Le management n’est pas neutre — Robert GIL

Le management n’est pas neutre — Robert GIL

Dans « Libres d’obéir. Le Management, du nazisme à aujourd’hui » publié aux éditions Gallimard, Johann Chapoutot démontre que le management, n’est pas neutre. C’est Bad Harzburg, un ancien fonctionnaire de la SS qui termina la guerre avec le grade d’Oberführer (général), qui forma après-guerre un institut de formation au management, qui accueillit au fil des décennies l’élite économique et patronale de la République fédérale d’Allemagne : plus de 600 000 cadres issus des principales sociétés allemandes y ont appris, grâce à ses séminaires et à ses nombreux manuels à succès, l’organisation hiérarchique du travail par définition d’objectifs en demeurant libre de choisir les moyens à appliquer pour y parvenir. Passé les années 1980, d’autres modèles prendront la relève dans la façon de « gérer » les hommes et les femmes afin d’obtenir le maximum de rentabilité.

Du paternalisme au management cool qui flatte les égos, il en existe plusieurs sortes. Ici, je vais te parler d’une forme particulièrement pernicieuse. Pour rappel, les techniques de management mises en place à France Telecom ont conduit 58 personnes (1) au suicide. Le harcèlement est devenu une méthode de management, isoler les individus, supprimer leurs repères, enlever leurs habitudes pour pouvoir ensuite les reformater aux nouvelles méthodes de l’entreprise. Un système qui dévoie les mots et manipule l’inconscient des travailleurs. Les salariés, ces variables d’ajustement deviennent des collaborateurs, et les plans de licenciement prennent le joli nom de plan de sauvegarde de l’emploi. C’est l’ère de la communication instantanée, avec bien sûr des mails froids, impersonnels et d’où toute politesse a disparu. Ce système de communication dans l’urgence oblige le personnel à être plus réactif, à poser moins de questions, court-circuite souvent les cadres intermédiaires.

La restructuration des services par la mise en compétition et la concurrence des salariés permet sous couvert d’une pseudo convivialité, de supprimer les pauses à la machine à café, ou les bavardages à la photocopieuse. Notre taux de productivité est l’un des meilleurs au monde (2), mais cela ne suffit pas aux actionnaires. Il faut que l’on produise à 100% ; finies les petites coupures qui permettaient de décompresser. Lorsque le salarié arrive à saturation, la dépression le guette, allant parfois jusqu’au suicide ! Si, avant de se suicider, le salarié « suicidait » d’abord deux ou trois personnes de sa direction responsables de cette situation, le problème serait pris beaucoup plus au sérieux. Mais tant que ce ne sont que les sans grades qui meurent, cadre ou ouvrier, nous sommes tous des sous-fifres du système ! Chaque salarié a besoin de reconnaissance, de sécurité et de communication, ainsi que de comprendre ce qu’il fait. A la place de cela, tout est mis en place pour lui faire perdre sa dignité et le placer dans l’insécurité de l’avenir par un chantage permanent. Il faut être le meilleur à son poste sinon … Dans un tel contexte, des petits chefs sans envergure peuvent faire ressortir leurs plus mauvais instincts avant d’être eux-mêmes broyés par le système.

Lors de restructurations les cabinets conseil ou d’audit préviennent qu’il ne faut pas surestimer la phase de révolte du salarié, qu’après une période de dépression le salarié acceptera le changement. Ces spécialistes préconisent aussi la technique dite de « La Consultation » au sein des entreprises. Pour donner l’impression d’une écoute, les dirigeants peuvent demander aux cadres, ou parfois, à l’ensemble des salariés de s’exprimer. Mais cette démarche est destinée à donner l’illusion d’une concertation en donnant de l’espoir, puis de faire perdre de l’énergie à la majorité des participants, car à la fin le plan prévu par les dirigeants se mettra en œuvre. Ces réunions servent aussi à débusquer « les brebis galeuses » ; ceux qui ne rentrent pas dans le moule et qui risquent de contaminer leurs collègues feront l’objet de traitement particulier, les techniques d’isolement, de persécution, et punitives seront largement utilisées.

Certaines entreprises, sont de véritables zones de non droit, la destruction du code du travail et la dégradation des conditions de travail précarisent les salariés et les soumettent à une pression continuelle (3). Ce que nous n’accepterions pas dans la vie de tous les jours nous le supportons au travail. Nous nous vendons jour après jour pour un salaire qui nous permet parfois juste de survivre, dans des conditions humaines et sociales souvent déplorables. Sans salarié, aucune entreprise ne peut fonctionner, alors que des entreprises fonctionnent sans patron, les coopératives ouvrières, les scoops et les différentes expériences d’autogestion le prouvent. Malheureusement le système capitalisme n’aime pas les contre-modèles, et si l’expérience prend de l’ampleur, il cherchera à les mettre en difficulté d’une manière ou d’une autre. Il ne peut pas laisser prospérer de « mauvais élèves », ça risquerait de donner des idées à d’autres. Ce qu’il nous manque c’est de la volonté et de l’audace, ils pensent nous avoir définitivement domestiqués ! Pour cela ils nous endettent, nous abrutissent avec leur télé et leurs émissions débilitantes et nous parlent sans cesse d’insécurité… il est vraiment temps d’agir !

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REF :

(1) Editions Législatives, le 23/04/2019, « Suicides de France Télécom : les syndicats attendent la reconnaissance d’un harcèlement moral généralisé ». (2) Le Monde, Blog de Thomas Piketty,le 05/01/2017 « De la productivité en France et en Allemagne ». (3) Novethic.fr, le 16/03/2023, « Santé mentale : un salarié sur deux en situation de détresse psychologique ».

»» http://2ccr.unblog.fr/2024/05/02/le-management-nest-pas-neutre/

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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