’hier à aujourd’hui, complice d’Israël, le Canada a toujours été un obstacle à l’autodétermination du peuple palestinien. Le respect des droits humains universels et du droit international appellent à un changement radical de la politique canadienne vis-à-vis Israël et la Palestine.
La Nakba de 1948
Le 29 novembre 1947, suite à l’Holocauste – l’horreur ultime qu’avait infligée l’antisémitisme européen aux populations juives d’Europe – l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait un plan de partage de la Palestine en deux États, l’un juif et l’autre arabe. Répondant ainsi à l’objectif du mouvement sioniste européen d’un foyer national juif en Palestine, remontant à la fin du 19e siècle, l’ONU naissante allait ainsi ouvrir la voie à d’autres crimes.
Au cours de l’année 1948, des milices sionistes ont chassé de force environ 750 000 Palestinien.ne.s de leurs foyers, soit plus de 80 % de ceux qui vivaient alors dans les territoires qui allaient devenir l’État d’Israël. Elles ont détruit plus de 500 villages palestiniens et ont vidé 11 quartiers urbains de leurs habitants palestiniens.
Ces crimes ont longtemps été occultés sous la mythologie fondatrice d’un petit Israël luttant courageusement pour sa naissance et sa survie face à des populations arabes hostiles et non civilisées. Un récit tout à fait semblable aux mythes fondateurs des pays coloniaux des Amériques, dont le Canada, dépossédant et massacrant leurs populations autochtones. Mais, au fil des années, les travaux d’historiens palestiniens et israéliens ont révélé que cette ‘catastrophe’ n’avait pas été un dommage collatéral de la première guerre israélo-arabe de 1948, mais plutôt le résultat de la mise en œuvre d’un nettoyage ethnique méticuleusement planifié.
La Nakba : d’hier à aujourd’hui
Mais la Nakba n’est pas que cet horrible nettoyage ethnique de 1948. Elle est aussi comprise comme le projet de dépossession qui s’est poursuivi jusqu’à nos jours. Car ni ces réfugié·e·s, ni leur descendance, n’ont jamais pu exercer leur droit au retour, tel que stipulé dans la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations Unies (11 décembre 1948). En 1967, Israël a conquis la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem-Est. Jusqu’à aujourd’hui, son occupation et son contrôle militaires de ces territoires ont étranglé l’économie palestinienne, soumis leur population à des vexations et des humiliations constantes, brutalement réprimé la résistance légitime. Israël a aussi illégalement colonisé ces territoires de centaines de milliers de ses citoyen·ne·s juifs, continué à confisquer des terres, à déposséder le peuple palestinien.
Depuis octobre 2023, l’assaut génocidaire d’Israël contre la population de Gaza s’inscrit dans cette Nakba toujours en cours, des dirigeants israéliens faisant même référence à « finir le travail » de 1948. Une « Nakba 2.0 »!
Le Canada complice depuis 1947
Dès 1947, le Canada a été associé à l’histoire d’Israël. Membre du Comité spécial des Nations Unies sur la Palestine, il y a soutenu la position sioniste et l’adoption du plan de partage.
Face aux violations historiques et persistantes du droit international par Israël, le Canada se contente d’en nommer quelques-unes. Ainsi, il dit reconnaître le droit à l’autodétermination des Palestiniens, et il dit que les colonies israéliennes et l’annexion de Jérusalem-Est contreviennent au droit international. Mais face aux innombrables crimes qu’entraînent l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens, il n’exprime aucune indignation et, surtout, n’entreprend aucune action conséquente. Au contraire. Le Canada professe constamment son « amitié indéfectible » avec Israël, ajoutant que le soutien qu’il lui accorde « est au cœur de la politique canadienne à l’égard du Moyen-Orient depuis 1948 ».
Face aux nouvelles horreurs commises par Israël à Gaza depuis plus de 7 mois, la complicité canadienne se poursuit, avec des ajustements de discours pour tenter de sauver la face. Le Canada a donc finalement voté en faveur d’un cessez-le-feu à l’ONU. Et il exprime parfois des « préoccupations » face à la situation humanitaire à Gaza. Après avoir vendu plus d’armes à Israël d’octobre à décembre 2023 que pendant toute l’année 2022, le Canada a annoncé ne plus accorder de nouvelles autorisations en ce sens… tout en indiquant qu’il allait respecter les ententes déjà signées. Et cette position n’a pas été modifiée par l’adoption, le 20 mars dernier, d’une motion parlementaire stipulant que le Canada cessera d’autoriser et de transférer des armes à Israël.
Pour un vrai « changement fondamental »!
Le 6 mai 2024, Israël a finalement lancé son offensive annoncée, tous azimuts, contre la ville de Rafah, où 1,5 millions de Gazaoui·e·s avaient trouvé un énième refuge. Israël empêche maintenant l’entrée de toute aide humanitaire au passage de Rafah. Le lendemain, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, déclarait que c’était « totalement inacceptable », ce qu’elle avait aussi déclaré plus de deux mois auparavant.
Le 10 mai, professant un « changement fondamental » dans son approche, le Canada s’est abstenu lors d’un vote massif à l’ONU reconnaissant formellement la Palestine comme État. Le Canada a indiqué qu’il pourrait apporter lui-même cette reconnaissance « au moment le plus propice à une paix durable », même sans l’accord d’Israël, à condition que le Hamas n’y joue aucun rôle.
Mais au regard de l’ampleur des crimes commis par Israël, une telle prise de position n’est qu’un petit brassage d’air inutile. Comme le soulignait récemment Agnès Callamard, secrétaire-générale d’Amnesty International (AI), à propos d’Israël, « l’échelle des violations [du droit international] commises au cours des six derniers mois est sans précédent ». En effet, il n’y a jamais eu, comme conséquence directe de bombardements, autant de morts d’enfants, de journalistes, de personnel de la santé, de travailleurs humanitaires. Et la famine ne s’est jamais répandue aussi rapidement à toute une population que par suite du blocus orchestré par Israël.
Il est plus que temps que le Canada mette un terme à son « amitié » avec Israël. Il est plus que temps qu’il remette en question l’État d’apartheid, l’État colonisateur, l’État génocidaire qu’est Israël. Il est plus que temps qu’il dénonce tous ces crimes et en rende Israël imputable. Ce n’est pas un supposé projet palestinien de « jeter les Juifs à la mer » que l’on doit redouter. C’est le projet sioniste d’un Grand Israël d’où la population palestinienne est chassée, étouffée, affamée, exterminée, et qui est en cours d’exécution depuis des décennies, qu’on doit arrêter.
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