Dans Accompagner l’écriture pour le théâtre (Leméac 2024), Élizabeth Bourget nous plonge avec bonheur au cœur du processus d’écriture pour le huitième art.
« Survenu au même moment que la démocratie, le théâtre ne se conçoit jamais en dehors de la société. Pensons à Molière et au classicisme français, Shakespeare sous le règne élisabéthain, aux pièces de Samuel Beckett en écho à la Seconde Guerre mondiale », explique la polyvalente femme de théâtre.
Notre rencontre se déroule dans les locaux de l’École nationale de théâtre du Canada (ENT), l’un des deux lieux de sa recherche avec le Centre des auteurs dramatiques (CEAD). La lumière blanche qui traverse la fenêtre de l’édifice de la rue Saint-Denis crée une atmosphère de recueillement.
Première diplômée du programme en écriture dramatique de l’École nationale de théâtre (1978), Élizabeth Bourget a signé des pièces dont Bernadette et Juliette ou la vie, c’est comme la vaisselle, c’est toujours à recommencer (1979), a adapté Le Comte de Monte-Cristo, d’Alexandre Dumas, traduit du russe Anton Tchekhov (La Mouette et La Cerisaie). Parmi ses engagements professionnels, elle fut responsable du programme d’écriture dramatique de l’ENT et conseillère dramaturgique au CEAD.
L’admiratrice des écrivaines Virginia Woolf et Françoise Loranger ainsi que de la comédienne Béatrice Picard (qui a joué sous plume Bonne fête, maman), a étudié avec comme professeurs, en plus de Jean-Claude Germain, Victor Lévy Beaulieu (ancien collaborateur à L’aut’journal, « enseignant d’une grande générosité ») et Michèle Lalonde. « L’effervescence de la création collective tirait à sa fin. De jeunes troupes cherchaient de nouvelles avenues à explorer. »
Publication nécessaire
Accompagner l’écriture pour le théâtre demeure d’une pertinence majeure. Malgré l’activité théâtrale abondante, peu d’ouvrages de vulgarisation ont été publiés, notamment sur le processus interne de l’écriture scénique. Nous entrons ainsi au cœur de deux institutions marquantes, « aux structures pionnières et à l’expertise unique » (ENT et CEAD) dont les spécificités n’avaient connu jusqu’ici qu’une diffusion restreinte.
Le théâtre québécois aurait atteint, aux dires de l’exégète au regard pétillant, une maturité perceptible par « une pluralité de formes, de langues et une vision du monde ». En plus de la richesse spécifique de sa langue singulière, « son travail de construction et sa singularité des formes » ont attiré l’attention.
Le livre se démarque par son style à la fois savant, chaleureux et accessible. Initialement une thèse -intervention à l’École supérieure de l’Université du Québec à Montréal, le propos s’avère clair avec ses références et exemples concrets, appuyé par plus d’une vingtaine d’entrevues. Y ont participé, entre autres, le défunt metteur en scène André Brassard, l’autrice Carole Fréchette (article précédemment publié dans L’aut’journal pour son superbe texte Ismène et dont le travail d’accompagnement est ici bien présent) et Paul Lefebvre, figure marquante au CEAD.
Genèse d’une dramaturgie nationale
C’est en 1965 que Jacques Duchesne, Roger Dumas, Robert Gauthier, Robert Gurik, Jean P. Morin et Denys Saint-Denis fondent le CEAD. Ils souhaitent « réunir des auteurs pour encourager et promouvoir l’écriture dramatique », encourager la production d’œuvres québécoises, les faire connaître, non seulement ici, mais à l’extérieur de nos frontières.
L’organisme compte aujourd’hui plus de 300 membres.
Jean-Claude Germain, alors critique de théâtre au Petit Journal et au Maclean, devient le premier secrétaire administratif de 1968 à 1971, avant d’amorcer sa prolifique carrière d’auteur dramatique. Au CEAD, la première lecture des Belles-Sœurs, de Michel Tremblay, « théâtre de libération » (Germain écrit deux préfaces pour ce classique contemporain), marque « l’acte de naissance d’une véritable dramaturgie québécoise ».
À sa fondation en 1960, l’ENT propose des formations en interprétation, production et scénographie. Le programme d’écriture s’intègre à l’institution seulement en 1975, à la suggestion de Jean-Claude Germain, premier professeur titulaire.
Sensible à la musicalité du texte, Elizabeth Bourget rappelle que pour Germain, un auteur-autrice doit « s’inscrire dans son temps, politique, économique, mais aussi dans son temps théâtral ». Pour celui qui a signé Un pays dont la devise est je m’oublie et L’École des rêves, le futur écrivain doit connaître les lieux théâtraux et leurs possibilités, tel « un artisan », au service d’une communauté « d’autrices ou d’auteurs de métier ».
Dans les années 1970, le théâtre québécois n’échappe pas au bouillonnement créatif qui secoue l’Occident, avec notamment les créations collectives (Jean-Claude Germain y joue un rôle actif, entre autres avec son approche de l’esthétisme économique) et la fin du règne de l’auteur comme figure dominatrice.
« L’influence du Québec a été importante alors qu’en Europe, existait encore le mythe de l’auteur inspiré. À l’ENT, le directeur de la section française, André Pagé, avait (comme d’autres) le désir d’affirmer l’identité québécoise et former des artistes habiles pour rendre sur scène un répertoire québécois. »
Tout au long de l’ouvrage, nous découvrons que l’accompagnement des dramaturges autant lors de la formation à l’ENT que par des ateliers au CEAD prend diverses formes. Certaines comme Elizabeth Bourget ont des expériences concrètes dans l’écriture dramatique alors que d’autres ont surtout un parcours académique plus théorique.
Bien outiller les artisanes et artisans
« Des outils entre des mains malveillantes ou inexpérimentées peuvent se révéler dangereux : on a besoin d’une pelle pour faire des transplantations dans un jardin, mais on peut s’en servir aussi pour tuer un homme », écrit-elle en spécifiant qu’il n’existe pas un modèle unique d’accompagnement.
Une journée de rencontres a eu lieu en janvier 2019 à l’École supérieure de théâtre de l’UQÀM. Le nom de l’activité, « pique-nique dramaturgique », s’inspire d’une œuvre majeure de la littérature québécoise (et féministe) : Le Pique-nique sur l’Acropole, de Louky Bersianik, où celle-ci critique avec virulence Le Banquet de Platon. « Je me suis tout de même réconciliée avec la pensée de Socrate », explique celle qui refuse un art conçu en vase clos.
De nombreux synonymes surgissent dans la recherche pour tenter de scruter la relation d’accompagnement : coach, entraineur, parrain-marraine, compagne-compagnon de route, mécanicien et même patenteux (allusion au regretté Robert Gravel). L’essayiste privilégie le mot copilote « malgré une possible confusion ». Devant la pluralité des approches entre auteurs-autrices et accompagnatrices-accompagnateurs exposées ici, doit toujours régner « un climat de confiance ».
Parmi les meilleurs passages d’Accompagner l’écriture, retenons celui où Élizabeth Bourget s’interroge à savoir si la personne accompagnatrice peut déterminer ce qui est permis ou non d’exprimer sur des enjeux polémiques. « Pour Paul Ricœur (philosophe français), il n’existe pas de récit éthiquement neutre. Le conseiller ou conseillère peut apporter un éclairage, mais c’est à l’autrice ou à l’auteur de trancher. Pour éviter de jouer le rôle de flic de sens (expression du metteur en scène français Antoine Vitez) ».
Malgré les théories diversifiées (la maïeutique associée à Socrate ou le maître ignorant du philosophe français Jacques Rancière, l’empathie plutôt que la compassion, le franc-parler en opposition à la flatterie) ou le défi pour les structures en place de s’adapter à l’écriture de plateau, une règle perdure: « Un texte doit préserver ses zones d’ombre ».
Une citation de la docteure en sciences de l’éducation Maela Paul résonne fort pour Élizabeth Bourget, personne de l’écoute et pédagogue humaniste : (….) « Accompagner c’est se joindre à quelqu’un pour aller où il va en même temps que lui ».
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal