Par M.K. Bhadrakumar – Le 22 mars 2024 – Source Indian Punchline
L’élection présidentielle russe a mis en évidence, comme rarement, les lignes de fracture de la politique internationale. En effet, la personnalité politique du président Vladimir Poutine occupe aujourd’hui la scène mondiale comme un colosse. L’ampleur des efforts déployés par l’Occident pour le diaboliser montre à quel point cela est devenu une obsession morbide pour lui.
Rétrospectivement, l’agenda occidental était essentiellement axé sur Poutine, dont le rôle historique de régénérer et de ressusciter la Russie “post-soviétique” et de la ramener au centre des affaires mondiales en tant que puissance de classe mondiale reste un tournant impardonnable dans l’histoire actuelle.
Si l’expansion de l’OTAN vise à perpétuer l’hégémonie américaine et la dédollarisation à enterrer le système financier occidental qui sous-tend cette hégémonie, Poutine joue un rôle central dans ce processus historique. Si Poutine reste au pouvoir jusqu’en 2030 et réalise ne serait-ce que la moitié de l’ambitieux programme social et économique de la Russie qu’il a présenté dans son discours historique devant l’Assemblée fédérale du Parlement, l’équilibre stratégique mondial se sera irrémédiablement modifié et l’ordre mondial multipolaire sera devenu le point d’ancrage de la politique du 21e siècle.
L’Occident le sait, le peuple russe le sait, la grande majorité des nations le savent. Cela dit, il faut également comprendre qu’il ne s’agit pas seulement d’une victoire personnelle de Poutine, mais aussi d’une consolidation de la société russe autour de lui. C’est ce qui explique que les élections de la semaine dernière aient pris une telle ampleur.
La frénésie dans l’esprit occidental est allée crescendo en cas de victoire de Poutine. Les photos du président français Emmanuel Macron, postées mardi sur Instagram par son photographe officiel, Soazig de la Moissonnière, colorées en noir et blanc, et montrant le petit chef d’État les dents serrées et les biceps bombés alors qu’il s’entraîne, sont interprétées comme un acte maladroit visant à montrer ses prouesses sportives face au président russe Vladimir Poutine, qui est ceinture noire de judo et est connu pour être un mordu de fitness et dont le moyen préféré de se détendre après une dure journée de labeur est de jouer au hockey sur glace.
Avec une cote de popularité dépassant régulièrement les 80 % au cours des dernières années, en particulier lorsque la victoire russe dans la guerre en Ukraine a commencé à devenir une réalité plausible, le résultat des élections du week-end dernier était couru d’avance. En effet, l’estimation de la popularité massive de Poutine est attribuée à un organisme de sondage financé par le gouvernement américain, le Centre Levada.
D’où les opérations secrètes et les actes terroristes visant à créer des conditions perturbées en Russie et à discréditer ou saper le processus électoral. Ces dernières semaines, des centaines de drones ont été tirés depuis l’Ukraine sur des cibles à l’intérieur de la Russie, certains visant Moscou et d’autres Saint-Pétersbourg, principalement des centrales électriques et certains aérodromes, dont Domodedovo, situé au sud de Moscou et deuxième aéroport le plus fréquenté de Russie.
Le point culminant a été atteint lorsqu’une force d’attaque de 1 500 personnes, composée de russophones dans une unité spéciale, d’un grand nombre de combattants étrangers, soutenue par des chars et des véhicules blindés de transport de troupes (notamment des véhicules de combat d’infanterie Bradley), et d’unités d’élite ukrainiennes, a tenté en vain, il y a quinze jours, d’envahir le territoire russe au cours d’une opération qui a duré quatre jours. Le chef du renseignement militaire ukrainien, Kyrylo Budanov, aurait depuis déclaré au président Vlodomyr Zelensky que la planification de l’opération avait été compromise par un traître – c’est du moins ce qu’il pense.
Les dirigeants ukrainiens et leurs soutiens au sein de l’OTAN ont calculé qu’une invasion fonctionnerait et que les élections russes seraient discréditées d’une manière ou d’une autre. Mais cela s’est avéré être un fantasme. Il semble que les agences de sécurité russes, aguerries, aient toujours eu une longueur d’avance sur les services de renseignement ukrainiens et leurs mentors occidentaux.
Il est évident que Poutine s’est senti obligé d’exprimer personnellement son appréciation et sa “gratitude” à cet égard lors d’une réunion élargie du conseil d’administration du Service fédéral de sécurité qui s’est tenue mardi. Poutine a déclaré que “le personnel du Service a fait preuve de compétence et d’efficacité dans toutes les sphères de ses activités, réaffirmant le statut élevé et le prestige du Service en tant qu’élément clé pour garantir la sécurité nationale et la souveraineté de la Russie… Je voudrais exprimer ma gratitude au personnel du FSB pour son professionnalisme et son courage et pour tout ce qu’il a fait pour notre patrie au cours de la période compliquée et extrêmement responsable que nous venons de passer en revue“.
Le FSB est très expérimenté dans ses opérations de contre-espionnage, compte tenu de la longue histoire d’ingérence des agences de renseignement occidentales dans les élections russes. L’exemple le plus flagrant est la façon dont l’équipe de Bill Clinton a volé la victoire électorale de 1996 au leader du parti communiste, Gennady Zhuganov, et l’a donnée à Boris Eltsine pour un second mandat. (Ironiquement, Eltsine a ensuite fait passer Poutine de Saint-Pétersbourg à la politique du Kremlin, et le reste appartient à l’histoire).
Dès l’annonce de la victoire écrasante de Poutine à Moscou, l’Occident collectif a tenté de dénigrer le résultat en le qualifiant de “truqué“, de “mis en scène“, d’”élection présidentielle à l’emporte-pièce“, de “prédéterminé“, etc. Le fait que Poutine soit en effet un dirigeant immensément populaire, largement soutenu et respecté par le public russe est complètement ignoré.
Curieusement, le Yuri Levada Analytical Center, la franchise du Levada Center à Moscou, qui reçoit des fonds du gouvernement américain par le biais de la National Endowment for Democracy, et qui prétend être “une agence de sondage indépendante bien connue pour ses enquêtes sur les questions sociopolitiques en Russie et dans le monde“, estimait, en février 2024, que le taux d’approbation de Poutine s’élevait à 86 %.
Il est clair que le soutien de 87,3 % obtenu par Poutine dans l’élection de ce week-end correspond plus ou moins à la cote d’approbation de 86 % du Levada Center pour Poutine en 2024 (qui, soit dit en passant, n’est que marginalement supérieure à sa cote d’approbation de 85 % en 2023).
Ce qui ressort, c’est que les élections actuelles ont reflété le sentiment du public russe, ce que même les sondages financés par le gouvernement américain confirmaient. Il n’est donc pas étonnant que la majorité de la population mondiale ait félicité Poutine, ignorant la campagne de dénigrement orchestrée par l’Occident. Le théâtre de l’absurde a atteint un tel point que la ministre allemande des affaires étrangères, Annalena Baerbock, a apparemment décidé de ne plus qualifier Poutine de président légitime de la Russie !
Mais cette campagne stupide est condamnée à une courte durée de vie. Le monde évolue. Les États-Unis ne veulent pas se laisser enfermer dans une mascarade aussi futile que celle de la dirigeante verte Baerbock. Le tango russo-américain implique traditionnellement que le perdant garde la tête sous le parapet pour panser ses plaies et s’engager à nouveau un autre jour.
D’ailleurs, le grand paradoxe de la politique étrangère américaine aujourd’hui est que sa principale priorité n’est peut-être même pas de salir la victoire électorale de Poutine, qui est désormais une réalité géopolitique.
La nouvelle fixation concerne le renversement du Premier ministre israélien intransigeant Benjamin Netanyahou et un “changement de régime” vers un équilibre de pouvoir à Tel-Aviv – tout cela devant être assuré en temps réel pour que la candidature à la réélection du président Biden puisse se dérouler de manière optimale lors de l’élection de novembre.
M.K. Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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