Prise d’otages sanglante à La Mecque, révolution anti-américaine en Iran, invasion soviétique de l’Afghanistan, guerre (chinoise) au Viêt Nam, élection de l’ultralibérale Thatcher, renaissance de la Chine avec Deng, nous sommes en 1979 et le monde bascule.
Chez nous, la gauche pas encore très unie affûte ses couteaux pour 1981, Jack Lang n’est pas encore en poste rue de Valois, Jean Edern-Hallier y croit toujours, mais avant cette libéralisation (plutôt que libération) culturelle, une bande de Bretons fous n’attend pas et lance son Woodstock, dans un trou paumé du Finistère.
En économie, aujourd’hui, on appellerait ça du suicide. Mais les Bretons, quand ils ont une idée en tête…
En réalité, ce ne sera pas le premier festival rock en France, mais le second après celui de Mont-de-Marsan, où des groupes punk ont joué devant une poignée d’initiés en 1976.
Les têtes d’affiche ? Les Damned (d’où émergera Captain Sensible), le Havrais Little Bob, la formation Bijou qui ne percera jamais malgré une collaboration avec Gainsbourg, et quelques inconnus qui retourneront dans l’anonymat.
L’année suivante, les festivaliers auront du lourd avec les Clash et Police pour les Angliches, Asphalt Jungle et Shakin Street pour la France. On notera la présence de Dr Feelgood – avec le chanteur à l’harmonica, par le docteur provax français qui piquera le titre de son magazine au groupe britannique –, pas vraiment un groupe punk, plutôt de rhythm and blues sauvage. Mais surtout, il y avait les Jam, le trio mod dans la lignée des Who. Des mecs en costard, pas sapés comme des Gitans, enfin du respect !
Les autorités s’opposeront dès le départ à la tenue de ce festival de déglingos qui faisaient peur aux autochtones, et les organisateurs finiront par jeter l’éponge. Même rejet en Bretagne avec Elixir, qui changera plusieurs fois de terrain de jeux sonores.
Dans le film Woodstock, sorti en 1970 dans la foulée du festival (dont les recettes – 50 millions de dollars pour 600 000 de budget seulement – feront largement oublier le désastre financier du concert), les commerçants de Bethel, très sceptiques au départ, finissent par découvrir que les hippies qui débarquent ne sont pas des salopiauds et qu’en plus, certains sont solvables. Les gars du pays viendront même donner un coup de main à l’organisation, complètement dépassée du point de vue sanitaire.
Les paysans américains seraient-ils plus humains que les nôtres ?
Depuis, tout a changé, le big business a mis sa grosse patte sur le rock, qui est devenu rentable, mainstream et ramolli. Les festivals sont gérés par des multinationales, qui encaissent les dollars parfois un an avant date, histoire de bien gratter des intérêts.
Les scènes, énormes, sont éloignées de 90 % des spectateurs : seule la fosse fait office de survivance des concerts à l’ancienne, où l’on pouvait encore voir et entendre correctement les groupes jouer (ou alors leur lancer des canettes). Le reste du troupeau débourse 90 balles pour regarder des écrans géants, assis bien sagement. C’est la télé dans un stade.
Le rock ne s’est pas assagi, il a été assagi, comme le football : dans les gradins, le peuple supporter a été peu à peu chassé des grands clubs, laissant la place à des consommateurs solvables de standing supérieur. Ce foot et ce rock sont évidemment à boycotter, sauf si vous arrivez à vous glisser dans une fosse ou un virage.
Le virage, pour le supporter de foot, c’est pas cher mais on voit mal le jeu (certains s’en foutent, ils ont carrément le dos tourné). Seuls les riches, sur la ligne du milieu de terrain, ont droit à une bonne visibilité.
Il y aura toujours des riches et des pauvres, on le sait, mais c’est pas une raison pour engraisser les multinationales du foot et du rock. Vive les concerts et les matchs à taille humaine ! D’ailleurs, devant le rejet du foot-business, BeIn Sports est en train de viser le sport amateur.
Oh non, ils vont faire la promotion de l’inclusion !
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation