L’auteur est constitutionnaliste
Allocution prononcée lors d’un Souper-débat du Mouvement Démocratie Souveraineté
Bonsoir,
Je commence par vous dire une phrase toute simple. Je passerai le reste de ma communication à l’expliquer. Cette phrase est la suivante.
La République du Québec est une valeur ajoutée pour le Québec et pour le monde.
Il est consternant pour moi de me rendre compte que je ne crois pas que le Parti Québécois aurait accepté d’assumer cette phrase en 1980 ni en 1995.
Je ne suis pas certain qu’il l’assumerait aujourd’hui.
Je vous dirai ensuite une autre phrase qui risque de surprendre. Elle a pour but de faire réfléchir. Cette seconde phrase est la suivante.
Le mouvement souverainiste actuel a échoué jusqu’ici parce qu’il n’est pas entièrement décolonisé puisqu’il n’a pas intériorisé l’idée de la république.
J’ajoute que je crois fermement que l’intériorisation de l’idée de la république permettra un authentique nouveau départ pour le peuple québécois à l’occasion de son passage à la souveraineté. À mes yeux, l’idée de république dans le contexte historique qui est le nôtre est la condition de la réussite de notre indépendance, comme ce fut celle de la fondation d’un État indépendant en Irlande et aux États-Unis et d’un profond renouvellement de l’État en France.
Ce que ces trois grandes réussites proches de nous ont en commun est le rejet catégorique des institutions constitutionnelles britanniques qui nous ont été imposées et que nous n’avons jamais choisies. Nous devons imiter ces grands modèles occidentaux inspirants, à notre manière, selon notre propre identité collective. Bref, les souverainistes doivent sortir du provincialisme constitutionnel qui les définit et les affaiblit.
Je poursuis en citant la professeure Letocha dans un texte court mais remarquable publié par l’Action nationale en 2020 :
« Donc, les intellectuels souverainistes devraient porter un intérêt soutenu à la république comme dernière chance. Car l’ordre républicain investit les citoyens d’une responsabilité et d’une force légitime dynamique. Pour les intellectuels souverainistes, il est urgent de le démontrer et de le montrer. » (J’ai souligné.)
Le mouvement souverainiste actuel s’est privé de cette force légitime dynamique. Ce fut une profonde erreur historique qu’heureusement il a encore la possibilité de corriger. Ce n’est qu’ainsi que ce mouvement pourra passer à sa maturité, qui sera le gage essentiel de son succès. L’idée de république doit être vue comme un approfondissement et un renforcement considérable de l’idée de souveraineté. Elles sont complémentaires et l’une soutient l’autre. Elles ne sont pas indissociables puisqu’on peut imaginer une république du Canada ou une république du Québec à l’intérieur du Canada. Elles ne donneront cependant pas, ni l’une ni l’autre, leur pleine mesure positive sans être liées.
Au début de son texte, la professeure Letocha a mis en exergue une phrase de mon ami Marc Chevrier, qui a, comme elle l’écrit, inauguré le rafraîchissement de la pensée indépendantiste autour de l’idée de la république. Les mots qu’elle cite de Chevrier sont les suivants :
« Même les indépendantistes québécois, dont on pourrait croire qu’ils ne rêvent qu’à la fondation d’une République du Québec, ont préféré, pour des raisons qu’il reste à élucider, parler de souveraineté ou d’État du Québec, sans trop s’interroger sur la nature du régime du pays nouveau. »
Notre mouvement souverainiste actuel, apparu vers 1960, est bien sûr le second de notre histoire. Le premier a vu le jour dans la première moitié du 19e siècle. Il a été réprimé dans le sang par l’occupant britannique.
Avec respect pour l’opinion contraire, j’affirme que le second mouvement souverainiste n’a pas encore atteint la grandeur du premier. Nous ne nous sommes pas encore hissés au niveau de conscience politique et historique des Patriotes. Ils avaient à mon avis une largeur de vue et une compréhension profonde du monde de leur temps qui dépasse la nôtre aujourd’hui. Ils savaient que nous ne réussirons pas notre indépendance si nous ne sommes pas aussi fermement et fièrement républicains que les Américains, dont ils avaient l’exemple réussi sous les yeux, ou les Sud-Américains, qui venaient de créer de nombreuses républiques sous l’impulsion de Bolivar en se détachant de l’empire espagnol[1]. Ils savaient aussi que les Français aspiraient à la mise en place définitive de la république, qui avait été entrevue en 1789, mais qui était alors temporairement éclipsée, un terme qui est dans l’air du temps aujourd’hui. Ils savaient enfin que le peuple irlandais venait de se donner le rêve de la république qui allait devenir une réalité dans la première moitié du 20e siècle.
Notre mouvement souverainiste n’est pas québéco-québécois. Il s’inscrit dans l’histoire occidentale des idées politiques et dans un contexte international particulier, comme tous les temps forts de notre histoire depuis Jacques Cartier. L’une des manifestations de notre provincialisme constitutionnel est notre tendance invétérée, compréhensible mais nocive, de nous penser en vase clos ou en silo. En réalité, malgré l’abandon de Louis XV, nous n’avons jamais été coupés du monde. Il nous a toujours transformés. Ce qui est nouveau, c’est que nous pouvons contribuer à le transformer aussi. Notre excellence individuelle, qui s’exprime de tant de façons et dans de multiples dimensions de notre société et du monde, peut se muer en une excellence collective à un moment critique de l’histoire de l’humanité. Nous nous sommes tellement sous-estimés, ce qui ne peut s’expliquer que par le rapport de domination que nous avons subis depuis la Conquête, qui a été réaffirmé en 1982 et que les Patriotes n’ont pas vécu aussi longtemps. L’idée de république est là pour restaurer notre dignité.
Comprenez-moi bien. J’ai la plus grande admiration pour l’œuvre de Lévesque, de Parizeau et de Landry. Ils nous ont pointé la bonne direction, qui est pour moi lumineuse et la seule qui soit digne de notre peuple. Je n’ai jamais rencontré René Lévesque, mais il m’a donné le rêve irréversible de mes vingt ans qui m’anime toujours aujourd’hui. J’ai rencontré, mais je n’ai pas connu Jacques Parizeau, qui m’a donné la volonté d’aller jusqu’au bout contre vents et marées. J’ai rencontré Bernard Landry lorsqu’il était premier ministre et je l’ai connu après son retrait de la vie politique. Il a confirmé mon penchant pour la cause autochtone, mon désir de la voir comme un enrichissement et non une menace pour le Québec, ainsi qu’une composante singulière et centrale de son identité, tout en sachant que c’est là un autre combat qui me tient à cœur et que je dois parfois mener contre d’autres souverainistes. J’ai juré devant le cercueil de Landry à la basilique Notre-Dame et devant sa conjointe de continuer le combat pour la souveraineté jusqu’à la fin de mes jours au meilleur de mes capacités. Je ne le ferai toutefois jamais plus dans un cadre partisan parce que, s’il faut que des partis soient porteurs des idées de souveraineté et de république pour les réaliser, elles sont par nature transpartisanes et se concrétisent le plus souvent à la suite de contributions intellectuelles qui le sont tout autant.
Cela dit, ce n’est pas trahir la mémoire de ces grands personnages de notre histoire que de dire que nous pouvons aller plus loin. Au contraire, c’est leur faire honneur, car ils nous ont tous dit que c’est ce que nous devions faire. Le Parti Québécois qu’ils ont dirigé n’osait pas parler de république. Il est normal de reporter certains débats importants après l’accession à la souveraineté lorsque nous serons entre nous dans une société affranchie de la domination canadienne. Il n’est pas normal, par contre, d’affaiblir la cause que l’on prétend défendre en refusant de l’approfondir, de la raffermir et de la développer. Le projet de souveraineté du PQ a manqué de consistance et de profondeur. À certains égards, il est demeuré superficiel à mes yeux. Nous avons à peine commencé à examiner ce que l’idée de république peut nous apporter.
Le débat sur l’abolition de la monarchie canado-britannique n’est qu’un amuse-gueule. La réflexion sur les moyens de l’abolir en droit canadien n’est qu’une entrée en matière. Constater que le rejet de la monarchie fait le large consensus au Québec que l’on souhaiterait pour la souveraineté, si large que l’abolition du serment au roi des députés de l’Assemblée nationale n’a pas été contestée devant les tribunaux alors qu’elle aurait pu l’être avec succès, n’est qu’un élément préliminaire de ce qui doit maintenant être accompli.
Je crois qu’une constitution autonomiste du Québec aurait dû être adoptée depuis très longtemps, comme le préconisait le professeur Jacques-Yvan Morin. Je crois que cette constitution, même adoptée dans le cadre canadien, pourrait fort bien unilatéralement abolir la monarchie aux fins du droit québécois comme la langue française est la seule officielle au Québec, et ce quoi qu’en dise la constitution illégitime du Canada. Aucun gouvernement canadien n’osera affronter directement un consensus québécois aussi étendu, parce que ce serait provoquer lui-même la remise en question du Canada.
Un gouvernement du Parti Québécois formé en 2026 serait bien avisé d’adopter une telle constitution autonomiste, dite interne quoique toutes les constitutions le sont, qui sera un marchepied vers la constitution d’un pays souverain. Ce gouvernement pourrait ainsi fort bien proclamer la république du Québec avant le passage à la souveraineté plutôt que d’attendre ce dernier, afin d’utiliser pleinement le puissant pouvoir pédagogique, mobilisateur et rassembleur de l’idée d’une république éclairée.
Certains, dont je ne suis pas, peuvent à bon droit conserver un respect pour les institutions britanniques que nous avons adaptées, qui nous ont relativement bien servis et qui nous ont donné l’habitude de la familiarité. J’estime au contraire que l’Irlande, la France et les États-Unis ont dépassé les importantes réalisations britanniques dans la conception de la structure d’un État. Je crois à une présidence exécutive forte sous le contrôle d’un parlement comme dans la Cinquième République du général de Gaulle ou la constitution américaine en vigueur depuis plus de 200 ans. Mais là n’est pas l’essentiel.
On peut aussi penser que le Québec souverain devrait continuer à faire partie du Commonwealth, parce que cela serait utile sur le plan diplomatique. Je n’y vois aucune contradiction parce que les trois quarts des membres de cette institution internationale sont maintenant des républiques, ce qui correspond d’ailleurs à la proportion des républiques dans le monde; c’était d’ailleurs le contraire en 1900. Il faudrait tout au plus reconnaître que le roi britannique est le chef du Commonwealth, une fonction créée au milieu du 20e siècle lorsque l’Inde est devenue une république. Ce poste n’est même pas héréditaire, ce qui permet d’entrevoir la possibilité intrigante qu’un Québécois ou une Québécoise puisse l’occuper un jour. Là non plus n’est pas l’essentiel.
L’essentiel est que la république établit une relation organique et directe entre l’État et la nation. Ici, nous entrons enfin dans le vif du sujet. La république signifie que l’État appartient à la nation et parle en son nom. Attention, cela ne signifie pas nécessairement que la république est une démocratie, comme le démontrent les exemples de la Russie et de la Chine. La fibre démocratique est maintenant si profondément inscrite dans la culture politique québécoise que je n’ai aucune inquiétude de ce côté, mais les événements des dernières années au sud de notre frontière m’inclinent à un sain réalisme et me porteront à rechercher des garanties démocratiques dans notre constitution, de même qu’une procédure de destitution d’un éventuel Trump québécois qu’on ne souhaite jamais voir, mais contre lequel on doit se prémunir. La naïveté et l’angélisme ne sont pas de bons rédacteurs des constitutions. Donald Trump est un républicain dans tous les sens du terme qui se croit au-dessus des lois. Cela fait partie du contexte international contemporain dont nous devons tenir compte. La république du Québec devra être fermement ancrée dans le principe de la primauté du droit, un des principaux acquis de notre civilisation, ce qui suppose l’existence continue de tribunaux indépendants et d’autres contre-pouvoirs qui s’imposeront au nom de valeurs supérieures, supérieures même à une majorité démocratique du moment, car celle-ci, puisqu’elle est humaine, ne sera jamais infaillible.
La nation ne doit jamais être confondue avec un parti politique ou la volonté d’un individu charismatique. Elle ne doit pas même être confondue avec la génération existante qui ne fait que l’incarner passagèrement. La nation comprend toutes les générations passées, présentes et futures ainsi que leur désir de se perpétuer et de contribuer à l’évolution du monde à leur façon. Pour maintenir ce noble héritage et le consolider dans une république avancée, la démocratie doit être assortie de garde-fous qui garantissent son existence ainsi que d’autres valeurs fondamentales, telles que la liberté et l’épanouissement de chaque personne ou la préservation de l’environnement naturel.
La république signifie aussi un juste équilibre entre les droits et les responsabilités des citoyens. Sans verser dans le militarisme qui nous est étranger, il sera légitime et souhaitable de demander à chaque jeune femme et chaque jeune homme du Québec de consacrer une année ou deux de son existence à une forme de devoir civique. Il ou elle pourra choisir entre plusieurs options : le service militaire ou de maintien de la paix au Québec ou à l’étranger, la lutte contre la pauvreté ou pour l’environnement, la solidarité envers les Autochtones ou toute autre cause sociale digne de ce nom. L’important est que chaque génération apprenne à développer un sentiment d’appartenance à la nation et au monde, et une prise de conscience que certaines valeurs sont plus élevées que les simples droits individuels. La république permettra de redécouvrir la valeur et la noblesse des idéaux de la vie sociale et de nos liens collectifs.
Il sera important que la démocratie dans un pays souverain nous permette pour la première fois de notre histoire de nous donner le chef d’État et la constitution de notre choix. Les premiers ministres dans le régime actuel ne sont pas des chefs d’État quoi qu’on pense. Ils sont les chefs du gouvernement de Sa Majesté. Ils sont légalement les premiers conseillers du roi, qui détient en principe le pouvoir souverain ultime dans le royaume du Canada. Tel est le fondement suranné et désuet de notre droit constitutionnel actuel. La souveraineté du peuple est la notion républicaine par excellence. Elle n’est jamais apparue dans nos diverses constitutions, qui ont plutôt maintenu la coexistence de l’antique souveraineté du roi et celle plus tardive du parlement.
La république signifie que le peuple s’appartient. Il n’est pas soumis à une dynastie monarchique qui détient le pouvoir absolu, comme il en existe toujours au Maroc ou en Arabie saoudite, ni à une classe sociale ni même à un parlement qui est composé de ses délégués. Le référendum pourra être institutionnalisé et utilisé fréquemment comme en Suisse afin de rappeler la souveraineté populaire périodiquement, sans remettre en cause les valeurs fondamentales de la république, qui ne pourront être modifiées que par une procédure plus exigeante.
La république est incompatible avec la monarchie constitutionnelle, même si celle-ci est compatible avec la démocratie. La monarchie constitutionnelle que nous connaissons présente l’avantage d’être soumise à la loi. Ceci assure une stabilité de l’État à condition d’incarner l’identité nationale, ce qui a été le cas au Royaume-Uni ou certains États européens, mais ce qui n’a jamais été la réalité au Québec.
Il existe enfin une autre singularité québécoise très importante à laquelle l’idée de république devra être confrontée afin de la faire grandir. Les marins français du 16e siècle et les colons du 17e n’ont pas débarqué sur une terre inhabitée, même si le droit international de l’époque, plus primitif et moins civilisé, affirmait qu’il s’agissait d’une terra nullius et ignorait la souveraineté de ses habitants qui vivaient en république naturelle. Cette doctrine de la découverte, issue d’une bulle papale émise en 1493, un an après le premier voyage de Christophe Colomb, par un souverain pontife membre de la famille criminelle des Borgia au service du roi d’Espagne, n’a été répudiée par le Canada qu’en 2021[2]. Elle demeure néanmoins le fondement juridique de son existence. Pour justifier sa propre existence et inspirer l’humanité, la république du Québec devra se donner un autre fondement juridique, moralement plus élevé et plus conforme à la conscience de notre temps. Je ne serais pas souverainiste si je n’étais pas profondément convaincu que nous puissions le faire.
Les Autochtones avaient une relation intime et profonde avec leur territoire ancestral que nous ne connaîtrons jamais et, pour eux, la découverte de l’Amérique était une invasion étrangère. Il me plaît de souligner que le Québec a été une terre d’une ancienne culture asiatique pendant des millénaires avant d’être de culture européenne. Nos premiers peuples ont conservé certaines pratiques culturelles et spirituelles prébouddhistes qui font écho à celles de leurs origines en Asie du Nord-Est jusqu’au lointain Tibet[3]. Ici, deux branches de l’humanité depuis fort longtemps séparées se sont retrouvées. Toutes deux étaient composées d’immigrants puisque leur origine commune était le continent africain. Il est absurde et négatif à mes yeux de voir notre histoire autrement. L’ethnocentrisme n’a pour moi aucune utilité.
Le droit international du 21e siècle confère aux premiers occupants de notre territoire partagé un droit à une autonomie substantielle, qui s’imposera tout autant à la république du Québec qu’à la province actuelle. Ce droit à l’autonomie, qui ne va clairement pas jusqu’à permettre la remise en question de l’intégrité d’un État souverain, comprend des droits sur le territoire qui ne sont pas distribués uniformément dans l’ensemble du Québec, puisque l’occupation autochtone est variable. Ils incluent certainement un partage équitable des revenus découlant du développement des ressources naturelles, afin que nos onze Premières Nations deviennent des acteurs économiques et politiques majeurs dans leurs régions respectives. J’associe étroitement la question autochtone à celle d’une véritable décentralisation régionale. Le modèle à suivre est celui de la Convention de la Baie James et de ses nombreuses modifications, dont la Paix des Braves de 2001. Les Montréalais que nous sommes ne savent généralement pas que cette convention recouvre les deux tiers du territoire du Québec (un million de kilomètres carrés sur un million et demi) et lie trois des Premières Nations reconnues par René Lévesque dans son dernier héritage majeur en 1985. Le défi est de conclure des traités avec les huit autres, en premier lieu selon moi avec les Innus de la Côte-Nord et du lac Saint-Jean, la principale nation autochtone francophone dont les contributions significatives à notre société ne se comptent plus. La république du Québec devra s’appuyer sur ces traités, qui pourront être complétés par une nouvelle chambre haute du parlement du Québec, appelée Chambre des premiers peuples et des régions, que j’ai évoquée ailleurs[4]. Je suis optimiste sur ce plan, car nous avons déjà innové avec succès dans nos relations avec certains peuples autochtones quand il le fallait.
Plusieurs souverainistes récusent la pertinence ou la nécessité de reconduire les droits autochtones reconnus au Canada. Ils comprennent mal que le Canada se conforme ainsi, après avoir résisté, au nouveau droit international. Ils soulignent que les Autochtones ne sont que 3% de la population, ce qui est une vision bien montréalaise qui révèle une profonde méconnaissance de la question et des réalités régionales. En réalité, les Autochtones sont majoritaires sur la plus grande partie de notre territoire et sont une minorité importante dans des régions vitales pour l’économie du Québec. Il n’est ni sérieux ni réaliste d’ignorer leurs droits. Qui plus est, un Québec souverain qui ne les respecterait pas aurait de la difficulté à se faire reconnaître.
Nos souverainistes conservateurs ont gardé une vision de la souveraineté qui date du 20e siècle. Elle est rétrograde et dépassée au 21e. Elle est dangereuse pour leur propre cause. Ils se plaignent que la jeunesse n’est plus au rendez-vous. Le constat qui leur reste à faire est très simple. Notre jeunesse ne veut pas vivre dans un nouveau pays colonisateur. Je perçois que les nouvelles générations de Québécois ne veulent pas être les nouveaux maîtres des peuples autochtones. Il faut leur en être reconnaissants car ils ont en cette matière un sens aigu de la justice et de la solidarité qui doit entourer les relations entre les onze Premières Nations et la nation québécoise. Notre nation, la douzième (la treizième si l’on compte le peuple métis, qui est reconnu dans d’autres provinces, mais pas encore au Québec), a une responsabilité particulière envers les autres parce qu’elle est la seule capable de créer un État moderne viable. Il ne faudra toutefois pas oublier qu’il y aura une douzaine de républiques autonomes au Québec, quoiqu’une seule sera pleinement souveraine au regard du droit international. La souveraineté interne sera à certains égards partagée. Il faudra que notre constitution républicaine invente la notion de cosouveraineté avec nos peuples autochtones. Il faudra qu’après bientôt cinq siècles nous rattrapions enfin la vision qui a toujours été la leur. Ils nous ont longtemps attendus. Cela ne fera qu’approfondir notre commune humanité.
Ou bien la république du Québec sera visionnaire et étonnera le monde, ou bien elle mourra avant de naître parce qu’elle ne méritera pas de vivre. Le Québec ne peut échapper à ses difficultés que par le haut. En cette matière incontournable pour notre avenir collectif et humain, il n’y aura aucune place pour l’étroitesse de vue. Nous n’aurons pas le luxe de la médiocrité. Nous sommes condamnés à choisir entre le dépassement vers l’universel ou la disparition autocentrée. L’une demandera plus d’efforts que l’autre.
Pour ma part, je crois comme Vigneault que mon père a fait bâtir maison dans un pays où tous les humains sont de ma race.
Je vous remercie.
[1] Simon Bolivar (1783-1830) a profité de l’affaiblissement de l’Espagne dans sa guerre contre Napoléon pour participer de manière décisive à l’indépendance de la Bolivie, de la Colombie, de l’Équateur, du Panama, du Pérou et du Venezuela. Bolívar participa également à la création de la Grande Colombie, dont il souhaitait qu’elle devînt partie d’une grande confédération politique et militaire regroupant l’ensemble de l’Amérique latine, et dont il fut le premier président.
Bolívar a mené 100 batailles, dont 79 furent décisives, et pendant ses campagnes, il a parcouru 70 000 kilomètres à cheval, soit dix fois plus qu’Hannibal, trois fois plus que Napoléon et deux fois plus qu’Alexandre le Grand. En tant que figure majeure de l’histoire universelle, il est aujourd’hui une icône politique et militaire dans de nombreux pays d’Amérique latine et du monde.
[2] Le pape Alexandre VI, dont le pontificat a duré de 1492 à 1503, aurait eu des mœurs si dissolues que ses appartements ont été interdits d’accès par ses successeurs. Sa bulle Inter Caetera partageait le Nouveau Monde entre l’Espagne et le Portugal. En apprenant la nouvelle, François 1er, roi de France, se serait insurgé en déclarant : « J’aimerais bien voir la clause du testament d’Adam qui m’exclut du partage du monde », ce qui a conduit à l’envoi de Jacques Cartier. Henry VIII, roi d’Angleterre, a ignoré la bulle et a rejeté l’autorité papale pour des motifs matrimoniaux. Le Canada a renoncé à la doctrine de la découverte fondée sur le concept de terra nullius dans le préambule de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, L.C. 2021, c. 14. Le paragraphe pertinent de ce préambule se lit ainsi : « que toutes les doctrines, politiques et pratiques qui reposent sur la supériorité de peuples ou d’individus — ou qui prônent celle-ci — en se fondant sur des différences d’ordre national, racial, religieux, ethnique ou culturel, y compris les doctrines de la découverte et de terra nullius, sont racistes, scientifiquement fausses, juridiquement sans valeur, moralement condamnables et socialement injustes; ». Pour sa part, le pape actuel, nommé aussi François 1er, a renoncé officiellement à la doctrine de la découverte tout de suite après sa visite au Canada en 2022, dont une rencontre à Québec avec des aînés spirituels innus non chrétiens, dont l’un des participants m’a décrit l’intensité.
[3] Par exemple, la réincarnation peut être considérée comme l’une des plus anciennes croyances spirituelles sur le territoire du Québec actuel, bien antérieure au christianisme. À l’arrivée des missionnaires français, les Innus auraient placé leurs morts dans des arbres pour que leurs esprits soient recyclés dans le soleil.
[4] André Binette, Les droits des peuples autochtones et l’indépendance du Québec, Les Carnets de L’aut’journal, no 17, 2017, 30 p.
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