La cours des comptes a tiré la première la sonnette d’alarme. Le déficit budgétaire de l’État pour l’année en cours dérape dangereusement pour s’établir à un niveau bien au-dessus des 4,9 % annoncés par le gouvernement. L’INSEE confirme dans la foulée, ce sera officiellement 5,5 %. Le gouvernement tremble de nouveau devant les agences de notations qui font peser la menace d’une énième dégradation de la note de la France. Il n’en faut pas plus pour que le petit théâtre médiatique se mette en branle et nous rejoue une énième fois la pièce de la France en faillite qui, en mauvais père de famille, dépense plus qu’elle ne gagne. Les explications et préconisations des experts autoproclamés sont les mêmes depuis quarante ans mais rien n’y fait, ce fameux « mur de la dette » ne cesse de croître et nous menace de la faillite. Pour le péquin moyen, c’est incompréhensible. Comment dépense-t-on autant d’argent alors que tous les services publics élémentaires se dégradent à vue d’œil ? Et la France n’est-elle pas la championne des prélèvements obligatoires et des impôts ? Mais où va l’argent ?
Dans tout ce brouhaha, difficile de comprendre. Cependant, un argument mis en avant et répété sans cesse par la caste doit nous mettre la puce à l’oreille : la France n’a pas connu un budget à l’équilibre depuis 1974. Comment se fait-il que pendant la période qui court de l’après-guerre au milieu des années soixante-dix, nous avons connu un excédent budgétaire annuel et quasiment pas de dette ? Paradoxal quand on sait que ce fut une période faste en termes de dépenses et d’investissements, ayant pour conséquence une élévation spectaculaire du niveau de vie couplée à une modernisation sans précédent du pays. Les fameuses Trente Glorieuses.
Au sortir de la guerre, la France est pourtant exsangue, tout est à reconstruire et les finances sont à sec. Invitée aux banquets des vainqueurs un peu par hasard, elle n’a pas connu la saigné de 14-18 et sa population pleine d’espoir et dynamique a de l’énergie à revendre. La question, dès lors, est la suivante : comment amorcer la pompe pour mettre en marche cette force de travail qui ne demande qu’à s’épanouir ? À défaut d’avoir de l’argent la France hérite du régime de Vichy des outils de financement de l’économie qui laissent les coudés franches à l’État en l’affranchissant de la finance privée.
Le cadre théorique concernant la question monétaire était bien différent à l’époque. L’argent que possède un État n’était pas considéré comme une ressource finie, possession de tiers auprès desquels l’État doit emprunter. C’est au contraire une conception totalement juridique. Par la loi, l’État s’arroge le monopole de l’émission de monnaie et rend son utilisation obligatoire pour tout échange sur son territoire au détriment de tous les autres : devises étrangères, or ou argent métal. Les taxes et impôts prélevés sur ses administrés, entreprises comme ménages, renforcent ce rôle central en garantissant son utilisation par les agents économiques privés.
Dans ces conditions, la monnaie n’est pas une dette que l’État rembourse à des agents extérieurs contre intérêts. C’est un bien public à disposition de l’économie, un support pour permettre les échanges en son sein. Et plus un moteur est gros, plus il consomme d’huile pour fonctionner. Il en va de même de l’économie d’un État avec sa monnaie : plus il connaît de transactions, plus il lui faut de monnaie pour y répondre.
Sous la houlette d’un groupe de hauts fonctionnaires brillants et soucieux de l’intérêt général, un mécanisme génial de financement de l’État et de l’économie va voir le jour. On lui donnera le nom de « circuit du Trésor ».
L’État, via le Trésor, émet de la monnaie qu’il investit dans l’économie par des politiques de grands travaux ou via ses différentes agences et grandes entreprises publics. Mais l’État n’est pas qu’investisseur, il est aussi banquier. Banques commerciales, grandes entreprises, organismes sociaux ont un compte au Trésor, ils sont tenus d’y placer leurs liquidités. On les appelle les « correspondants du Trésor ». L’État centralise ainsi une énorme masse monétaire, un « dépôt à vue », qu’il peut mobiliser également pour financer l’économie.
Une telle politique génère de d’inflation mais celle-ci reste bien inférieure à la croissance économique qu’elle génère. En outre, la centralisation des comptes offre un outil de politique monétaire redoutable. En exigeant de ses correspondants des seuils minimaux d’immobilisation de leur trésorerie, il influe directement sur la masse de monnaie en circulation. Seuils qui évoluent selon les circonstances : plus l’inflation est forte, plus les montants demandés sont élevés et inversement. L’État peut offrir un rendement aux dépôts laissés au Trésor mais il en décide seul du taux selon les circonstances. Le monde à l’envers !
C’est à cette période que naissent des agences et instituts permettant un pilotage précis et performant de l’économie. L’INSEE ou le commissariat au plan en sont les meilleurs exemples.
Cette architecture monétaire va permettre la reconstruction de la France, garantir sa modernisation et son indépendance et assurer des services publics de grandes qualités. Tout cela avec une dette inexistante. Sous la houlette du général de Gaulle, la France va connaître une période faste et heureuse : les fameuses Trente Glorieuses.
Ian Purdom
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