L’auteur est historien
Quelle belle biographie de Samuel de Champlain nous offre ces jours-ci le grand historien français Éric Thierry sous le titre Samuel de Champlain, aux origines de l’Amérique française, publiée chez Septentrion.
Chercheur infatigable, doté d’une culture historique profonde et d’une capacité d’analyse remarquable, Thierry a retrouvé des documents inédits dans les archives de France, en plus de ceux qui, selon lui, avaient été mal exploités par les historiens précédents, de manière à éclairer plus adéquatement certaines périodes de la vie de Champlain, comme sa formation et sa participation indirecte en 1624, de ce qui deviendra plus tard la ville de New York.
La colonisation française en Amérique du Nord est souvent décriée de nos jours, mais Thierry nous explique que, comparée à celle d’autres pays comme l’Espagne et même l’Angleterre, celle de la France a été presque exemplaire.
Cependant, on ne peut juger de l’ouvrage de Thierry, sans le comparer au best-seller de David Hackett-Fischer de 2008, Champlain’s Dream, dont la traduction a été publiée ici, chez Boréal en 2011 et qui nous présente un Champlain spectaculaire, plus grand qu’il ne le fut jamais, mais finalement, dénaturé.
« Champlain, nous dit Fischer, rêvait d’humanité et de paix dans un monde de cruauté et de violence. Il entrevoyait un monde nouveau où des gens de cultures différentes pourraient vivre ensemble dans l’amitié et la concorde. C’est ce qui devint son grand dessein en Amérique du Nord… la plus grande réalisation de Champlain… ce qu’on retient de lui », écrit encore Fischer, « c’est le leadership exemplaire qu’il a mis au service de l’humanité ».
Mais, qu’est-ce que c’est que ça ? L’île d’Utopia de Thomas More ? Pour un peu, on croirait relire la déclaration d’indépendance des États-Unis de 1776: « Tous les hommes sont créés égaux, ils sont doués de droits inaliénables, tels la vie, la liberté et la recherche du bonheur », cet énoncé ne s’appliquant bien sûr, ni aux femmes ni aux Amérindiens ou aux esclaves noirs ! Ne l’a-t-on pas répété assez souvent, « l’historien est d’abord et avant tout témoin de son temps, de sa culture » et Fischer ne fait pas exception à la règle, loin de là, il est Américain !
Fischer a-t-il été ébloui par cette petite phrase fort mal comprise par les historiens d’aujourd’hui, « Nos garçons se marieront à vos filles, & nous ne ferons plus qu’un peuple », supposément dite par Champlain au chef montagnais de la région trifluvienne Capitanal, lors d’une assemblée du mois de mai 1633 à Québec, phrase rapportée par un interprète présent lors de cet évènement et publiée par le père jésuite Paul Le Jeune dans sa Relation de cette année-là qui lui, ne s’y trouvait pas ?
Hackett-Fisher a-t-il mis de côté ce qu’écrivait Champlain lui-même à propos des Autochtones dans ses voyages de 1619, qu’il réitère dans ceux de 1632 ? « Il conviendra oster & suprimer, leurs salles coustumes, la dissolution de leur moeurs, & leurs libertés inciviles…les retenir en debvoir, & avec douceur les contraindre à faire mieux, & par bons exemples les esmouvoir à correction de vie. »
Et, c’est d’abord par l’évangélisation que cela devait se faire, non pas par force et violence, mais avec douceur et persuasion.
D’ailleurs, le préambule et l’article 17 de l’Acte de création de la Compagnie des Cent Associés de 1627, ne dispose-t-il pas qu’il faut « amener ces peuples à la connaissance du vrai Dieu, les faire policer et instruire à la foi et religion catholique… disposer ces nations à la vie civile… y établissant l’autorité royale… et tirer des terres nouvellement découvertes quelque avantageux commerce pour l’utilité des sujets du Roi » et, « que les sauvages qui seront amenés à la connaissance de la foi et en feront profession, seront censés et réputés naturels Français ».
C’était là l’essentiel de la politique française à l’égard des Autochtones de la Nouvelle-France: en faire des Français catholiques.
En fait, Champlain, s’il entrevoyait un métissage génétique, qui par ailleurs ne s’est jamais produit, n’envisageait nullement un métissage culturel ou l’avènement d’un peuple culturellement hybride. L’Amérindienne promise à un Français, devait être baptisée, européanisée, autrement elle n’aurait été d’aucune utilité pour un colon.
Il ne s’agissait pas d’un mariage « à l’indienne », qui n’était pas reconnu par les autorités, mais bien d’un mariage catholique. À cette époque, la religion était une vision du monde, une manière de vivre, elle était intimement liée à l’existence de l’individu. La religion n’était pas relative comme chez nous aujourd’hui, mais absolue.
Contrairement aux autres colonies des Amériques, l’économie du Canada d’alors, ne reposait pas sur l’exploitation du sol, mais bien sur celle de la faune. En effet, même après la conquête britannique de 1760, c’est le commerce des fourrures, celle du castor, qui constituait l’essentiel du PIB de la colonie.
Et ce sont les Autochtones qui, avides de produits issus de la technologie européenne, étaient nos fournisseurs. Ils étaient nos partenaires commerciaux, nos alliés militaires contre les Iroquois et réciproquement. Nous ne pouvions pas leur faire de mal. Commerce, fortifications, colonisation et évangélisation, tout cela formait un tout, indissociable. Et en ce temps-là, les Autochtones nous aimaient.
Quant à cette tolérance de notre Champlain, supposée par Fischer, à l’égard des protestants, il suffit de dire que l’Édit de Nantes de 1598, interdisait l’exercice de la « religion prétendue réformée » en Nouvelle-France. Ce qui signifie qu’il ne pouvait y avoir ici aucun temple en opération, ni pasteur en fonction, ni baptême, ni mariage protestant, ni enseignement, ni livre de cette religion en circulation.
Champlain, que certains historiens disent dévot, qu’il l’ait été par conviction intime, comme le pense Thierry, ou par opportunisme, était tout à fait d’accord avec les prescriptions du fameux Édit.
Bien sûr, les protestants pouvaient s’installer et vivre ici par leurs propres moyens, ne pouvant être des colons catholiques obligatoirement choisis et entretenus par la Compagnie, mais ils n’ont pu être bien nombreux. Si on ne pouvait pas les forcer à se faire catholiques, la pression sociale et culturelle du milieu les a amenés tôt ou tard à se convertir.
Enfin, nous faire croire comme le fait Fischer, que Champlain « a côtoyé et qu’il a même appartenu à plusieurs cercles d’humanistes français… des héritiers de la Renaissance, précurseurs du Siècle des lumières » tels de Mons, Razilly et qu’il « occupait une place de taille parmi eux », est complètement farfelu.
On chercherait en vain quelque texte de ces trois messieurs traitant d’une vision critique, tant politique que sociale, de leur époque. Champlain est un homme pratico-pratique, il n’a que faire des théories. C’est un homme d’action, un organisateur, un bâtisseur, son but est de réaliser. Pour ce faire, il sollicite les puissants. Si les circonstances changent, il s’adapte. Champlain est loin d’être imbu des idées de la Renaissance, c’est un homme de la Contre-Réforme catholique en France et ici, c’est tout !
Fischer aurait-il publié sa biographie de notre Champlain dans les années 60 ou 70, qu’il aurait été dénoncé immédiatement comme un impérialiste américain. En faisant de notre Champlain, supposément humaniste, un Américain, Fischer a-t-il cherché à dédouaner les Américains eux-mêmes de leur cruauté passée et de leur grande méchanceté à l’égard de leurs propres Autochtones ?
Pourquoi nous Québécois, avons-nous accueilli si favorablement l’ouvrage de Fisher dans les années 2000 ? Bien sûr, parce Fischer faisait la partie belle à notre Champlain. Pensez donc, notre fondateur qui aurait participé à l’édification non seulement du Canada d’aujourd’hui, mais pourquoi pas aussi, à celle des États-Unis: Champlain, un précurseur de l’empire américain !
Même si Fischer fustige au passage les historiens idéologues des dernières décennies, il s’agit là d’un impardonnable anachronisme. Champlain a dû se retourner bien des fois dans sa tombe en lisant Fischer, peu importe où elle se trouve !
Thierry a l’immense avantage de replacer notre Champlain à l’intérieur de ses dimensions historiques réelles. Champlain, pour Thierry, est d’abord Français. Son idée est, depuis 1618, d’établir sur notre continent une colonie solide sous la couronne de France, dont nous sommes, nous Québécois, les héritiers, le Québec constituant à ce jour, la seule entité politique et économique de langue française, vivante et viable sur notre continent.
Champlain n’envisage absolument pas qu’un jour, la Nouvelle-France soit définitivement conquise par les Britanniques et encore moins que les anciennes colonies britanniques se révolteraient pour former les États-Unis d’aujourd’hui, ce creuset de l’empire américain.
Réactualiser Champlain, c’est d’abord nous le réapproprier, non seulement comme le père de cette Nouvelle-France lointaine et conquise par les armes britanniques en 1760, mais aussi et peut-être surtout, comme le père de ce peuple, de cette nation de langue française que constituent les Québécois.
Contrairement à Hackett-Fischer, toutes les propositions et conclusions de Thierry, bien que quelques fois discutables, mais si peu, comme il en est de tout ouvrage de l’esprit, s’appuient toujours sur des éléments de fait tangibles. N’est-ce pas exactement la tâche à laquelle doit s’astreindre l’historien sérieux ?
La biographie que nous offre l’historien Éric Thierry, constitue à ce jour la somme de tout ce que nous devons savoir sur notre fondateur. Il n’appartient qu’à nous de le faire valoir à notre avantage. « Samuel de Champlain, aux origines de l’Amérique française » d’Éric Thierry, publié chez Septentrion, un livre qui plaira autant aux érudits, qu’aux amateurs d’histoire.
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