PAR-DELÀ LES ANTIPODES, L’INTELLIGENCE DE LA VIEILLE TAUPE INDIQUE BIEN TOUJOURS LA RAISON DE L’HISTOIRE RÉELLE…
βλὰξ ἄνθρωπος ἐπὶ παντὶ λόγῳ ἐπτοῆσθαι φιλεῖ.
L’homme borné en l’aliénation, face au logos questionnant, se trouve pris de panique…
Héraclite, Fragments
Devise préférée : De omnibus dubitandum…
Douter de tout…
Karl Marx
Le journal Rivarol en son numéro 3613 a proposé à notre camarade Francis COUSIN une entrevue au sujet de la crise finale du Capital. Nous qui renvoyons dos à dos tous les camps du gouvernementalisme, n’avons évidemment pas hésité car nous n’avons point d’ennemi en humanitude puisque notre seul antagonisme d’histoire concerne le spectacle mondial de la marchandise totalitaire. Héritiers de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht, nous appelons comme le groupe Bilan entre les deux charniers impérialistes, à la désertion révolutionnaire du prolétariat universel contre toutes les factions de la domestication et pour l’abolition du salariat et de l’État. Nous avons donc accepté là d’exposer nos positions puisque nous parlons à tout le monde sans tabou ni totem, en sachant que pour qu’avance partout la solution à zéro État, il convient évidemment de discuter d’abord avec tous ceux qui s’imaginent encore que l’outil étatique pourrait ne pas être autre chose que la pourriture administrative des synthèses supérieures de la logique mercantile. Comme Simone Weil, amoureuse du Logos grec, du Christ radical et de toutes les Communes paysannes et ouvrières, ayant rejoint la colonne Durruti mais apte à rencontrer tout en même temps Georges Bernanos et Gustave Thibon, nous savons que la capacité du penser loin, c’est d’abord et toujours l’aptitude de se confronter fertilement à celui qui pense complètement différemment… Bien entendu et pour toute entrevue sollicitée par n’importe quel autre journal d’un tout autre point de vue, nous demeurons partants…
Hic Rhodus, hic salta !
… Accueillir avec conscience l’Apocalypse du satanisme de la marchandise pour accomplir la résurrection humaine …
R/ Crise économique, catastrophe écologique, guerres et révoltes sociales : le système capitaliste est-il entré dans sa phase terminale pour vous ?
Depuis la révolution néolithique de la valeur d’échange, le travail de l’argent s’est emparé progressivement du monde et à compter de l’émergence capitaliste du XIII° siècle en Italie, la civilisation de la quantité despotique s’est révélée comme temporalité irréversible. Mais cette dynamique est d’abord le long processus contradictoire par lequel le Capital organise lui-même son procès de caducité. Le spectacle narcissique des opinions personnelles tout entier fait d’angoisse, de bricolage historique et de subjectivisme inculte n’a là pas d’intérêt. Ce qu’il convient de défendre – à l’inverse – c’est la position anonyme et impersonnelle de la longue tradition maximaliste communière telle qu’elle s’exprime depuis le Logos grec des origines, s’incarne en le Christ radical de la communauté communiste de l’Être (la fameuse koïna de l’αὐτοῖς ἅπαντα κοινά), traverse toutes les insurrections paysannes du temps des communaux féodaux puis vient mettre en mouvement toutes les Communes ouvrières qui récusent les mystifications de la dictature démocratique du profit sans limite héritées de la révolution capitaliste de 1789. Dans ce cadre, l’œuvre du groupe Marx-Engels est d’abord l’expression des conditions réelles du mouvement historique vers l’abolition du salariat et du gouvernementalisme. Elle nous ramène à Babeuf dénonçant le populicide vendéen et annonce l’insurrection des marins de Kronstadt contre le capitalisme d’État concentrationnaire bolchévique. Tout est faux dans la progression de l’histoire de la monnaie des visions abusées et donc en toute question ouvertement posée sur le terrain des vérités officielles étatiques ; et ce pour une raison évidente soulignée par Marx dès son texte en récusation de toute Censure de 1842 : l’économie de l’illusoire l’a suscitée et le spectacle de la tromperie politique l’a composée. C’est pourquoi la Vieille Taupe de la radicalité profonde a su déceler les leurres de toutes les guerres et de toutes les paix en nous rappelant que la principale imposture du siècle dernier consistait à croire qu’aurait pu exister une quelconque trace de communisme dans la monstruosité carcérale de l’U.R.S.S étatique financée par la banque américaine. Comprendre le mouvement réel de l’histoire c’est saisir en quoi chaque circonstance du devenir témoigne d’un seuil donné de la réalisation historique du progrès de la valeur d’échange. Dans la Rome première de la rente foncière républicaine des années 750 av. J.-C, travaille déjà ce qui mènera à la fin de l’Empire d’Occident lors de l’effondrement du système terrien et financier de cette même rente agraire devenue totalement impossible au V° siècle après J.-C. Et malgré tout le talent militaire d’Hannibal lorsque le déterminisme du croulement ultime du comptoir commercial carthaginois fut advenu, la bataille de Zama vint dire que la phase terminale du substrat social qu’elle exprimait nettement officialisait bien l’impraticable perpétuation de la rente punique.
La production capitaliste ne développe frénétiquement la technique du produire toujours moins cher et toujours plus vite qu’en saccageant simultanément les sources vives de toute richesse : la terre et le travailleur. Mais à un certain moment que nous sommes en train d’atteindre le possible de cette production illustre le règne d’une nécessité irréfragable rendant impossible la reconduction des formes de la raison marchande.
R/ On est toujours surpris de la capacité du Capital à se réinventer et se défendre dans les crises. Vous pensez vraiment qu’il n’a plus de marge de manœuvre ? Sa fuite en avant pourrait-elle passer par le dépassement de certaines bornes comme le transhumanisme ou la virtualisation totale des rapports humains ?
Le temps de fatigue humaine salariée est exploitable puisqu’une partie n’en est précisément jamais payée et produit ainsi le fameux incrément de valeur alors que le temps d’usure machinique, lui, ne l’est pas car il doit être financé intégralement. Aussi, sur le terrain de la concurrence de plus en plus élargie et afin de vendre toujours davantage à un prix moindre, chaque unité de production capitaliste pour intensifier la productivité technologique du travail est contrainte de toujours plus recourir à la machine qui ne produit pas de valeur mais qui permet cependant d’intensifier le rendement de la fatigue humaine. L’histoire de la modernité est ainsi l’histoire de cette centralité contradictoire qui à partir de crises inévitables toujours plus fortes témoigne que la baisse du taux de profit – qui est la loi fondamentale de l’accumulation capitalistique – doit constamment être compensée par l’augmentation de sa masse. Ce qui révèle que chaque crise capitaliste est toujours une impasse qui prépare une crise plus intense en démontrant que chaque crise du taux de profit passée était déjà le signe de la crise suivante et que le mouvement mondial général de toutes les crises aboutit à la fin à la crise catastrophique terminale lorsque le Capital mondial se trouve définitivement incapable de mondialiser sa capitalisation. Les milliers de pages des quatre livres qui constituent l’ouvrage Das Kapital ne traitent nullement du XIX° siècle. Elles font travail de prévision du substantiel historique du XXI° en démontrant comment en passant en 1914 d’une domination encore formelle à une domination pleinement réalisée, le spectacle fétichiste de la marchandise est entré dans le cycle sa propre impossibilisation irrémédiable. La bourgeoisie propriétarienne nationale a disparu, supplantée partout par la classe capitaliste des sociétés par actions. La capitalisation financière a absorbé la capitalisation industrielle et le crédit chimérique s’est emparé insensiblement de la totalité de l’espace-temps à proportion du niveau de la baisse du taux de profit et de la saturation du marché mondial qui n’était plus alors gérable que par le fantasmagorique. La dématérialisation monétaire qui a produit l’argent féerique après que le dollar eut surpassé l’étalon-or désormais impraticable vient exposer le pouvoir autocratique d’une usine globale de la schizophrénie mégapolitaine. Le transhumanisme ou la virtualisation totale des rapports humains bien loin d’être ce qui pourrait sauver le Capital est ce qui signifie sa mort tout comme la monnaie numérique ou l’ingénierie de la manipulation sociale mais pour le comprendre encore faut-il être apte à aller au bout de l’analyse en dé-couvrant le génitif du mouvement général. Non seulement, le transhumanisme et l’ingénierie sociale sont de la marchandise mais surtout de la crise ultime de la capitalisation irréalisable
R/ De l’Ukraine à la Palestine, la guerre est désormais ouverte partout. Comment analysez-vous cette montée vers un conflit quasiment mondial ?
La paix c’est la logique du commerce qui mène obligatoirement à la guerre lorsque l’accélération de la guerre économique nécessite un repartage militaire des marchés. Les deux charniers impérialistes mondiaux de 1914 et de 1939 poursuivent le combat géopolitique multiséculaire entre les deux mondialités accomplies de la longue durée planétaire des mers et des terres de la valeur d’échange. La guerre de Cent Ans entre Plantagenets et Capétiens qui est devenue – avec les mutations de la rente foncière en rente manufacturière – une guerre de Mille ans entre Londres et Paris a effacé les mondialités inachevées de Lisbonne, Madrid et Amsterdam puis au terme de Waterloo qui a prouvé que Trafalgar avait éclipsé Yorktown en enrayant Austerlitz, la City s’est asservi Paris dans une entente cordiale d’assujettissement pervers. En enrégimentant la France post-napoléonienne – de la guerre de Crimée à Fachoda en passant par la ténébreuse déclaration d’hostilités contre la Prusse – le Foreign Office mit peu à peu le développement capitalistique français sous la coupe de la livre sterling. La première boucherie impérialiste mise en marche par la machine-outil anglaise et sa Navy contre la machine-outil allemande et sa marine impériale aboutit à épuiser la France au bénéfice des trésoreries anglo-saxonnes et c’est Wilson qui fut le maitre d’œuvre du spectacle international de l’après-guerre lorsque Wall Street s’imposa alors comme quartier d’affaires du cosmopolitisme central de la marchandise et ingéra peu à peu les domaines de la perfide Albion. La crise du taux de profit des années 30 qui déclencha le second carnage impérialiste rendit envisageable après la défaite de la première armée du monde en 1940 que Washington et sa dépendance britannique puissent songer à soumettre enfin durablement le continuel rival français. Sitôt juillet 1940, Churchill mena l’attaque de Mers el-Kébir contre la Marine française et l’OSS, ancêtre de la CIA, dès le débarquement de novembre 1942 en Afrique du Nord, se servit de l’American Federation of Labor pour infiltrer les syndicats au Maroc, en Tunisie et en Algérie et jouer par conséquent un rôle certain dans les émeutes du Constantinois de mai 1945. Quant à l’Indochine française, une mission de l’OSS y est présente en 1945 aux côtés d’Ho Chi Minh. Elle joue à fond les principes crûment francophobes de Roosevelt lequel projetait le démembrement de la France occupée militairement et dépouillée du droit de battre monnaie. Finalement, l’impérialisme américain échoua et il dut se rabattre de façon plus souple et plus duplice sur la carte Monnet et le piège d’une construction européenne totalement Otaniste.
Durant toute cette période, il n’y eu jamais d’affrontement majeur entre Washington et Moscou car aucune guerre économique n’a jamais existé entre la matérialité technologique de l’impérialisme américain et la vétusté du capitalisme d’État staliniste. C’est la banque yankee qui a soutenu décisivement les bolchéviques, c’est elle qui a permis le lancement des grands plans industriels staliniens, c’est la Maison-Blanche qui notamment par les convois de Mourmansk a fourni à l’armée soviétique les avions, les chars, les véhicules, les tonnes de munitions et d’essence qui permirent les victoires de Stalingrad et de Koursk puis l’opération Bagration et la marche sur Berlin.
Pour assurer la mondialité stratégique de son hégémonie, le Pentagone se devait de diviser le potentiel européen, vassaliser l’Allemagne et enrayer tout renouveau mondial de la production et de la circulation française. L’URSS fut donc ce faux ennemi/vrai partenaire qui autorisa la manœuvre d’ensemble en légitimant ainsi la prééminence débordante du dollar sur le commerce international. Si quelques conflits périphériques purent aider en Corée ou au Vietnam à justifier la mythologie du vernis des apparences, rien n’opposait sur le terrain d’un affrontement militaire planétaire le Kremlin aux États-Unis. Et évidemment, les chars russes, n’en déplaise à tous les géopoliticiens de surface, ne vinrent jamais à Paris puis le mur de Berlin tomba lorsque la géopolitique des profondeurs de la valeur d’échange passa à autre chose. De l’Ukraine à la Palestine, la guerre de la mondialité américaine pour liquider définitivement les restes de mondialité française est désormais profondément entamée et ce conflit pour être correctement interprété doit bien sûr être regardé du point de vue de l’histoire technologique de la capitalisation supérieure. Aux yeux de l’administration américaine, la période gaullo-pompidolienne a fait dangereusement ressurgir l’ennemi français à l’avant-garde des performances internationales de l’agriculture, de l’industrie et bien entendu du militaire. La diplomatie non alignée de l’Élysée est alors une voix planétaire essentielle qui rythme l’actualité de tous les continents. Et de la Libye jusqu’en Irak en passant par l’Iran, la France qui a misé sur le laïcisme modernisateur – alors que le Pentagone a, lui, toujours encouragé la sclérose coranique – s’est créé une ascendance de novation capitalistique qui touche d’ailleurs à l’intolérable lorsque Téhéran et Bagdad entrent dans le dessein nucléaire de Paris. Le virage gaullien du Chah le condamnera à l’éviction par les ayatollahs de la CIA et Saddam Hussein sera supprimé en prolongement de la guerre du Golfe qui verra un Mitterrand sous contrôle participer directement à la ruine d’une part essentielle du domaine stratégique français. Puis avec le temps et une présidence française de plus en plus infiltrée, Kadhafi suivra… Appréhender cette détermination historique c’est bien voir que la Russie, de 1914 à aujourd’hui, sous des formes variées, n’a toujours eu qu’un poids de puissance limitée qui n’a jamais pu accéder à la moindre réalité de mondialité stratégique. La triade dialectique (production => circulation => réalisation) telle que posée par la Critique de l’économie politique nous apprend pourquoi Londres, Paris et Washington seules purent façonner une totalité universelle des terres et des mers de la valeur d’échange alors que Moscou, Berlin et Tokyo ne purent jamais dépasser le seuil des totalités partielles. Dans ce cadre, si la Russie tsariste puis le capitalisme d’État bolchévique et staliniste exprimèrent bien toujours la grande ampleur des ressources naturelles de leur territoire, cela s’effectua toujours sur la base d’une technologie de large emprunt et d’une performance générale de rentabilité réduite. En conséquence, et à l’inverse des géopolitiques de l’apparence, il est nécessaire sur la base du Logos radical de correctement se rendre à l’essentiel ; la géo-politique historique des pesantes épaisseurs de la valeur d’échange. À cette heure, l’OTAN ne fait pas la guerre à Moscou qui ne représente nullement un danger pour l’hégémonie déclinante du fétiche-dollar. Ce qui est en jeu, c’est le possible retour d’un Rapallo élargi où Paris et Berlin en capitalisation de pointe, feraient alliance avec l’attardement usinier russe pour permettre une expansion nouvelle et étendue de portée absolument cruciale sur le marché mondial. En brisant tout de go le Traité de l’Élysée de Gaulle-Adenauer de 1963, toutes les camarillas européistes inféodées aux cliques américanistes ont formellement fait savoir ce qui devait survenir à ce jour. L’actuelle guerre en Ukraine si elle oppose bien sur le terrain physique de la boue et des larmes, d’un côté, les pauvres enrôlés de Kiev et, de l’autre, ceux de Moscou témoigne d’abord sur la longue temporalité de ce qui résulte naturellement de la crise de 1971-1973, effet direct de la réponse de l’OPEP à la baisse manipulatoire du dollar après la fin des accords de Bretton Woods. En effet, avec la compétitivité accrue des pays européens reconstruits et de la France en premier lieu, le Capital américain produit en 1971, pour la première fois au XXe siècle, un déficit commercial. Le 15 août 1971, Nixon change donc complètement les conditions de la distribution monétaire internationale – qui recouvre la baisse du taux de profit général – en annonçant la fin de la convertibilité du dollar en or afin de tenter d’asservir avant tout le franc français. Des années 1960 aux années 2020, l’Élysée de de Gaulle s’est insensiblement transmutée en simple guichet du Pentagone, et de la destruction de la filière nucléaire minée par les sectes écologistes américanistes à l’enrôlement médiatico-politique obligé dans toutes les mystifications ukrainistes de l’OTAN et de la CIA en passant par la vente de la branche énergie d’Alstom à General Electric, la France est là – du centre même de l’intérieur – contrainte de tuer la France à mesure que le projet Monnet s’est fait loi de toutes les impostures bruxellistes. Le spectacle de la domination du spectacle de la marchandise réalisée est le règne du chaos de l’indistinction qui doit défaire toute possibilité de mondialité française recommencée. Le grand gagnant de la guerre en Ukraine c’est bien évidemment l’impérialisme américain qui est en train de réussir son opération de dévastation du potentiel agricole et industriel européen et, en premier lieu ; français. Interdit de tout commerce avec Moscou par les États-Unis, les économies européennes sont condamnées à voir périr des pans entiers de leur agroalimentaire tout comme leurs industries électriques et mécaniques privées de gaz, de pétrole et des métaux indispensables en étant contraintes de plus en plus à sombrer dans la sujétion yankee. Le sabotage anglo-saxon des gazoducs Nord Stream est pour reprendre l’expression de Marx dans la Première section du Livre premier du Capital, la métaphore symbolique la plus évidente du caractère fétiche de la marchandise du temps présent qui nous livre ainsi son secret ; l’impérialisme du taux de profit du billet vert en putréfaction n’a qu’un seul ennemi fondamental : la mondialité française sur-déterminant un continent européen de plein rayonnement global.
La Russie de Lénine était un pays capitaliste d’État, la Chine de Mao aussi bien sûr et les changements de cap économique successifs de Pékin, les conflits à son sommet, les affrontements politiques massifs et terriblement sanglants qui mirent sur pied les Cent fleurs, le Grand bond en avant puis la révolution culturelle ne peuvent être compris sans être resitués dans les difficultés gigantesques rencontrées par la classe dominante, et donc de l’État, dans le processus d’accumulation du Capital. À la fin des années 60, le capitalisme chinois était dans un état désastreux lorsque la bêtise du gauchisme de la marchandise en fit l’une de ses idoles qui permettait aux chiens de garde de la réification moderne de faire bonne publicité à l’idiote passivité généralisée. La visite de Nixon en Chine en 1972 y fut une étape décisive dans le processus de modernisation pour contrebalancer au Sud le danger de développement au Nord d’un axe paris-Berlin-Moscou. Dès lors, sponsorisé par la Maison-Blanche, l’essor tous azimuts de la rénovation capitalistique chinoise se met en place pour en faire une vaste usine de réserve de l’extension US dans sa volonté de déstructurer le socle même du potentiel européen. Et de nos jours, les BRICS dans l’étendue de toutes les conflictualités par lesquelles le Pentagone entend balayer Paris, jouent un rôle majeur dans la dévastation de ses secteurs industriels et agricoles. L’automobile française est bannie de Russie et d’Iran et Washington se félicite de son remplacement par des véhicules chinois pendant que l’agriculture est démembrée par le bœuf brésilien égayé de sales poulets américains usinés en Ukraine. Les sanctions antirusses ont lessivé l’Europe et Total est en situation très complexe. Des Grands Lacs d’Afrique de l’Est au Mali, les américains qui supervisent les flux généraux, congédient la France remplacée par Moscou et Pékin. La Russie construit une centrale nucléaire en Égypte, la Chine investit massivement en Irak… Le Pentagone est comblé… Partout, la France perd les atouts de la puissance globale… Certes le Rafale est bien plus performant que le F35 ou que les derniers Sukhoi ou MIG mais les ventes militaires actuelles n’ont rien à voir avec celles des années 1970. Au lieu d’ouvrir de vrais partenariats stratégiques élargis, elles sont simplement des écoulements de commandes commerciales sans véritable implication géo-politique.
Enfin pour préciser l’objectivité du mouvement réel des capacités militaires, il faut s’inscrire dans le long déterminisme de la dialectique des continuités opérationnelles. L’opération Mole Cricket 19, à ce titre est un bon exemple clausewitzien. Il s’agit d’une opération entreprise par l’Armée de l’Air israélienne en juin 1982 visant à détruire les batteries de missiles sol-air russes fournies aux syriens au début de l’invasion du Liban. En une journée, les israéliens détruisent 29 des 30 batteries SAM déployées dans la Bekaa et abattent plus de quatre-vingts avions syriens, tout en n’ayant, eux, que deux F-15 accidentés. Naturellement, les choses ont bougé depuis mais l’on constatera que l’aviation israélienne, malgré les batteries de missiles russes qui protègent le ciel syrien, ne rencontre toujours pas de difficultés majeures lorsqu’elle décide d’intervenir dans la région. Sur l’espace concret des opérations militaires en Ukraine, l’on reconnaîtra que la fameuse percée (du type Sedan 1940 ou Avranches 1944) qui est la clef de mouvement concluant, n’a jamais eu lieu en deux ans de guerre d’usure qui ont engendré une double immobilité défensive persistante. Sans aide américaine renforcée, l’Ukraine exsangue ne pourra compenser ses pertes matérielles et humaines et elle perdra la guerre face à la Russie. Le scénario vietnamien est là un invariant militaire. Les troupes de Hanoï n’ont pris Saïgon en 1975 qu’en raison de l’abandon américain et les troupes de Moscou ne pourront qu’avancer au moment où enfin le Pentagone estimera que la déconfiture de Berlin et Paris aura atteint un point suffisant.
Concernant la Palestine et Israël, il faut savoir à la suite de Marx et d’Abraham Léon que la population juive n’est point l’entité ethnique homogène de légende imposée mais un peuple-classe bigarré tout entier constitué par la mythologie de la nationalité chimérique du contrat abrahamique adéquat au monothéisme de marché. Dès l’origine, la création étatique israélienne contemporaine a été conçue par Londres puis par Washington – sur fond de chimère messianique – pour accomplir à partir de la domination réelle de la marchandise et dans l’idéologie du fétichisme frénétique, le sionisme politique de la modernité de la valeur d’échange comme fortin impérialiste de Wall Street, voué à participer péremptoirement à l’étrillement des populations du Moyen-Orient afin qu’elles obtempèrent aux diktats rétrogrades vétérotestamentaires du billet vert, et c’est ce qui a été fait dès le début pour que la mondialité française sorte de la région et que soient éliminés les nassérismes et baasismes avec qui cette dernière pouvait entrevoir un gaullisme tricontinental. L’hécatombe de Gaza n’est pas une démence exceptionnelle dans le mode d’être d’Israël, mais la manifestation ultime du suprématisme eschatologique qui est devenu l’égarement inévitable d’une société démographiquement et socialement non viable et qui, selon ses propres services de renseignement, est – dans la crise mondiale actuelle – en voie de décomposition à terme court.
R/ L’aliénation est au cœur du fonctionnement du capitalisme. Quelle forme prendra-t-elle aujourd’hui ? L’apathie des classes populaires est-elle la conséquence de cela ?
L’aliénation est le processus historique par lequel l’humain est des-saisi de son humanité pour être transformé en un autre, en quelque chose d’étranger à lui-même. Dans le spectacle fétichiste de la marchandise, l’aliénation prend sa forme supérieure puisque l’homme réifié par la tyrannie du quantitatif universel ne peut plus se reconnaître désormais ni dans le produit de son travail devenu indifférenciation abrutissante répétitive, ni dans sa propre activité productive car il n’y est plus qu’une ressource humaine crétinisée et asservie au travail de l’argent. Et il ne peut pas non plus se retrouver auprès des autres hommes puisque ses rapports avec eux se voient réduits à l’échange chosifié des produits du travail de la réification sur le marché des transactions narcissiques du monde inversé de l’indistinction omniprésente. Tant que la crise du taux de profit n’est pas crise de sa totalité mais demeure partielle en tant que crise d’un de ses moments, toutes les luttes sont condamnées à n’être que des chemins de modernisation des capacités de l’aliénation générale. Le surgissement révolutionnaire de l’humanité qui s’auto-émancipe en les communaux génériques de son être présuppose l’auto-négation advenue de la loi de la valeur elle-même.
R/ Que vous inspire les révoltes populaires des Gilets jaunes aux manifestations paysannes ? Sommes-nous dans une étape clé de l’offensive contre le système ?
Nous sommes parvenus au stade suprême de la dictature démocratique de la valeur d’échange et le prolétariat moderne de 2024 prévu par Marx qui n’a rien à voir avec les gueules noires de jadis est devenu la classe universelle des sans réserve dépossédés de tout pouvoir sur leur vie. Les paysans parcellaires se sont substitués aux paysans des communaux de paroisse lorsque la révolution capitaliste de 1789 a mis finalement un terme à l’ancestral vivre communier. Les derniers paysans d’aujourd’hui captifs du bobard européiste américain, même s’ils ne souhaitent toujours pas l’admettre sont devenus, eux aussi, des prolétarisés de l’usine globale tout comme les Gilets jaunes, prolétaires de cette France périphérique décrite par Engels dès 1872 dans la question du logement telle qu’elle marque la coupure de classe entre la mégapole privilégiée de la classe capitaliste, de son armée de réserve immigrée et des couches moyennes boboïstes face aux exilés des grandes tempêtes sociales de demain.
R/ Le rôle des syndicats dans ses mouvements est-il révélateur de leur nature réelle ?
Le syndicat est par essence contre-révolutionnaire, c’est un rouage de l’appareil d’État et le spectacle de la marchandise l’a d’ailleurs officialisé lui-même lorsque parvenu vers sa domination réalisée, il en a fait la police quotidienne des usines de la contemporanéité. Le syndicalisme dit révolutionnaire et la Charte d’Amiens étaient des mythes qui ont volé en éclats lorsque la CGT a rejoint l’Union sacrée du Capital et que de l’extrême droite maurassienne à l’extrême gauche kropotkinienne, toutes les chapelles de la domestication ont applaudi en 1914 la première boucherie impérialiste. Et en mai 1937, les ministres de l’anarcho-syndicalisme espagnol ont validé l’extermination des prolétaires extrémistes par le Front populaire démocratico-staliniste. C’est d’ailleurs pourquoi, il y a lieu de bien lire Hommage à la Catalogne comme le préambule de 1984, en se souvenant que contre toutes les droites et toutes les gauches du dressage social, l’émancipation radicale est anti-politique et anti-syndicale.
R/ Les partis politiques sont-ils un moyen possible pour l’expression de la colère populaire ? L’autonomie politique des classes populaires est-elle possible ?
La politique est l’art de gérer les affaires de la Cité de la valeur d’échange. L’économie est la demeure (οἶκος/oikos) de cette production et avec la reproduction toujours plus élargie de cette fabrication dévastatrice, l’écologie comme préservation de la rentabilisation de la nature arraisonnée par les échanges est le dernier moment de cette triade aliénatoire. Au moment où toute activité sociale est devenue expression du Capital et où tous les usages ne sont plus que de simples supports dérisoires du mouvement de la valeur, toute catégorie sociale assume une fonction capitalistique en échange de la misère du salariat généralisé.
Contre la classe capitaliste du cosmopolitisme de la marchandise, le prolétariat ne peut admettre aucune médiation entre lui et sa révolution, donc aucune réalité autre que le propre mouvement de sa totale rupture avec le Capital. L’auto-suppression du prolétariat réalisera dans le même mouvement la liquidation de tous les gangs politiques lesquels devront, face au prolétariat se constituant révolutionnairement, s’unifier objectivement en un seul assemblage comme l’a montré l’alliage Moscou-Washington en 1956 à l’encontre des Conseils ouvriers de Hongrie : celui de la contre-révolution universelle du Capital. Avec la fin du spectacle de la marchandise, ce sera la fin de la démocratie, c’est-à-dire des circonscriptions administratives de la vie commerciale, la fin de la politique et de son ultime contenu : le spectacle du calcul. Tout cela ne sera possible qu’à partir des luttes radicales qui surgiront de la terre historique européenne et qui s’étendront au reste du monde quand la crise terminale de la capitalisation refera surgir de manière explosive le substrat du Logos grec… Et l’urgence sera comme l’a exposé la Guerre civile en France celle de l’impérieuse nécessité d’anéantir toute machinerie gouvernementale.
R/ Vous avez évoqué récemment dans une vidéo l’opposition entre Marx et Proudhon. Quels sont les éléments encore actuels de ce débat fondateur ?
Au sein des mouvements qui conduiront à la fois à la I° Internationale et à la Commune de Paris, l’on trouve en même temps des groupes qui représentent le futur subversif à venir en entendant détruire la marchandise, le salariat et l’État et d’autres qui expriment les illusions du passé et qui proposent simplement de rééquilibrer et de justicialiser les catégories de l’économie politique. Blanqui rêve du coup de force volontariste, Proudhon s’imagine équilibrer les contradictions économiques dans un réformisme gestionnaire mutuelliste. Bakounine croit que l’on peut supprimer l’État par décret. Seul le groupe Marx-Engels en tant qu’expression des luttes les plus radicales a posé la question de l’abolition de la philosophie, de l’économie et de la politique comme acte simultané de l’auto-abolition du prolétariat en comprenant que la destruction de la marchandise n’est pas un engagement subjectiviste intemporel mais le produit historique du déterminisme de la crise finale du Capital. L’utopie n’est pas d’être maximaliste mais de continuer à imaginer que l’on pourrait défendre la vie humaine en conservant les catégories de l’in-humanisation marchande. À l’opposé de tous les porteurs de valises d’une mafia politique contre une autre, il faut appeler à la désertion révolutionnaire pour la solution universelle à zéro État. Ni peste, ni choléra ! Ni Moscou, ni Kiev, ni Gaza, ni Tel-Aviv, ni Biden, ni Trump ! Contre toutes les droites et toutes les gauches de l’escroquerie commerçante, comme les hommes de la colonne Durruti que rejoignit Simone Weil, comme ceux de la base du POUM où combattit Orwell, la conscience vraie sait que tout État est pourriture même ceux qui ne sont qu’en projet.
Le communisme, autrement dit la communauté des communs, est âgé comme le monde et depuis que sa forme primitive et incomplète fut emportée par la novation néolithique des échanges, il est – dans toutes les luttes qui surviennent – le mouvement d’aspiration permanent conscient ou inconscient annonçant sa forme supérieure et intégrale de vraie vie émancipée. Contre tous les dogmes et règles de soumission des marchands mythologiques judéo-musulmans, des normes et contraintes des animismes d’Asie et d’Afrique, l’Europe de la formation sociale réfractaire a su – du fin fond du Logos grec irriguant la spécificité de l’Antiquité tardive, revivifiée par la Marche des communaux germaniques – faire se lever à partir du long mouvement de l’incarnation christique radicale, cette sève d’historicité subversive qui garantit la conjugaison du futur pour liquider l’argent et l’État. À rebours de la géographie orientale des espaces passifs et obéissants seulement ponctués de frénésies stériles qui laissent intact le mode général d’asservissement et ignorent la Commune révolutionnaire, le temps historique ouvert de l’Europe séditieuse exprime l’in-carnation de l’infini contre tous les royaumes de ce monde et la puissance d’immanence du charpentier Jésus de Nazareth a définitivement balayé les eschatologies talmudiques et coraniques qui viennent ensemble et en miroir cadastral d’opium du peuple, éterniser l’impasse de la tragédie palestinienne. La boucherie moyen-orientale n’a pas de scénario autonome, c’est l’expression de la crise ultime de la falsification marchande et elle ne sera réglée humainement que par l’explosion révolutionnaire des mégapoles capitalistes d’Europe qui permettra enfin la diffusion communière du Logos vers l’Orient rétrograde.
R/ Pour finir, pourriez-vous nous dire que pourrait être le “monde d’après” le Capital ?
Le monde d’après le Capital sera le mode de production de l’être de l’homme auquel aboutit la révolution mondiale anti-économique et anti-politique quand la crise finale du spectacle fétichiste de la marchandise mondiale cesse de pouvoir produire sa propre reproduction et qu’elle cesse de pouvoir faire diversion mensongère par la fabrication étatique d’un chaos terroriste, avortiste, euthanasiste, immigrationniste, LGBTiste et sanitaire interminable, alimenté de mystification écologique ininterrompue… C’est ce vaste temps nouveau où plus jamais l’économie de la dette ne pourra supporter la dette de l’économie et où le prolétariat, luttant d’abord en tant que classe contre les effets du Capital, va se remettre ensuite lui-même en question en portant le dépassement révolutionnaire de toutes les causalités de la capitalisation elle-même par la production ontologique de la communauté humaine universelle qui substituera partout à la demande solvable les besoins humains authentiques. C’est ce qui est tout entier explicité dans le Voyage au bout de la fin du Capital afin que nul ne se perde dans des combats inutiles. Du premier troc néolithique à la révolution arc-en-ciel de la marchandise mondialiste, tout se tient en un parfait et absolu déterminisme qui veut que la totalité de ce qui est fut enfanté par les contradictions de ce qui fut. La seule lutte qui vaille, au-delà des vains nostalgismes, n’est pas d’imaginer restaurer ce qui ne reviendra jamais mais d’accueillir avec conscience l’Apocalypse du satanisme de la marchandise pour accomplir la résurrection humaine dans le Que faire de vrai en vérité ? La Commune intégrale authentique…
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