S’il serait difficile de surestimer l’importance de l’opération lancée par le Hamas et les factions de la Résistance palestinienne le 7 octobre, qui a annihilé à jamais le prestige de l’armée israélienne, les frappes lancées par l’Iran dans la nuit du 13 au 14 avril sont, elles aussi, véritablement historiques, et peut-être plus significantes encore. Pour la première fois, la colonne vertébrale et seul Etat à proprement parler de l’Axe de la Résistance a ciblé directement Israël depuis son territoire, lançant l’attaque de missiles la plus massive jamais enregistrée contre Israël, et la plus grande attaque de drones de l’histoire. Nous sommes entrés dans une toute nouvelle phase du conflit israélo-arabe (et israélo-persan), et il s’agit de la dernière, toutes les digues ayant maintenant cédé et de nouvelles équations ayant été établies.
Voici les principaux succès réalisés par cette attaque sans précédent :
- la capacité de dissuasion d’Israël n’existe plus : depuis le 7 octobre, le Hamas, le Hezbollah, AnsarAllah et la Résistance irakienne l’avaient fait voler en éclats, mais il s’agissait de mouvements de Résistance, et non d’un État qui a bien plus à perdre ; et cette action directe de la part de l’Iran est d’autant plus significative qu’Israël menace depuis des décennies de bombarder l’Iran sans avoir jamais osé le faire, alors que la République islamique a très rapidement mis ses menaces à exécution ;
- l’Iran a lancé sa frappe malgré les menaces américaines et occidentales, démontrant un courage sans égal et une disposition à entrer dans une guerre régionale, et allant jusqu’à menacer à son tour les Etats-Unis et leurs vassaux arabes dans la région de frappes directes en cas de complicité avec une réponse d’Israël : cette audace a déjoué le bluff de l’administration Biden, qui a déclaré officiellement qu’elle ne soutiendrait pas une riposte israélienne dont elle se désolidarisait par avance ;
- la prouesse militaire de l’Iran a été démontrée sans appel : malgré le fait que cette attaque était annoncée à l’avance, et que les capacité, l’aviation et/ou les défenses anti-aériennes de pas moins de 5 puissances assistaient directement Israël (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Arabie Saoudite et Jordanie, et peut-être même l’Egypte), les systèmes anti-missiles d’Israël ont été saturés, les sirènes ont retenti par centaines du nord au sud et de dix à vingt impacts directs ont été enregistrés ;
- l’Iran a également démontré sa supériorité morale : elle a strictement appliqué l’article 51 de la Charte des Nations Unies qui autorise l’usage de la force en cas de légitime défense, n’a ciblé que des cibles militaires —trois bases aériennes qui ont été détruites selon le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (CGRI), et endommagées selon Israël—, et a averti de sa frappe à l’avance, ce qui a permis aux pays avoisinants de fermer leur espace aérien, protégeant ainsi les lignes commerciales qu’Israël mettait en danger depuis des jours en brouillant massivement les signaux GPS dans toute la région ;
- comme l’a souligné Marwa Osman, l’échec des 5 couches de défense israéliennes a été compensé par une 6e couche de défense médiatique, les journalistes répétant à qui mieux mieux qu’Israël et ses alliés ont pu intercepter 99% des projectiles : au vu des impacts recensés, cela signifierait que l’Iran a tiré 1 000 à 2 000 drones et missiles, alors qu’aucune donnée n’en 6/évoque plus de 500 ; il s’agit évidemment de sauver la face d’Israël et de lui permettre de revendiquer un succès illusoire, censé justifier l’absence de riposte contre l’Iran, et préserver le mythe de sa supériorité.
« Ceux qui profèrent des menaces auraient dû se rendre compte que les menaces ou les attaques contre l’Iran — au sens d’attaques ponctuelles impunies — ne sont plus possibles. Ceux qui nous envahissent devront subir les conséquences dévastatrices de leurs actes », avait déclaré Sayed Ali Khamenei, le Guide Suprême de la République islamique d’Iran en 2007. Si ce propos a longtemps été raillé depuis, en particulier au regard des nombreuses attaques israéliennes en Syrie contre des bases iraniennes qui ont couté la vie à de nombreux membres du Corps des Gardiens de la Révolution (CGRI), plus personne ne doute aujourd’hui du sérieux de cette affirmation : lorsque son territoire est touché, comme cela a été le cas avec la frappe israélienne flagrante contre son consulat à Damas, l’agresseur est frappé directement. Et dorénavant, comme l’a affirmé Hossein Salami, le Commandant en chef du CGRI, toute attaque ouverte contre des intérêts iraniens sera rétribuée de la même manière : « Nous avons établi une nouvelle équation avec l’entité sioniste, répondant directement depuis le territoire iranien à toute agression de sa part contre les intérêts, les biens, les personnalités et les citoyens iraniens dans toutes les régions du monde. Nous avons ouvert un nouveau chapitre dans la confrontation avec l’ennemi. » Il s’agit d’un bouleversement considérable.
Ceux qui minimisent l’importance de l’attaque iranienne en méconnaissent la portée politique et stratégique sur le long terme, conforme à la conception de l’Iran, partagée par tout l’Axe de la Résistance, de la forme, de l’amplitude et de la temporalité que doit prendre la lutte contre Israël. Comme le souligne Fadi Quran,
l’ampleur de l’attaque iranienne, la diversité des lieux ciblés et les armes utilisées ont forcé Israël à découvrir la majorité des technologies antimissiles dont les États-Unis et eux disposent dans la région. Les Iraniens n’ont utilisé aucune arme qu’Israël ne savait pas qu’ils possédaient, ils en ont simplement utilisé un grand nombre. Mais les Iraniens ont probablement maintenant une carte presque complète de ce à quoi ressemble le système de défense antimissile israélien, ainsi que des endroits en Jordanie et dans le Golfe où les États-Unis ont de telles installations. L’Iran sait aussi combien de temps il faut pour les préparer, comment la société israélienne réagit… etc. Cela représente un coût stratégique énorme pour Israël, alors que les régimes arabes sont aujourd’hui conspués par leurs peuples, en particulier la monarchie jordanienne, pour ne rien avoir fait pour protéger les habitants de Gaza, mais pour avoir ensuite tout mis en œuvre pour protéger Israël. Surtout, l’Iran peut désormais procéder à l’ingénierie inverse de toutes les informations recueillies lors de cette attaque pour en rendre crédible une autre beaucoup plus meurtrière. Tandis que les États-Unis et Israël devront repenser leur modèle actuel, qui a été compromis. Parvenir à stopper cette attaque chorégraphiée reste donc très coûteux.
Si Israël s’est révélé à peine capable de se défendre (à un prix exorbitant dépassant le milliard de dollars) face à une attaque somme toute limitée et qui ne bénéficiait pas de l’élément de surprise, il ne fait plus aucun doute pour quiconque qu’en cas de guerre régionale, ses capacités de défense seraient rapidement saturées, de sorte que son territoire serait dévasté et sa population décimée. La population israélienne en a aujourd’hui clairement conscience.
Pour sa part, le peuple palestinien, lâchement abandonné par le monde entier, et le monde arabe en particulier, a pu bénéficier d’un court répit, Gaza ayant connu ses premières heures de calme depuis le 7 octobre, et a pu laisser éclater sa joie en voyant les images inoubliables des missiles iraniens survoler la Knesset et la mosquée d’Al-Aqsa avant de frapper le cœur de l’entité sioniste. Tout comme le choc psychologique du 7 octobre, celui de la nuit du 13 ou 14 avril est gravé à jamais dans les consciences, et galvanisera la Résistance tout en accélérant le processus de « remigration » des colons israéliens qui ont vécu une nuit de terreur et de cauchemar, et sont désormais convaincus que leur armée est incapable de les protéger. Le mythe du « pays du lait et du miel » a disparu à jamais, remplacé par une promesse inavouée « de sang, de labeur, de larmes et de sueur », sans aucune perspective de victoire.
Par l’acte insensé qu’a constitué l’attaque contre le consulat iranien à Damas, Netanyahou a voulu fuir la réalité inéluctable de l’échec militaire cuisant de l’armée d’occupation, malgré 6 mois de génocide et de destruction indicibles, et redonner une illusion de puissance à Israël. Le résultat est tout le contraire de celui escompté, Israël paraissant plus faible et plus isolé que jamais, ses parrains occidentaux étant discrédités sans retour possible, et Biden ayant déjà virtuellement perdu les prochaines élections du fait de son refus de mettre fin aux massacres à Gaza. Comme l’avait annoncé Hassan Nasrallah, Israël n’a désormais qu’une alternative : mettre fin à la guerre ou poursuivre une escalade suicidaire qui embrasera la région. Les Etats-Unis ont clairement annoncé leur volonté de calmer les tensions et de voir un cessez-le-feu conclu, même si le flot incessant d’armes et d’argent ne semble pas prêt de se tarir. La question est maintenant de savoir ce qui, chez Netanyahou, l’emportera entre son instinct de conservation personnel (sa survie politique, dont l’arrêt de la guerre signera l’arrêt de mort) et son instinct de conservation collectif, l’avenir même d’Israël étant en jeu.
Le Cri des Peuples
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