L’auteur est secrétaire des Artistes pour la Paix
Jacques, ô Jacques, toujours prêt à rendre service au monde entier, même en assumant la vice-présidence des Artistes pour la Paix, est mort à l’âge de 64 ans. Diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, il avait brillamment débuté par un rôle dans la pièce de Normand Chaurette Provincetown Playhouse, à l’âge de 19 ans !
Il fut aussi dirigé par Robert Lepage au TNM (Le songe d’une nuit d’été) et avait joué à la télévision dans Sous le signe du lion (Françoise Loranger), ainsi que dans Monsieur le ministre (Michèle Bazin et Solange Chaput-Rolland; Andrée Lachapelle APLP1989 y avait le 1er rôle); au cinéma, on l’avait remarqué dans Pouvoir intime (Yves Simoneau), avec Robert Gravel et Pierre Curzi, et en anglais qu’il maîtrisait parfaitement, dans Grey Owl (sir Richard Attenborough), avec le célèbre Pierce Brosnan (qui joue le scélérat Tony Blair, dans The ghost writer de Polanski).
Grand amateur et collectionneur d’art, Jacques était aussi un comédien apprécié du grand public dans la série populaire Les filles de Caleb et Blanche, grande épopée du féminisme avant-gardiste filmée par Jean Beaudin à partir du génial scénario (Émilie) de Fernand Dansereau et bien sûr du livre épique d’Arlette Cousture (rencontrée lors d’un souper intime organisé par Pierre Péladeau, où Jean-Pierre Ferland était aussi invité).
Proche de Jean-Louis Roux, 1er président des Artistes pour la Paix
L’acteur s’exprimait, comme son mentor, dans les médias sur des enjeux sociaux, telle la crise du logement, la politique avec la négligence de la culture, sans cacher l’extrême précarité du métier d’artiste qu’il a lui-même vécue à partir de 2008, après sa décision regrettée de s’exiler à Waterloo. Il avait espéré y vivre des revenus de son magnifique bed & breakfast à la belle architecture, mais y avait rencontré la solitude.
Il a côtoyé son héros Jean-Louis Roux dans l’extraordinaire télésérie Cormoran (réalisé par l’anti-nazi Pierre Gauvreau) : je l’avais félicité en 2019 pour « sa performance d’acteur qui apporte une bienvenue bouffée d’air frais dans une série que je réécoute religieusement (trop aux yeux de mes enfants qui me trouvent grand-père). Amitiés, Pierre. »
Il le côtoya encore durant l’été 1991 pour le premier grand succès de Denise Filiatrault comme metteure en scène, qui serait suivi de onze mises en scène annuelles (avant de prendre les rênes du Rideau-Vert) dans le cadre du festival Juste pour rire à la dérive aujourd’hui: Les palmes de M. Schutz fut un immense succès populaire et critique ; comment s’en étonner face à des acteurs tels que Sylvie Drapeau, Henri Chassé, Germain Houde et Jean-Louis Roux !
L’intéressait vivement ce récit de Pierre et Marie Curie, elle détentrice de deux Prix Nobel de science (fait peu connu car glorifiant une Polonaise, dans le milieu scientifique français, macho et élitiste) : ses travaux sur le radium ont entraîné sa mort illustrant les dangers de l’uranium, que les APLP combattaient aussi sous sa gouverne.
Sa démission abrupte, après le 14 février 2010
« Cher Pierre, merci pour tes mots bien pesés que j’apprécie. Sache que je pensais quitter avant la mort abrupte de Bruno Roy, notre bien-aimé secrétaire, puis je me suis rendu jusqu’au14 février essouflé… nerveux puisque j’ai l’impôt à mes trousses depuis 6 mois pour 3 années non produites, non payées… toute l’époque du gîte… J’ai des milliers de factures à classer, produire, prouver et un stress énorme… pénalités, intérêts et je n’ai plus rien… récemment, à travers les dizaines d’e-mails des APLP et la préparation du 14 , j’ai réussi à trouver un comptable… les APLP avaient pris toute la place…. je n’ai donc aucune résistance pour un autre stress, en plus de notre façon de fonctionner (tant d’e-mails, tant de combats).
Voilà, j’ai essayé de ne pas gâcher le 14 au moins. Je suis impressionné par ton énergie et ta passion, tu as une famille, une carrière et même 2 mais… je suis coincé et fragile. Prends soin de toi aussi. On ratisse trop large. Je vais m’occuper de moi avant de finir à l’hôpital, moi aussi, ou pire… Je ne pouvais expliquer tout ça au téléphone (brutal) ou en conseil d’administration (gênant, avec risque de dérape). J’ai cru la bonne vieille lettre plus « élégante. » Amitiés à toi, Serge et aux autres. Merci pour tout.
Je travaillerai toujours pour la paix et la justice.
Jacques
Cher Jacques,
Nous avons pris connaissance de ta lettre lors d’un C.A. où unanimement, les membres ont tenu à prononcer une motion de félicitations et de remerciements pour ton extraordinaire travail d’organisation, en particulier de la non moins extraordinaire journée du 14 février. Sois heureux, tu le mérites, cher ami! Pierre
En guise de testament de notre confrère
Voici ce qu’il avait écrit pour saluer notre artiste posthume de l’année 2009, que Louise Vandelac allait aussi saluer magnifiquement, et à retranscrire son hommage, je m’aperçois que ses mots extraordinaires conviennent comme un gant à notre confrère :
Hélène Pedneault était le contraire de l’artiste qui refuse les causes ou les choisit en fonction de sa petite ou grande carrière; féminisme, écologisme, équité, justice sociale, indépendance et qualité dans son œuvre littéraire, journalistique ou pamphlétaire.
Oui, c’est un peu tard pour lui rendre enfin cet hommage bien mérité, mais nous n’avons jamais oublié, jamais hésité, nous avons été simplement surpris par la fulgurance de son départ. Qui peut oublier la générosité, l’écoute, l’espoir semé tout au long de sa brève mais intense route? Elle demandait de l’eau, du pain, des roses et un pays.
Être Artiste pour la Paix, au-delà des choix politiques et des clivages ou des frontières, c’est simplement reconnaître que l’autre existe et que la Paix commence en soi, chez soi et idéalement dans son œuvre. C’est vivre dans la cité. C’est se lever et dénoncer l’injustice, les inéquités, les massacres d’êtres humains ou de leurs ressources… c’est aspirer pour les autres et pour soi à plus de dignité.
C’est, encore une fois, re-semer l’espoir quand tous/toutes se découragent, c’est mobiliser à nouveau, c’est écouter encore, c’est marcher un autre jour frileux et c’est encore écrire et signer. Notre prix hommage 2009 pouvait signer debout : Hélène Pedneault.
Jacques, aussi, signait debout.
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