Ayant établi un ratio de 1:1 (1 soldat israélien tué pour chacun de ses combattants tombés martyrs) au cours des six derniers mois d’affrontements frontaliers, le Hezbollah a maintenant jeté son dévolu sur des cibles israéliennes de grande valeur pour contrer les frappes de Tel-Aviv dans la profondeur géographique du Liban.
Par Khalil Nasrallah
Source : The Cradle, 28 mars 2024
Traduction : lecridespeuples.fr (Substack)
Depuis le 8 octobre, plus de 230 soldats israéliens ont été tués par des combattants du Hezbollah lors d’opérations transfrontalières contre l’État d’occupation, selon des données de terrain obtenues par The Cradle.
Cela suggère que la résistance libanaise a atteint la parité dans le nombre de forces tuées par les deux parties au cours des six derniers mois d’affrontements militaires.
Cet exploit est aussi significatif qu’impressionnant, étant donné que « des forces de résistance populaire relativement mal armées et généralement en infériorité numérique ne parviennent jamais à un rapport de 1:1 contre des forces colonialistes et néocolonialistes de haute technologie et lourdement armées », comme l’a fait remarquer un analyste au lendemain de la guerre d’Israël contre le Liban en 2006.
Le nouveau « ratio de cibles » du Hezbollah
Alors que le Hezbollah honore le martyre de ses combattants en révélant leur nom et leur nombre quasiment en direct, ne se donnant que le temps d’informer les familles au préalable, l’armée israélienne contrôle étroitement le flux d’informations sur les victimes, masquant l’étendue réelle de ses pertes et minimisant l’importance des installations israéliennes cruciales frappées par les drones et les missiles du Hezbollah sur le front nord du pays.
Selon des rapports récents, 258 combattants du Hezbollah ont été tués depuis le 8 octobre, tandis qu’Israël n’a reconnu que 10 morts parmi ses forces, un chiffre hautement improbable compte tenu de la diffusion massive par le Hezbollah de séquences de guerre montrant les opérations de ciblage des troupes israéliennes [on peut voir toutes les vidéos compilées sur cette chaine Telegram].
À titre de comparaison, lors de la guerre israélienne de 2006 contre le Liban, qui n’a duré que 34 jours, les pertes du Hezbollah sont estimées à environ 250 combattants tués, contre 121 morts déclarés par Israël, bien que ce chiffre soit considéré comme nettement sous-évalué. Le chiffre dérisoire de dix morts israéliens à la frontière libanaise après six mois d’affrontements féroces n’a guère de crédibilité dans ce contexte.
La « chair à canon » arabe et les mercenaires étrangers
Tel-Aviv ajoute à ce « brouillard de guerre » en employant des troupes bédouines et druzes sur ses lignes de front afin de faciliter la dissimulation des décès de l’armée.
Par exemple, Israël fournit une « allocation matérielle » aux familles des soldats de l’unité bédouine « Qasasi al-Athar », qui est déployée à un certain nombre de frontières israéliennes (Liban, Gaza, Égypte) dans le but d’empêcher les infiltrations transfrontalières, en particulier en période de conflit.
Les estimations sur le terrain indiquent que c’est dans les rangs de cette unité que l’on compte le plus grand nombre de morts israéliens.
Ces dernières années, Israël a lancé une série de campagnes de propagande militaire pour mettre en valeur la diversité dans ses rangs. Le porte-parole adjoint de l’armée, le « capitaine Ayla », un Juif arabe, a organisé une visite en 2020 à la frontière libano-palestinienne avec un officier de l’unité Qasasi al-Athar, Ali Falah, qui travaille au sein de la Brigade nord, afin de souligner la nature périlleuse de leur travail au point zéro.
Il semble que l’armée israélienne utilise les mêmes stratégies (payer les familles des soldats bédouins morts) avec les soldats de la communauté arabe druze, qui font partie de formations individuelles et de bataillons ou de ce que l’on appelle la « défense locale » dans les villages proches de la frontière libanaise.
Par exemple, 70 % des membres du 299e bataillon, stationné dans la région de Hurfaish, à quatre kilomètres de la frontière libanaise, appartiennent à la communauté druze. Le bataillon a subi de lourdes pertes sur ce front meurtrier, mais Israël n’a signalé qu’un seule mort à ce jour.
Comme c’est le cas pour de nombreuses armées confrontées au déclin, les mercenaires sont devenus incontournables dans les rangs des forces armées israéliennes et sont actifs dans les unités de combat de l’armée israélienne. Nombre d’entre eux se sont enrôlés lors de l’agression de Gaza et ont ensuite été déployés à la frontière avec le Liban.
Malgré l’implication active des mercenaires, leur mort n’est souvent pas reconnue et leurs corps sont discrètement rapatriés sans reconnaissance officielle en tant que soldats morts au combat. Il semble qu’un grand nombre d’entre eux aient péri sur les lignes de front frontalières.
Un moral en baisse : pourquoi Israël cache le nombre de ses morts
Les événements sans précédent de l’opération Déluge d’Al-Aqsa menée par la résistance palestinienne le 7 octobre ont jeté une ombre inquiétante sur l’ensemble du projet israélien, provoquant des ondes de choc dans toutes les facettes de la société.
Avec la déclaration de guerre totale de Tel-Aviv contre Gaza et l’éruption soudaine du conflit sur un second front au Sud-Liban, l’anxiété a atteint son paroxysme.
Les militaires israéliens ont compris que mener une guerre à grande échelle sur deux fronts, en particulier contre le Liban, où le Hezbollah a constitué une armée de 100 000 hommes et possède un armement et un entraînement bien plus sophistiqués que la résistance en Palestine, représentait un défi insurmontable.
En outre, le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahou est confronté à des pressions sans précédent sur de multiples fronts intérieurs : les prisonniers israéliens détenus par les factions de la Résistance, la nécessité d’atteindre les objectifs de guerre déclarés dans la bande de Gaza, le « déplacement » de centaines de milliers de colons israéliens dans le nord, la mutinerie au sein de son cabinet de guerre et les dommages économiques catastrophiques résultant de la guerre.
En conséquence, l’establishment sécuritaire israélien, avec le soutien du Conseil de guerre, a poursuivi une série de politiques pour faire face à la réalité émergente à la frontière nord, en s’appuyant principalement sur les efforts américains et les interventions diplomatiques pour faire revenir les colons et libérer ses prisonniers, sans recourir à des actions militaires qui ont peu de chances de garantir des résultats idéaux.
La pression exercée par les 230 000 colons déplacés du nord, associée à la prise de conscience croissante que le Hezbollah a imposé une zone-tampon de sécurité physique et géographique à l’intérieur d’Israël, a fortement influencé la décision de l’armée de dissimuler ses pertes militaires considérables, tant sur le plan humain que sur le plan matériel. Tel-Aviv ne divulgue pas ces données au public afin d’éviter toute contestation susceptible d’entraîner une expansion et une escalade incontrôlable du conflit [ou au contraire des pressions insoutenables pour mettre fin à l’agression contre Gaza].
Ratio : la qualité plutôt que la profondeur
En plus de l’occultation de ses pertes, l’armée d’occupation cherche à projeter une image de force en lançant des raids aériens à l’intérieur du Liban. Ceux-ci sont destinés à dissuader le Hezbollah, tout comme les menaces des hauts responsables israéliens, tels que le chef d’état-major et ministre de la défense Yoav Gallant, qui a proclamé en novembre : « Ce que nous faisons à Gaza, nous pouvons aussi le faire à Beyrouth ».
Voir Menaces israéliennes de guerre contre le Liban : la réponse de Nasrallah
Ayant déjà établi un « ratio de tués » dans cette guerre, le Hezbollah pourrait viser à établir un nouveau « ratio qualitatif » dans sa lutte contre Israël. Cela implique que le Hezbollah sélectionne soigneusement des cibles qualitatives telles que les casernes et les centres de commandement israéliens plutôt que de se contenter d’égaler les « frappes en profondeur » d’Israël au Liban, afin de dissuader l’ennemi et d’atteindre ses objectifs.
Pour contrer l’approche en profondeur d’Israël, le Hezbollah a recadré l’équation : il a donné la priorité à des « cibles israéliennes qualitatives » plutôt qu’à une simple distance géographique. Ce changement stratégique a été constaté au lendemain de l’attaque israélienne contre la banlieue sud de Beyrouth qui à assassiné Saleh al-Arouri, le chef adjoint du bureau politique du Hamas.
En réponse, la Résistance libanaise a pris pour cible un site important et sensible près de la frontière, la base de surveillance aérienne multi-missions de Meron, portant un coup substantiel à sa fonctionnalité.
Les manœuvres stratégiques du Hezbollah ont placé Tel-Aviv dans une situation difficile. L’évolution des tactiques de la Résistance perturbe les opérations de l’armée d’occupation, semant la confusion et menaçant d’intensifier les frappes sur des cibles qualitatives en cas d’extension de la guerre.
Les frappes visant des installations spécifiques, comme la volée de plus de 100 roquettes contre des sites stratégiques sur le plateau du Golan en réponse à une attaque israélienne sur Baalbeck au début du mois, ont de profondes implications pour la sécurité d’Israël.
Les représailles délibérées et rapides du Hezbollah soulignent sa volonté de faire face à toute incursion dans des territoires sensibles, de réécrire les règles d’engagement à volonté et de maintenir l’équilibre délicat des forces le long de la frontière.
Pourquoi le Hezbollah a ouvert le front sud du Liban
Lorsque le Hezbollah a ouvert un front libanais le 8 octobre dernier, ses objectifs stratégiques étaient doubles : renforcer la résistance à Gaza et semer la confusion au sein de l’armée israélienne sur le front nord. Cela a nécessité d’importants mouvements de troupes, le déploiement de systèmes de défense aérienne et une préparation accrue de l’armée de l’air, Israël anticipant une escalade potentielle, en particulier dans les premières phases du conflit.
Outre cet objectif principal, le Secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a mis l’accent sur un autre point critique : le comportement d’Israël au Liban. Il craignait que Tel-Aviv n’initie ou ne manipule le front pour l’aligner sur ses propres objectifs, éventuellement dans un but « dissuasif ».
Les principaux objectifs de la stratégie du Hezbollah consistaient à soutenir la Résistance en Palestine, à synchroniser les opérations avec la dynamique du conflit dans cette région, à renforcer la dissuasion contre l’agression israélienne et à prévenir les attaques à grande échelle. En outre, le Hezbollah s’est efforcé d’envoyer des messages clairs par le biais d’actions sur le champ de bataille, en mettant en évidence les capacités de renseignement de la Résistance et la polyvalence de ses cibles.
Cette stratégie vise à empêcher le conflit de s’étendre pour servir les intérêts stratégiques d’Israël, tout en infligeant une usure constante aux forces ennemies stationnées dans le nord.
En fin de compte, l’approche du Hezbollah a entraîné des pertes et des coûts importants pour l’ennemi, même s’ils sont bien inférieurs à ce qu’ils seraient dans le cadre d’une véritable confrontation. Par conséquent, l’armée israélienne se retrouve piégée dans un front habilement géré par le Hezbollah, où les calculs sont basés sur des pertes réelles plutôt que sur des chiffres rendus publics ou sur la propagande interne.
Mis à part son remarquable « ratio de tués », le Hezbollah a fait monter les enchères pour Tel-Aviv, qui doit désormais calculer ses pertes à chaque fois qu’il s’enfonce plus profondément dans les terres libanaises. La stratégie de profondeur malavisée d’Israël a maintenant créé un « ratio qualitatif » pour le Hezbollah.
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Source: Lire l'article complet de Le Cri des Peuples