Texte prononcé par Jean-Pierre Page lors du colloque pour le 60e anniversaire des relations entre la Chine et la France à l’Hôtel Intercontinental à Paris, le 4 mai 2024.
Forum sur le développement des échanges entre les peuples et les cultures français et chinois.
Nimen Hao, Bonjour,
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
En établissant des relations diplomatiques en janvier 1964, la France et la République Populaire de Chine avaient rendez-vous avec l’histoire. Cette initiative politique exemplaire et sans précédent à cette époque bouleversa l’ordre des choses. En fait, la France et la Chine « ces deux mondes qui ne pouvaient s’ignorer » selon l’expression du Général De Gaulle furent capable de prendre en compte un patrimoine, une histoire commune et singulière mais aussi une curiosité réciproque qui existait déjà de longue date.
Le Général De Gaulle, de manière prémonitoire, avait compris bien avant d’autres hommes d’état occidentaux que s’agissant de la Chine nouvelle, la vision archaïque qui avait prévalu en Occident n’avait plus de sens ! Par conséquent, cette histoire entre la France et la Chine, « cette nation plus vieille que l’histoire » qui après 1949 avait repris sa marche en avant mériterait d’être plus largement connu. C’est aussi le but de ce Forum et de son exposition dont il faut se féliciter en remerciant nos hôtes chinois pour cette initiative et leur accueil, en particulier l’Agence de presse Xinhua et l’Ambassade de la République Populaire de Chine en France.
Le général De Gaulle, dont le porte-parole fut André Malraux, ne fît jamais mystère de son souhait de rencontrer le Président Mao Zedong, d’échanger et de partager avec celui-ci sur les enjeux et les défis de cette époque. Nous étions alors loin de ces commentaires sur « la naïveté » dont aurait fait preuve la France, comme on peut l’entendre aujourd’hui dans les commentaires de médias et de politiciens. C’est pourquoi, on devrait revisiter cette période, mettre en valeur l’esprit qui prévalait afin de persévérer dans la voie positive et constructive de ceux qui furent les initiateurs comme les négociateurs de nos relations diplomatiques comme Edgar Faure et Zhou Enlai.
Zhou Enlai, dont la jeunesse militante et les engagements eurent comme cadre la France du début des années 1920. Il se retrouva alors aux côtés de ses camarades du Groupe Travail et Etudes et donc ceux qui allèrent devenir les principaux protagonistes de cette Chine nouvelle : Chen Yi, Cai Hesen, Xiang Jingyu, Li Fuchun et tout particulièrement Deng Xiaoping dont il faut rappeler qu’il fut licencié pour fait de grève chez Hutchinson à Chalette-sur-Loing dans le Loiret.
Il est un fait que les Chinois apprécient et respectent la France et les Français. Ils expriment à leur égard un intérêt sincère pour leur histoire qu’ils connaissent souvent très bien. C’est une chance qu’il faut saisir, pour des raisons économiques et commerciales qu’il faut concevoir sur des bases de bénéfices mutuels, mais plus fondamentalement pour des raisons politiques, stratégiques en relation avec l’état d’un monde incertain et afin de développer des échanges porteurs de meilleure compréhension, de découvertes mutuelles, d’amitié et de paix !
Pour ce faire, il reste en France et en Europe à se libérer des préventions, des arrières pensées partisanes, de l’ignorance, de l’arrogance comme des idées toutes faites. Ainsi, on ne saurait se prévaloir d’une démarche d’amitié et prétendre donner des instructions à la Chine afin qu’elle intervienne pour faire pression sur les dirigeants russes dans la guerre qui les opposent à l’OTAN et au camp occidental. On ne saurait parler de partenariat et d’intérêts mutuels et dans le même temps s’accommoder de cette campagne médiatique d’hostilités et de contre-vérités à l’égard de la Chine et de son président Xi Jinping dès la veille de son arrivée en France et depuis. Que dirions-nous si un accueil identique était réservé à un Président français ?
Si, depuis 1964, il faut savoir mesurer le chemin parcouru et ce qu’il signifie, reste toutefois à assumer une volonté politique sincère et respectueuse afin de contribuer à une ambition en faveur d’une coopération exemplaire !
Ne nous cachons pas que demeurent pour cela bien des obstacles à surmonter. L’un d’entre eux, me semble-t-il, est cette contradiction pour les Français et les Européens tiraillés entre leurs alliances politiques et idéologiques avec les tenants d’un ordre étasunien déclinant et des intérêts économiques avec le reste du monde dont la Chine. C’est à dire avec les trois-quarts de l’humanité. Il faut donc pour la France comme pour l’Europe choisir entre une forme de suivisme ou savoir affirmer une indépendance véritable !
Pour les responsables de 1964, établir des relations diplomatiques entre la France et la Chine Nouvelle était un acte essentiel qui s’inscrivait dans la vision qu’ils avaient de la souveraineté et de l’indépendance des nations comme principe fondamental de l’organisation des relations entre les États et les peuples. Cette décision relevait d’abord et avant tout de l’application de ce principe. Celui-ci n’est-il pas toujours aussi valable ?
C’est pourquoi, les tentatives de certains États d’imposer leurs propres “normes démocratiques” à d’autres pays, de monopoliser le droit d’évaluer le niveau de conformité à leurs seuls critères démocratiques, de tracer des lignes de démarcation fondées sur des motifs idéologiques, notamment en établissant des blocs exclusifs et des alliances de complaisance, s’avèrent n’être rien d’autre qu’un déni de démocratie qui va à l’encontre de l’esprit et des véritables valeurs de la démocratie. La démocratie ne saurait être une référence exclusivement occidentale mais un bien commun qui s’est forgé à travers les siècles pour toutes les communautés humaines dans le respect de celles-ci, un droit universel et tangible qui existe et représente un patrimoine de principes de valeurs admises par tous. Il n’est pas abusif de dire que cette conception des relations internationales est aujourd’hui partagée par la majorité des états dans le monde. Comment ne pas en tenir compte ?
Dans ces conditions développer une politique souveraine en termes d’égalité, loin des conflits, des désordres et des tensions provoquées par les partisans du chaos, c’est faire le choix d’un autre état d’esprit sans arrières pensées, sans prétentions hégémoniques afin de faire progresser une coopération véritable et donc la réponse aux besoins des peuples. C’est être en phase avec un monde qui change vite.
Par exemple dans l’Océan Indien comme dans le Pacifique, ne devrions-nous pas, ensemble, soutenir des initiatives bilatérales permettant la résolution des désaccords pour en faire une vaste zone de paix, de détente, de coopération en faveur du droit au développement. Plutôt, que de s’inscrire dans la recherche d’alliances militaires que l’on multiplient dans le but d’une escalade des tensions, de la constitution de blocs qui contribuent aux provocations, aux conflits, entre autre en ce qui concerne la circulation maritime par une interprétation dangereuse et fausse de la liberté de navigation ?
Il faut se dégager de ces conceptions qui appartiennent au passé et au fond à une vision archaïque du monde, faire preuve de respect et apprendre les uns des autres. Ensemble la France et la République Populaire de Chine déclarent soutenir une approche multilatérale des relations internationales, ce qui est devenu une exigence universelle. Il faut donc passer aux actes et en tirer les leçons pratiques. Par exemple, en ce qui concerne la France, ne faut-il pas respecter la Charte des Nations Unies qui interdit l’usage de sanctions unilatérales et d’autres mesures de coercition, y compris financières ou culturelles ? D’autant que celles-ci sont contreproductives pour tout le monde. Les peuples en France et en Europe en payent un prix élevé comme le démontre la guerre en Ukraine. Il faut donc s’employer à faire partager une ambition, une autre manière de voir les choses à travers la recherche de la paix, d’un co-développement prenant appui sur des relations civilisées synonymes de coopération et de paix comme le veut la Charte des Nations-Unies.
Aussi, il ne saurait y avoir une sorte de « modèle unique » imposé de l’extérieur, fondé sur la supériorité de la civilisation occidentale comme définition du progrès et du développement. Nous avons besoin au contraire du respect du droit inaliénable de tous les peuples, sans exception, à l’autodétermination – politique, sociale, économique et culturelle. La Déclaration du droit au développement des Nations Unies ne reconnaît-elle pas les peuples et leurs états comme les sujets centraux et les architectes de leur propre destin et non comme des objets, de simples producteurs ou des consommateurs ? Cette vision exige une coopération internationale fondée sur le respect par l’égalité souveraine, l’indépendance, l’intégrité territoriale, la non-intervention et la non-ingérence dans les affaires internes d’autres pays. Ces défis demeurent et sont d’une brûlante actualité ! Se préoccuper de nouer de nouvelles convergences en ce sens est un impératif.
Cela ne peut se faire à sens unique. C’est pourquoi, nous avons besoin d’une communauté de destin, de relations « gagnant-gagnant » fondés sur un respect réciproque comme le propose le président Xi Jinping. Cette nouvelle mentalité dans les relations internationales peut et droit trouver du sens avec le soutien à apporter aux Nouvelles Routes de la Soie (BRI).
Nous sommes entrés dans une période de choix importants à assumer, décisifs tant les enjeux et les défis auxquels les hommes doivent faire face sont considérables. La visite du Président Xi Jinping en France et en Europe est de ce point de vue un évènement politique majeur ! Il faut donc contribuer à en faire mesurer tout à la fois la signification pour les relations bilatérales sino-françaises tout comme l’influence positive que cela peut et doit avoir sur les réponses à apportées à une situation internationale imprévisible, instable et dangereuse.
Si nous vivons une période de risques, nous vivons également une période d’occasions diverses. Je pense pour ma part que la France et la Chine, qui sont deux grandes nations à la tête d’une histoire commune très riche et qui sont par ailleurs membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies, ont un devoir de responsabilité face à l’urgence de choix entre guerre et paix, entre barbarie et civilisation vis-à-vis desquelles il faut mobiliser les énergies, les intelligences et par-dessus tout faire preuve d’une volonté politique véritable. Le monde a besoin d’un multilatéralisme qui soit à la hauteur des défis. André Malraux disait : « les idées ne sont pas faites pour être pensées mais vécues » et, à une toute autre époque, Sun Tzu soulignait non sans raisons « celui qui n’a pas d’objectifs ne saurait les atteindre ».
Il reste à leur donner raison !
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir