Double-standards antirusses en 1853
J’ai plusieurs fois évoqué la russophobie radicale dans mon livre sur Dostoïevski ou dans mes textes publiés dans les médias russes (voir liens). Cette russophobie européenne n’a pas attendu les américains. On peut dire qu’elle s’exprime une première fois lors de la conquête de la Russie par Napoléon qui est décrite par Tolstoï dans Guerre et paix (tome II, p. 107) : « Les forces réunies des différentes nationalités européennes se jetèrent sur la Russie. » chez Tolstoï comme chez Gogol, il y a une digression sur la dimension antéchristique de l’envahisseur franco-corse qui dévasta l’Espagne et prépara le règne de la finance.
Chateaubriand est isolé quinze ans plus tard quand il demande à la diplomatie française de se rapprocher de la Russie et d’éviter les ombrageuses Autriche et Angleterre qui déclencheront les conflits qui en terminèrent avec notre civilisation.
La guerre de Crimée (1853-56, un million de victimes, de faim, de froid, de maladie, etc.), permet à l’Europe entière de se défouler. La France et l’Angleterre qui sacrifia tous les chrétiens (obsessionnelle-confessionnelle habitude) d’orient pour protéger son empire ottoman (qu’elle sacrifia ensuite avec Lawrence pour les sionistes), mais aussi la Sardaigne du très opportuniste Cavour, l’Autriche très ingrate (sauvée par Nicolas en 1848, mais qui mobilisa cent mille hommes) et d’une demi-douzaine d’autres nations font directement et indirectement la guerre à la Russie POUR DEFENDRE L’EMPIRE OTTOMAN. Le contrat chrétien était rompu par les occidentaux, et la Grande Catherine s’en plaignait déjà (voyez la belle biographie d’Henri Troyat). Mieux vaut le mahométan que l’orthodoxe.
Il est intéressant aussi de rappeler que tous les gouvernements du continent approuvent systématiquement ce que font les américains puisque ce sont eux qui disposent aujourd’hui de la puissance militaire occidentale ; les américains ont droit de vie et de mort sur cette planète et tout le monde est content en Europe.
Cette habitude est donc ancienne.
Vers 1850 c’est l’Europe occidentale – le couple franco-britannique – qui a ce droit (et refusera de le partager avec l’Allemagne) et qui, avant les USA, s’estime le messie des nations sur cette pauvre terre – pour la détruire ou la «civiliser»…
Un historien russe de cette époque s’en est rendu compte et il écrit au tzar Nicolas ; je traduis du parfois époustouflant Wikipédia anglais :
« Mikhaïl Pogodin, professeur d’histoire à l’Université de Moscou, avait donné à Nicolas un résumé de la politique de la Russie envers les Slaves pendant la guerre. La réponse de Nicolas était remplie de griefs contre l’Occident. Nicolas partageait le sentiment de Pogodine que le rôle de la Russie en tant que protecteur des chrétiens orthodoxes dans l’Empire ottoman n’était pas compris et que la Russie était injustement traitée par l’Occident. Nicolas avait particulièrement approuvé le passage suivant :
« La France prend l’Algérie à la Turquie, et presque chaque année l’Angleterre annexe une autre principauté indienne : rien de tout cela ne perturbe l’équilibre des forces ; mais lorsque la Russie occupe la Moldavie et la Valachie, ne serait-ce que temporairement, cela perturbe l’équilibre des forces. La France occupe Rome et y séjourne plusieurs années en temps de paix : ce n’est rien ; mais la Russie ne songe qu’à occuper Constantinople, et la paix de l’Europe est menacée. Les Anglais déclarent la guerre aux Chinois, qui les ont, semble-t-il, offensés : personne n’a le droit d’intervenir ; mais la Russie est obligée de demander la permission à l’Europe si elle se querelle avec son voisin. L’Angleterre menace la Grèce de soutenir les fausses prétentions d’un misérable Juif (NDLR : c’est l’affaire Pacifico, ce fameux civis britannicus de nos manuels scolaires…) et brûle sa flotte : c’est une action licite ; mais la Russie exige un traité pour protéger des millions de chrétiens, et cela est censé renforcer sa position à l’Est au détriment de l’équilibre des forces. On ne peut rien attendre de l’Occident que de la haine aveugle et de la méchanceté… (Commentaire en marge de Nicolas Ier : « C’est tout l’enjeu »).
C’est tiré du Mémorandum de Mikhail Pogodin à Nicolas Ier, 1853. Un seul pays ne bougea pas contre la Russie : la Prusse. Le sinistre but de la diplomatie britannique et française fut dès lors d’amener au conflit désastreux, pour notre civilisation et notre continent, entre ces deux belles puissances. Lire à ce propos Haine inconditionnelle de Russell Grenfell, toujours traduit par mes amis du Saker.
On résume : l’occident a tous les droits, la Russie et le reste du monde (arabe, chinois ou autre) strictement aucun. Et il faut comprendre une deuxième évidence : même faible, même risible, l’occident a la rage et ne s’arrête jamais. Lisez notre livre de prières publié en 1852 par A. Stourdza : parce qu’à part les missiles rien ne pourra arrêter ces imbéciles. Ces siècles de la Fin pour reprendre Bernanos sont les siècles de la colère des imbéciles fabriqués à la chaîne (télé-radio-journaux ou autre) en occident depuis l’invention d’un certain Gutenberg. Leur guerre n’en finira pas car elle n’a jamais cessé.
La Russie peut toujours perdre car elle sous-estime encore (malgré Hitler) la culture du carnage occidentale (voyez l’excellent livre de Victor Davis Hanson) et la haine british.
Sur la rage britannique contre la Russie et la haine phobique que la terre de Dostoïevski inspire à l’insatiable Albion, je rajouterai ces lignes de mon ami Emmanuel Leroy, publiées par lesakerfrancophone.fr :
« A lire et écouter assidument ce qui se passe depuis février 2022, je suis assez surpris de découvrir qu’aucun constat n’a encore été fait sur l’un des enseignements majeurs de la guerre en Ukraine, à savoir que les marines de guerre n’étaient plus aujourd’hui une composante essentielle des conflits du XXIème siècle. En effet, cet affrontement a prouvé que la flotte russe de la Mer Noire avait perdu – au moins provisoirement -sa suprématie dans ce lac intérieur face à une marine ukrainienne désormais inexistante depuis sa disparition quasi-totale dès le début des hostilités. En revanche, les armes antinavires, missiles et drones navals, ont prouvé leur extrême efficacité pour réduire de manière efficace le danger et les capacités de frappe (ou de débarquement) des flottes de surface.
Si l’efficacité des missiles air-mer était connue (on se souvient entre autres du missile Exocet tiré par un Super Etendard argentin contre le HMS Sheffield durant la guerre des Malouines en 1982), en revanche, nul ne pouvait connaître la remarquable efficacité des drones navals qui ont largement contribué à affaiblir la marine russe depuis le début du conflit. Il est difficile d’établir précisément l’état des pertes russes pour des raisons évidentes, mais outre la perte du vaisseau amiral le croiseur Moskva le 14 avril 2022 (officiellement on ne sait pas si le bateau a été coulé par une attaque de missiles ou de drones), les estimations les plus sérieuses font état de 20% de la flotte russe de la Mer Noire qui aurait été coulée ou endommagée. Ce qui est énorme, compte tenu de l’importance stratégique que revêt pour Moscou cette zone maritime pour l’accès aux mers chaudes et notamment son ravitaillement du port de Tartous en Syrie.
Ce n’est pas pour rien que, contrairement aux usages, l’amiral britannique Tony Radakin ait été maintenu à son poste en février dernier et cela jusqu’à l’automne 2025 alors qu’il avait atteint la limite des trois ans habituellement dévolus à ce poste. L’appui décisif de la Royal Navy au régime de Kiev pour pratiquer une guerre navale non conventionnelle contre la Russie ayant été grandement apprécié. »
Les russes n’en ont pas fini.
Sources principales
https://lesakerfrancophone.fr/reflexions-geopolitiques-sur-la-guerre-en-cours
https://www.dedefensa.org/article/de-gaulle-et-chateaubriand-contre-lempire-et-la-russophobie
https://en.wikipedia.org/wiki/Crimean_War
https://en.wikipedia.org/wiki/Mikhail_Pogodin
https://lesakerfrancophone.fr/custine-et-les-racines-du-conflit-entre-russes-et-occidentaux
https://english.pravda.ru/author/bonnal_nicolas/
https://fr.sputniknews.africa/search/?query=NICOLAS+BONNAL
https://en.wikipedia.org/wiki/Don_Pacifico_affair
https://fr.wikipedia.org/wiki/Deux_poids,_deux_mesures
Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org