« Jeanne du Barry » ou le fond du baril
Les amateurs de cinéma devraient refuser de voir certains films, comme le dernier de Maïwenn, Jeanne du Barry [1], sur grand écran au Québec depuis le 3 mai. La raison ? Le rôle du roi Louis XV y est tenu par un acteur parlant péniblement français, Johnny Depp [2]. Tous les personnages français de ce film, dont l’action se situe dans la France du XVIIIe siècle, sont interprétés par des acteurs parlant parfaitement la langue de Molière, sauf le plus important d’entre eux, hiérarchiquement parlant. On se moque de nous !
Vous imaginez un film britannique dans lequel le rôle d’Élisabeth Ire est interprété par une actrice francophone parlant anglais avec un accent, alors que le reste de la distribution est britannique ? Impensable ! Si la Québécoise Geneviève Bujold [3] a été retenue pour interpréter Anne Boleyn [4] dans Anne of the Thousand Days (Anne des mille jours, 1969) [5], c’est parce qu’elle parlait bien anglais, avec un zeste d’accent français, la deuxième épouse d’Henri VIII ayant vécu un temps en France.
N’arrivant plus à jouer dans des films qui lui rapportent gros dans la richissime sphère anglo-saxonne, du fait d’une controverse d’ordre privé, Depp a bien entendu sauter sur l’offre de Maïwenn de jouer dans une production européenne de prestige de 22 millions $ [6] et de se faire remarquer en montrant sa connaissance de la langue française, lui qui a vécu 14 années avec la chanteuse française Vanessa Paradis [7]. Pas fou, l’enfant terrible ! Et pour les producteurs européens, avoir Depp en tête d’affiche, c’était la chance de percer dans le monde. Celui-ci a montré d’ailleurs qu’il en était bien conscient lorsqu’il a hurlé à la réalisatrice : « Ton film, c’est de la merde ! Si les gens viennent le voir, ce sera uniquement pour moi. » [8] Manque de pot, le film a été un échec au box-office international [9].
Pour la majorité des spectateurs francophones, entendre du reste la voix originale de la vedette originaire du Kentucky, c’est un peu comme si John Wayne avait donné congé pour un film à Raymond Loyer, l’acteur qui l’a doublé dans 44 films [10]. Car il y avait malgré tout une solution à cette erreur de casting : le doublage. Le dernier doubleur attitré de Depp, l’excellent Bruno Choël [11], aurait parfaitement pu relever le défi de remplacer sa voix. Dans la comédie française La Cage aux folles (1978), tous les acteurs italiens ont été doublés par des francophones (Pierre Mondy double par exemple Ugo Tognazzi) [12], et les spectateurs n’y ont vu que du feu. Ce fut de même pour des centaines de films et de téléséries.
Faites comme moi, n’allez pas voir ce film contrefait.
Sylvio Le Blanc
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec