Par Jiang Jiang et Ren Ke – Le 8 mai 2024 – Source Ginger River
En raison de mon emploi du temps chargé, j’ai failli ne pas couvrir la visite du président Xi Jinping en Europe cette fois-ci. Heureusement, mon ami Fred Gao m’a fourni une traduction complète des quatre déclarations conjointes récemment publiées par la Chine et la France. Il est parfois difficile de trouver des traductions complètes en ligne, alors bravo à Fred Gao.
Aujourd’hui, j’ai traduit quelques éléments clés d’un article intitulé « L’Europe réfléchit : après avoir perdu la Russie, l’Europe ne peut pas se permettre de perdre la Chine », écrit par Wang Wen, doyen exécutif de l’Institut Chongyang pour les études financières de l’Université Renmin de Chine. Son article a été publié sur guancha.cn mardi. En outre, j’ai invité Ren Ke, qui a de l’expérience dans le journalisme européen, à partager ses réflexions sur la visite de Xi en Europe.
La scène la plus intéressante s’est produite lors du deuxième Forum Chine-France sur la gouvernance mondiale, où j’ai franchement exprimé plusieurs points de vue qui sont généralement considérés comme “politiquement très incorrects” en France :
Je suis le seul universitaire ici présent à avoir visité le champ de bataille du conflit russo-ukrainien. Après plus de 70 jours et 21 villes russes, après avoir mené six recherches sur le terrain, je dois dire la vérité à nos amis français. Les pays occidentaux ne doivent pas se faire d’illusions : il ne suffit pas de fournir à l’Ukraine quelques armes militaires pour vaincre la Russie.
La question la plus cruciale aujourd’hui est d’arrêter la guerre. La Chine a beaucoup fait dans ce sens. Outre la médiation officielle, de nombreux hommes d’affaires chinois font du commerce dans les régions orientales de l’Ukraine, répondant aux besoins de consommation quotidiens du peuple ukrainien. La Chine n’a pas fourni d’armes à la Russie comme les États-Unis l’ont fait pour l’Ukraine. Environ 70 % des drones fabriqués dans le monde le sont en Chine, mais les contrôles chinois sur les exportations de drones vers la Russie sont très stricts.
Les relations de la Chine avec la Russie ne sont que des échanges commerciaux. Si elle apportait réellement un soutien militaire à la Russie, la situation sur le champ de bataille pourrait être très différente. De ce point de vue, la Chine est vraiment la seule à promouvoir la paix et à faciliter le dialogue.
L’Europe est plus que jamais désireuse d’une reprise économique, c’est pourquoi le retour croissant des touristes chinois à Paris, Berlin et Rome est un motif important d’enthousiasme dans les secteurs européens de la culture et du tourisme. Le fait que la croissance économique des États membres de l’UE ne dépassera pas 1,5 % en 2024 fait prendre conscience à un plus grand nombre d’Européens que le retour à la croissance économique et l’amélioration du bien-être public constituent actuellement la tâche urgente de l’Europe.
Au cours de la première semaine de mai, j’ai assisté à plus de dix événements en France, en Allemagne et en Belgique. J’ai été soulagé de n’entendre presque aucun Européen mentionner le ‘découplage avec la Chine’, et le terme alternatif ‘de-risking’ a également été rarement mentionné. Ce que la France et l’Allemagne évoquent fréquemment, c’est la “surcapacité” de la Chine”.
La Chine n’aime pas ce terme ; il ne correspond pas aux faits et n’est pas propice à la future coopération sino-européenne.
De plus en plus d’Européens prennent conscience qu’après avoir perdu la Russie, ils ne peuvent pas se permettre de perdre aussi la Chine. Ces réflexions incitent l’Europe à “virer à droite” plus rapidement. Lors des élections européennes de 2024, les partis populistes d’extrême droite occupent une place de plus en plus importante. Aux Pays-Bas, en Suède et en Italie, des personnalités ou des partis typiquement considérés comme des représentants du populisme d’extrême droite ont accédé au pouvoir ou participent à la gouvernance. Dans des pays comme la France, l’Allemagne, la Finlande, le Portugal et le Danemark, le soutien aux partis populistes d’extrême droite continue d’augmenter.
La plupart des Chinois ne comprennent pas ce que signifie un virage à gauche ou à droite en Europe et ne souhaitent pas non plus s’immiscer dans les élections politiques européennes. Cependant, le désir des droites européennes de revenir à leur propre développement et de promouvoir la croissance économique est en effet louable.
Ce qui met la plupart des Européens mal à l’aise, c’est que si Trump revient à la Maison Blanche en 2024, ce sera un choc important. D’un autre côté, cela signifie aussi que l’Europe continuera sur la voie de l’autonomie stratégique et signifie l’échec des tentatives de l’administration Biden d’aligner l’Europe contre la Chine.
Au siège de l’OCDE à Paris et à la Fondation Adenauer en Allemagne, j’ai posé une question : Croyez-vous vraiment à la théorie dite du “pic chinois”, selon laquelle l’économie chinoise ne dépassera pas celle des États-Unis à l’avenir ? Les investisseurs européens veulent-ils vraiment quitter la Chine ? Les réponses que j’ai reçues étaient toutes négatives.
Cela me convainc encore plus que des échanges interpersonnels plus fréquents permettront aux Européens, y compris en France, de s’éloigner de la pensée américaine et de revenir sur la voie du pragmatisme. C’est pourquoi je suis prudemment optimiste quant à l’avenir des interactions sino-européennes.
Dans les médias chinois, l’Europe et les États-Unis sont souvent désignés collectivement sous le nom d’”Occident“. Si “l’Occident” n’est qu’un terme pour la critique et une force extérieure, alors bien sûr le terme est valable ; mais s’il est considéré comme une directive pour la politique, alors le concept de “l’Occident” est en fait creux. À proprement parler, il n’existe pas de “politique occidentale à l’égard de la Chine“. Cependant, si nous ne faisons pas la différence entre l’Europe et les États-Unis, il est facile de fusionner les deux par inadvertance, créant ainsi une ‘politique occidentale unifiée à l’égard de la Chine’.
À la lumière de ce qui précède, la recherche chinoise sur l’Europe et ses contre-mesures devraient mettre l’accent sur le changement et orienter les politiques à l’égard de l’Europe en fonction des changements immédiats.
Par exemple, au cours de ces recherches sur le terrain, j’ai découvert que les attentes de la France concernant l’issue du conflit en Ukraine sont passées de “la Russie doit perdre” à “l’Ukraine ne doit pas perdre“.
Auparavant, de nombreux Français pensaient qu’avec le soutien total de l’OTAN et des milliers de sanctions, la défaite de la Russie était certaine. Contre toute attente, la Russie a résisté à plus de dix séries de sanctions et s’est défendue contre plusieurs contre-attaques ukrainiennes depuis septembre 2022. Actuellement, le soutien des États-Unis et de l’OTAN est plus rhétorique que substantiel et, depuis octobre 2023, le conflit israélo-palestinien a déplacé le centre d’intérêt du soutien américain. Malgré la volonté du président français Macron de déployer des troupes au sol, la conviction générale en France est que vaincre la Russie sur le champ de bataille n’est plus qu’un lointain espoir, et que l’objectif actuel est simplement “l’Ukraine ne doit pas perdre“.
Cependant, cet objectif ne peut pas être discuté ouvertement ; la France continue à soutenir ouvertement l’Ukraine, mais ces positions visent simplement à s’assurer que l’Ukraine ne souffre pas trop durement. De ce point de vue, la marge de manœuvre de la Chine pour promouvoir la paix et faciliter le dialogue s’est accrue.
En outre, les plaintes, les critiques et même la haine de la France à l’égard de la Chine concernant son environnement commercial intérieur, l’évolution des droits de l’homme et le soi-disant “soutien à la Russie” se transforment progressivement en demandes adressées à la Chine pour promouvoir la coopération avec des tiers et en attentes de contributions positives de la part de la Chine.
La réunion tripartite France-Chine-UE est l’un des points forts du voyage de Xi Jinping en Europe et reflète certaines caractéristiques des relations Chine-UE.
Elle me rappelle la réunion de mars 2019 lors de la dernière visite d’État de Xi en France. À l’époque, Macron avait invité la chancelière allemande Angela Merkel et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker à tenir une réunion quadripartite avec Xi et lui avait présenté les perspectives stratégiques de l’UE à l’égard de la Chine, qui définissaient la Chine comme un partenaire, un concurrent et un rival systémique à la fois.
Le chancelier allemand Olaf Scholz a été invité par Macron cette fois-ci, mais Scholz a décliné l’invitation. Macron voulait montrer que l’UE parle à la Chine d’une seule voix, mais la France et l’Allemagne n’ont pas les mêmes politiques économiques à l’égard de la Chine. Au cours de la réunion, Macron et Ursula von der Leyen ont évoqué la “surcapacité” des produits écologiques chinois et la “concurrence déloyale” entre les entreprises européennes et chinoises, ce qui va dans le sens de l’approche de Washington.
C’est la France qui a suggéré d’ouvrir une enquête anti-subventions sur les véhicules électriques chinois, alors que l’Allemagne hésite à le faire car elle craint des représailles de la Chine sur ses voitures vendues en Chine. La réunion France-Chine-UE a été plus dure que la réunion Chine-Allemagne d’avril. Le voyage de Scholz en Chine le mois dernier a été dominé par les thèmes de l’investissement, de la coopération, des entreprises, etc.
En raison des différences entre les États membres et du processus décisionnel global de l’UE, la Chine estime qu’il est plus facile de traiter directement avec les États membres qu’avec l’UE, en particulier pour les questions bilatérales. Cependant, la Chine a répété à maintes reprises qu’elle souhaitait une Europe unie lorsqu’il s’agit de questions mondiales – seule une Union européenne forte et unie peut mieux jouer un rôle dans la sauvegarde d’un ordre international multipolaire, dans le traitement des questions internationales et régionales et des questions telles que le changement climatique et d’autres encore.
Macron a récemment déclaré que la situation internationale nécessitait plus que jamais un dialogue euro-chinois. C’est vrai, et l’Europe a plus que jamais besoin de la Chine, parce que la Chine peut jouer un rôle positif dans la médiation pour mettre fin au conflit entre la Russie et l’Ukraine, et parce que la Chine est, dans une certaine mesure, à la pointe de certaines technologies et industries d’avenir.
Une autre raison, peut-être la plus urgente, est que l’UE et la Chine doivent se préparer à un éventuel retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Dans ce cas, l’autonomie stratégique européenne que Macron appelle toujours de ses vœux deviendra plus importante et plus significative.
Jiang Jiang et Ren Ke
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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