Échos de l’effondrement : au cœur du “ shithole ” — Erno RENONCOURT

Échos de l’effondrement : au cœur du “ shithole ” — Erno RENONCOURT

Confiné au cœur du “ shithole ”, je viens donner des nouvelles des déshumanisés du pays dépossédé. Fasse l’intelligence que les fureurs de la guerre contre la Russie et le génocide à Gaza n’empêchent pas aux lecteurs et lectrices de ce site de comprendre que le front que le gangstérisme transnational a ouvert en Haïti n’est pas différent de ce qui se joue sur ces théâtres lointains.

Samedi 23 mars 2024. Alors que résonnaient les crépitements d’armes automatiques des gangs armés, vers 10 heures du soir, le vrombissement de deux hélicoptères militaires étrangers ont sillonné le ciel de Turgeau. Tout laisse croire qu’il s’agit de vols spéciaux pour rapatrier les gens qui ont la bonne couleur de peau, le bon passeport ou éventuellement ceux aussi qui ont les bonnes accointances diplomatiques. Et leur direction vers la cour de l’Ambassade de France au Champ de Mars ne laisse plus place au doute. Ici, aucun espoir d’ailleurs n’est permis.

Ceux qui, comme nous, pauvres confinés du shithole, pour ne pas avoir les tickets de ces mistrals gagnants, réservés aux expatriés ou aux marrons ayant la double ou triple nationalité, sont obligés de se retrancher sous les décombres de cet effondrement en attendant l’horreur finale. La nuit fut longue, tant dans notre retranchement, nous avons peiné à dormir. Le rapprochement des rafales d’armes faisait craindre un assaut imminent sur notre quartier…ciblé depuis longtemps.

Tardivement, la nuit s’est dissipée, laissant place à un calme précaire. Vite rompu d’ailleurs. Car dans l’angélus du jour du dimanche 24 mars, des crépitements d’armes automatiques ont devancé le chant des coqs. Il y a longtemps que ces pauvres animaux se sont tus autour de nous, pour laisser les balles ouvrir le jour. Peut-être que mieux que certains hommes, ils ont appris à vivre au rythme des balles perdues en désapprenant à grimper aux arbres pour éviter de se faire éventrer et servir de repas plus tôt que prévu aux affamés du shithole. Tout un éloge à l’apprentissage contextuel. Mais quelle métamorphose de la nature en cohérence avec la métamorphose de la société ! Car avant celle des animaux, nombreux sont les coqs de lavalas qui ont retrouvé leur nature originelle de pintade. Du reste même le carillon de la paroisse qui conviait les fidèles à la messe du dimanche ne retentit plus dans l’angélus des matins de dimanche. Les mauvaises langues disent que le curé aurait peur d’inviter par là les affreux à venir refaire le drame des années du coup d’état. Quand les attachés, futurs bras armés du mouvement du GNB de 20004, avaient investi l’église du Sacré-Cœur de Turgeau pour y extraire Antoine Izméry, et plus tard Guy Malary, pour les exécuter en pleine rue. Cette image me renvoie à la brève, mais subtile nouvelle de Balzac : “ La messe de l’athée ”.

Les symboles de l’imposture sont partout. Il suffit de savoir les repérer et les relier pour avoir le motif de l’avenir. L’intelligence n’est rien d’autre…et pourtant, elle fait cruellement défaut au shithole, car en ce lieu seuls ceux qui sot anoblis par les étrangers, et surtout les Blancs ont une valeur médiatique.
Le jour commence à poindre. Et dans le clair-obscur du camp de notre retranchement, au loin, des colonnes de fumées noires et épaisses s’élèvent dans le ciel qui rougeoyait à peine. Aux premières nouvelles, les gangs auraient mis le feu au tribunal de la section sud de Port-au-Prince.

Il est manifeste que ce sont les archives et les dossiers judiciaires du pays qui sont ciblés. Que ceux qui peuvent comprendre suivent la trajectoire de notre pensée. Bien fou celui qui pensera que c’est une œuvre insensée ! C’est la révolution du Pote Boure qui s’accomplit. Les esprits stochastiques, comme nous, qui ont le défaut de tout relier pour trouver un motif intelligible, se souviennent que c’est en 2012 que cette opération de destruction des archives avait commencé au bureau de l’immigration et de l’émigration. C’était le temps de la chorégraphie des ratés du shithole, faisant vivre le paradoxe diplomatique par lequel toutes les institutions étatiques du pays, en la personne de leurs dignes représentant, dépositaires de la souveraineté nationale, s’étaient réunies pour écouter les injonctions d’un diplomate étranger, en la personne de Kenett Merten, certifiant pour la République que le président du pays était bien Haïtien. A l’époque, il fallait effacer avant ce paradoxe théâtral les traces de ceux qui voyageaient avec les passeports étrangers et qui occupaient les plus hautes fonctions du pays, au mépris de la constitution et des lois. Mais que valent les lois devant la puissance des intérêts étrangers, quand on doit reconfigurer le système ? Des mauvaises langues disent que le système bancaire a déjà réalisé son grand reset, sa grande reconfiguration depuis la fameuse panne de 2023 au cours de laquelle, il était impossible de faire certaines transactions d’une banque à l’autre. C’était juste après les sanctions internationales.

Impostures, double jeu, tout y est ! Ici c’est le paradoxal système ! Faut-il encore de preuves pour assumer que l’écosystème d’un shithole est une archéologie floutée de paradoxes ? Faut-il encore que l’on soit arrogant pour oser douter de la valeur de ceux qui brillent dans la réussite en ce lieu ?

Et c’est là que prend son sens la pertinence de la variable anthropologique de l’insignifiance culturelle que l’axiomatique de l’indigence mobilise pour expliquer l’errance haïtienne : vous avez tout un tas de gens ayant les plus prestigieux diplômes et titres académiques dans ce pays, pourtant les institutions de ce même pays sont séculairement défaillantes, en outre elles renforcées par des stratégies définies par des fonctionnaires internationaux qui dans la grande majorité des cas n’ont qu’un certificat de développement personnel et aucune compétence contextuelle. Le pire est que ce sont les experts nationaux, diplômés des grandes universités étrangères qui exécutent ces plans pour assurer leur survie. Car en grande partie, ils sont incapables de contextualiser leur savoir pour modéliser une solution en congruence avec les problématiques de leur pays. Ils récitent les bréviaires de la bonne gouvernance sans savoir que pour gouverner, il faut d’abord acquérir l’intelligence des données des problématiques, et que l’écosystème d’un pays est le plus grand attracteur de l’intelligence Vous voyez comment fleurissent les paradoxes dans un shithole.

Le crépuscule va tomber pour que l’angélus du soir ferme le jour. Les armes ont déjà recommencé à crépiter. Fasse le hasard que nous puissions enfin trouver un calme dans la nuit pour dormir, provisoirement ou éternellement. Si nous survivons jusqu’à la prochaine aube, nous reviendrons vous donner des nouvelles de ce front au coeur du shithole. Fasse l’intelligence que les lecteurs du Grand Soir comprennent que près des frontières de la Russie, à Gaza et dans le shithole haïtien, c’est la même tectonique du temps de l’indigence pour tous qui se reconfigure, comme je l’avais annoncé sur ce site en 2017. J’y reviendrai en parler, si d’ici là je suis toujours en vie.

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« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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