Grâce à la vigilance de la rédaction d’E&R, j’ai appris qu’avait eu lieu il y a quelques jours cet échange entre BHL et Haziza sur Radio J :
– BHL : … ce vieil antisémitisme de droite de la tradition marcioniste, c’est-à-dire les Juifs vengeurs, le dieu de revanche et de mort, et ainsi de suite…
– Haziza : C’est du Soral !
Ce que BHL baptise la « tradition marcioniste », c’est la critique radicale du dieu d’Israël, soit ce que j’appelle l’anti-yahvisme. Il n’y a pas de lien historique direct entre l’anti-yahvisme moderne, né au XIXe siècle, et le marcionisme du IIe siècle, sur lequel on sait peu de choses. Mais Marcion est la figure tutélaire de l’anti-yahvisme parce qu’il voyait le dieu d’Israël comme un dieu mauvais, l’ennemi mortel et non le père du Christ.
On devine donc derrière la remarque de BHL le projet de rendre l’anti-yahvisme hors-la-loi en le définissant comme une forme déguisée d’antisémitisme.
Pour ses besoins rhétoriques, BHL classe le marcionisme comme étant « l’antisémitisme de droite ». Est-ce exact ? Non. L’intellectuel allemand qui a introduit Yahvé dans le débat sur la « question juive », et qui peut donc être considéré comme le pionnier de l’anti-yahvisme moderne, est Bruno Bauer, dont j’ai déjà parlé dans un article récent (section intitulée « Bauer, Marx et le moment nietzschéen »). Bauer était une figure influente des « jeunes hégéliens », également appelés « hégéliens de gauche ». Très versé dans la critique historique de la Bible apparue à son époque en Allemagne, il publia en 1842, à l’âge de 33 ans, deux essais sur « la question juive », arguant que celle-ci se ramène à la question biblique. Car Bauer découvre l’essence de la judéité dans le dieu jaloux, colérique et génocidaire que vénèrent depuis toujours les juifs.
C’est en réponse à Bauer que Karl Marx, son jeune collaborateur au Rheinische Zeitung, écrivit deux brefs essais La Question juive. Le but très explicite de ces essais était de dissoudre la question juive dans la question économique, en réduisant la judéité à l’esprit bourgeois, soit l’amour de l’argent. Ce sont les premiers articles remarqués de Marx, et, bien qu’ils embarrassent un peu les marxistes, on peut légitimement les considérer comme les fondations souterraines de toute l’entreprise idéologique ultérieure de Marx. Et l’on peut donc dire que le marxisme a servi à étouffer dans l’œuf le mouvement intellectuel qui, sans lui, se serait peut-être appelé le bauerisme.
Que BHL s’en prenne au marcionisme et qu’Haziza colle aussitôt cette étiquette à Alain Soral, voilà qui en dit long. Cela nous dit que l’anti-yahvisme fait mouche, tape dans le mille. L’anti-yahvisme s’attaque au dieu d’Israël, c’est-à-dire à l’essence d’Israël. C’est donc la seule critique ultime et définitive d’Israël.
Son inconvénient est qu’il irrite les catholiques. Mais étant donné que la critique d’Israël est à mes yeux la cause prioritaire, et que l’anti-yahvisme me semble être pour cela un moyen bien plus efficace que le christianisme (avec sa thèse du « peuple élu mais déchu »), je continuerai à faire de l’anti-yahvisme du mieux que je pourrai, en tout cas jusqu’au jour où l’anti-yahvisme sera condamné par la loi. Le risque d’être, en tant qu’anti-yahviste déclaré, traité d’antisémite, ne m’inquiète pas trop. En 2018, j’ai été suspendu de mon poste de professeur d’anglais à l’Éducation nationale à la suite d’un rapport de mon rectorat dont voici la conclusion :
« Il apparaît de l’étude de la production de Laurent Guyénot [que] cette production est fortement marquée idéologiquement. Laurent Guyénot est et revendique être antisémite, complotiste, soralien donc négationniste et qu’il constitue, de fait, un grave danger pour l’intégrité des élèves qui lui sont confiés puisqu’il diffuse dans ses classes son matériel de propagande. »
Avec ça, je suis immunisé.
L’anti-yahvisme n’est pas seulement la seule critique radicale (qui s’attaque à la racine, radix) d’Israël. C’est aussi la seule critique bienveillante, car elle vise à libérer les juifs de l’emprise du dieu sociopathe qui les terrorise.
L’anti-yahvisme au secours des juifs
Dans un article récent, « Yahvé, le dieu terroriste », j’ai rappelé que Yahvé veut répandre la terreur d’Israël parmi les goyim (Deutéronome 2:25). Mais avant de terroriser les goyim, Yahvé terrorise les Israélites eux-mêmes :
« Et si malgré cela vous ne m’écoutez pas que vous vous opposiez à moi, je m’opposerai à vous avec fureur, je vous châtierai, moi, au septuple pour vos péchés. Vous mangerez la chair de vos fils et vous mangerez la chair de vos filles. Je détruirai vos sanctuaires, j’anéantirai vos autels à encens, j’entasserai vos cadavres sur les cadavres de vos idoles et je vous rejetterai. […] Je dégainerai contre vous l’épée pour faire de votre pays un désert et de vos villes une ruine. » (Lévitique 26:27-32)
L’obéissance que réclame Yahvé concerne toujours la séparation d’avec les goyim, et par-dessus tout le commandement absolu de la plus stricte endogamie.
« Si ton frère, fils de ton père ou fils de ta mère, ton fils ou ta fille, ou l’épouse qui repose sur ton sein, ou ton ami le plus intime, essaie secrètement de te séduire en disant : « Allons servir d’autres dieux » […], tu le lapideras jusqu’à ce que mort s’ensuive, car il a cherché à t’égarer loin de Yahvé ton dieu […]. Tout Israël en l’apprenant sera saisi de crainte et cessera de pratiquer ce mal au milieu de toi. » (Deutéronome 13:7-12)
Le règne de la terreur de Yahvé repose sur le sacrifice des juifs assimilationnistes. Dans le Livre des Nombres, Phinéas, petit-fils d’Aaron, scandalisé par la vue d’un Israélite marié à une Madianite, « saisit une lance, suivit l’Israélite dans l’alcôve, et là il les transperça tous les deux, l’Israélite et la femme, en plein ventre » (la tradition rabbinique précise que la lance les traversa tous deux durant l’accouplement). Yahvé félicite Phinéas d’avoir eu « la même jalousie que moi » et, en récompense, lui donne « pour lui et pour sa descendance après lui, […] le sacerdoce à perpétuité » (Nombres 25:11-13). Méditons sur ce fait que, selon la Bible, le sacerdoce est donné à la lignée d’Aaron (les Kohenim) en récompense pour le double meurtre, par empalement, d’un Israélite assimilationniste et de sa femme non juive.
Ce que ces épisodes soulignent, c’est que l’autorité de Yahvé et de ses élites représentatives (c’est une seule et même chose) est fondée sur la violence et la terreur exercées contre les Israélites eux-mêmes. Les juifs qui se socialisent avec leurs voisins non juifs, qui mangent avec eux et vont jusqu’à se marier avec eux, sont, selon l’idéologie biblique, des traîtres à Yahvé et à leur race, qui attirent sur leur communauté la colère de Yahvé et méritent d’être éliminés sans pitié. Leur extermination plaît à Yahvé et régénère le peuple.
La tyrannie lévitique
Qui est cette élite qui parle au nom de Yahvé pour maintenir le peuple israélite dans la terreur et l’obéissance ? Ce sont les Lévites. Les Lévites sont les gardiens du culte de Yahvé. Selon la Bible, ils n’ont pas de territoire comme les autres tribus, mais vivent dispersés dans les cités, entretenus par la dime et exerçant sur tous les Israélites un pouvoir religieux, administratif et politique. Dans un livre récent (The Exodus, HarperOne, 2017), le bibliste Richard Elliott Friedman a développé une théorie intéressante et convaincante sur l’origine des Lévites [1].
Friedman reprend une théorie déjà bien connue et largement acceptée, selon laquelle les Lévites ne désignent pas initialement une tribu, et que leur ancêtre éponyme (Lévi) est une invention secondaire. Friedman fait ensuite remarquer que, parmi tous les protagonistes israélites de l’histoire biblique, seuls les Lévites ont des noms égyptiens (Moïse, Aaron, Myriam, Phinéas, etc.). De plus, parmi les sources les plus anciennes de la Bible, seules les textes produits par les Lévites évoquent l’Exode, et montrent une certaine connaissance de l’Égypte. De ces indices et de beaucoup d’autres, Friedman conclut que les Lévites constituent un groupe venu d’Égypte. Le manque de trace archéologique de l’Exode s’explique par cette hypothèse que seuls les Lévites ont connu l’exode d’Égypte à Canaan en passant par Madian, tandis que les tribus israélites sont indigènes en Palestine (ce que les archéologues tendent à croire également).
Ce sont les Lévites qui ont introduit le culte de Yahvé parmi les Israélites, lesquels connaissaient le dieu suprême, appelé simplement El, soit « Dieu » (parfois Elohim, soit « les dieux »). La fusion entre El (Dieu) et Yahvé (le dieu d’Israël), aux conséquences incommensurables, est scénarisée dans le récit sacerdotal (source E) de la révélation du Sinaï, lorsque le Créateur, qui n’a été jusque-là désigné que comme El ou Elohim, révèle son vrai nom à Moïse.
Les Lévites sont les maîtres du pouvoir religieux. Mais dans certains épisodes évoqués plus haut, ils apparaissent comme la garde rapprochée et la police de Moïse, prompte à massacrer ses ennemis. Ils constituent la caste dominante qui maîtrisent à la fois le pouvoir sacerdotal et le pouvoir militaire (le soft et le hard power).
Les sources indiquent, selon Friedman, que ce sont les Lévites qui ont introduit en Israël l’obligation de la circoncision des nourrissons au huitième jour. J’ai présenté, dans un article intitulé « Le Saigneur des prépuces », la démonstration que ce rite est venu remplacer une pratique antérieure du sacrifice du premier-né au huitième jour, dont la trace subsiste en Exode 22:28-29, Ézéchiel 20:25-26 et Jérémie 7:30-31. Ces sacrifices étaient faits au nom de Yahvé et dans son sanctuaire (Lévitique 20:2-5), le dieu Molek ou Melek dont il est question dans certains passages n’étant à l’origine qu’un attribut de Yahvé, qui signifie « roi » et est appliqué plus de cinquante fois à Yahvé.
La circoncision au huitième jour est un rite traumatique qui imprime dans chaque garçon juif la terreur subconsciente de Yahvé-Melek. Vue sous cet angle, la métaphore de la « circoncision du cœur » (Lévitique 26:41 ; Deutéronome 10:16 ; 30:6) prend un sens particulier. C’est par la circoncision que Yahvé, le dieu de la terreur, tient les juifs.
En conclusion de tout cela, on comprend que l’anti-yahvisme n’est pas, ne peut pas être un antisémitisme ; c’est au contraire un philosémitisme radical.
Laurent Guyénot
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Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation