La revue de presse du 18 mars 2024

La revue de presse du 18 mars 2024

Par Wayan – le 18 mars 2024 – Le Saker Francophone

Pas de grandes nouvelles cette semaine. Alors nous en profiterons pour reprendre certaines infos qui ne font pas les grands titres mais nous permettent de voir derrière le rideau du « spectacle de relations publiques ».

Un article du magazine grand public Marianne a fait beaucoup parler de lui dans le monde des analystes alternatifs anglophones car il lance, dès son intro, quelques pétards du genre :

« En n’excluant pas d’envoyer des troupes en Ukraine, Emmanuel Macron a provoqué un tollé en Europe et écopé d’un désaveu américain. Plusieurs militaires français, interrogés par Marianne, disent, eux, être « tombés de l’armoire ». « Il ne faut pas se leurrer, face aux Russes, on est une armée de majorettes ! », raille un haut gradé, persuadé que « l’envoi de troupes » françaises sur le front ukrainien ne serait tout simplement « pas raisonnable ». »

Des constats que les analystes alternatifs anticipaient depuis bien longtemps, mais ils étaient traités alors de « pro-Poutine » :

« Premier constat : une victoire militaire ukrainienne semble désormais impossible… Autre constatation, « les Russes ont aussi su gérer leur troupe de réserve, pour garantir l’endurance opérationnelle »…. Troisième constat : le risque de rupture russe [Que les russes rompent le front de résistance ukrainien] est réel… Est-ce cette situation stratégique nouvelle, où l’armée russe semble en position de force face à une armée ukrainienne à bout de souffle, qui a conduit Emmanuel Macron, « en dynamique », comme il l’a glissé, à envisager des renforts de troupes ? Une perspective réaliste face à la situation opérationnelle du moment, qualifiée de « critique » par des observateurs de terrain. « Mais ce qui peut paraître réaliste d’un strict point de vue tactique peut se révéler irréaliste d’un point de vue stratégique et diplomatique », soupire un gradé français. »

Il semble que, après s’être enfoncé longtemps dans le brouillard de leurs illusions et de leur propre propagande, le retour à la réalité de terrain soit difficile pour les dirigeants et analystes européens et les laisse dans l’affolement.

Le vrai message de cet article vient de l’armée qui cherche à prévenir Macron que partir en guerre contre la Russie serait un acte suicidaire. En espérant qu’il l’ait bien entendu.

Il ne s’agit pas de « baisser la tête face à Poutine » comme l’argumentent certains. Il s’agit d’arrêter les conneries, de remettre les pieds sur terre et de s’entendre avec le gouvernement russe pour établir un pacte de sécurité européen qui satisfasse à la fois la sécurité des européens et des russes, comme le demande Poutine depuis 2014, et comme il l’a redemandé pour la n-ième fois lors de son interview avec Carlson. L’Europe y gagnerait autant que la Russie. Hélas il semble que les penchants atlantistes des dirigeants européens les rendent sourds d’oreille aux propositions raisonnables de Poutine.

CNN confirme cette supériorité matérielle de la Russie face à l’Occident :

« La Russie semble en passe de produire près de trois fois plus de munitions d’artillerie que les États-Unis et l’Europe, un avantage clé avant ce qui devrait être une nouvelle offensive russe en Ukraine plus tard cette année.

La Russie produit environ 250 000 munitions d’artillerie par mois, soit environ 3 millions par an, selon les estimations des services de renseignement de l’OTAN sur la production de défense russe partagées avec CNN, ainsi que des sources proches des efforts occidentaux pour armer l’Ukraine. Collectivement, les États-Unis et l’Europe ont la capacité de produire seulement environ 1,2 million de munitions par an à envoyer à Kiev, a déclaré à CNN un haut responsable du renseignement européen ».

Un peu plus loin dans l’article, une petite ligne rapide, mais significative, pour expliquer les raisons de cette supériorité :

« Les responsables américains et occidentaux insistent sur le fait que même si la Russie a réussi à relancer ses usines, en partie parce qu’elle a l’avantage d’être une économie dirigée sous le contrôle d’un autocrate, les nations capitalistes occidentales finiront par rattraper leur retard et produire de meilleurs équipements.

« Si vous pouvez réellement contrôler l’économie, alors vous pourrez probablement avancer un peu plus vite que les autres pays », a déclaré le lieutenant-général Steven Basham, commandant adjoint du commandement américain en Europe, dans une interview à CNN la semaine dernière. Mais, a-t-il ajouté, « l’Occident disposera d’une puissance plus durable ».

Et oui, la « main invisible du marché » est surement efficace pour que certains engrangent de gros profits mais est un désavantage quand il s’agit de travailler à l’intérêt national ou collectif. Les occidentaux sont en train d’en faire les frais, tant face à la Russie qu’à la Chine. Mais la suite de la phrase disant que « les nations capitalistes occidentales finiront par rattraper leur retard et produire de meilleurs équipements » montre que la propagande médiatique fera tout pour cacher une telle évidence.

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Puisque l’on parle d’autocrate, je vous présente le nouvel « autocrate de la semaine », toujours selon CNN :

« Trump fait l’éloge du « fantastique » Viktor Orbán en accueillant l’autocrate hongrois à Mar-a-Lago pour une réunion et un concert »

Donc, selon CNN, un président d’un pays démocratique européen, la Hongrie, est un autocrate. Moi qui croyais que ce qualificatif flou mais peu flatteur était réservé aux non-occidentaux. Alors allons voir la définition d’autocrate dans le dictionnaire :

« Un autocrate est un dirigeant qui détient un pouvoir absolu et illimité, sans être soumis à des restrictions légales ou démocratiques. Un autocrate peut être un monarque qui gouverne par droit divin, un chef politique ou une personne tyrannique. Un autocrate est le seul détenteur de l’influence ou du pouvoir politique dans un système de gouvernement appelé autocratie »

Voyons maintenant le système politique hongrois :

« Le président de la République, élu par l’Assemblée nationale tous les cinq ans, a un rôle essentiellement honorifique, bien qu’il soit aussi commandant en chef des armées et chargé de nommer le Premier ministre.

Le Premier ministre est élu à la majorité par les membres de l’Assemblée nationale sur recommandation du Président de la République.

Le Premier ministre propose des candidats pour les postes de ministres au président qui les nomme au poste de ministre.

Pouvoir législatif

Parlement de Budapest.

Le parlement hongrois est monocaméral. L’Assemblée nationale de Hongrie, qui compte 199 membres, est la plus haute autorité du pays. Entre la révision constitutionnelle du 23 octobre 1989 (effective aux élections de 1990) et la réforme de 2011 (mise en place effectivement en 2014), l’Assemblée comptait 386 sièges. Elle initie les lois ou approuve celles soutenues par le Premier ministre.

Un parti doit recueillir au moins 5 % des suffrages pour prétendre à une représentation à l’Assemblée nationale. Les élections législatives se tiennent tous les quatre ans (les dernières ont eu lieu en 2022).

Pouvoir judiciaire

Une cour constitutionnelle, composée de 15 membres, a le pouvoir de contester une loi pour inconstitutionnalité. (Cette institution n’a jamais été complètement remplie et ne compte aujourd’hui que onze membres, ce qui la rend presque incompétente.)

Le président de la Cour suprême et les systèmes pénal et civil qu’il représente, sont totalement indépendants du pouvoir exécutif. Le procureur général est également totalement indépendant du pouvoir législatif, mais son statut est âprement débattu dans le pays. L’équivalent du médiateur de la République existe en Hongrie. Il y a plusieurs médiateurs qui protègent les droits civils, éducationnels et écologiques, ainsi que les droits des minorités hors du circuit judiciaire classique. »

Il est donc évident que quand CNN traite le premier ministre hongrois, choisi par le président et adoubé par l’assemblée législative hongroise, « d’autocrate » il ne fait pas de « l’information de qualité » mais de la totale propagande.

Mais pourquoi Orban est-il soudain méprisé ainsi par les journalistes de CNN. Bien sur il rencontre Trump, mais quand même. Non il a un plus gros défaut, il prône une politique de paix vis-à-vis de la Russie. Il est totalement à contre-courant de l’esprit guerrier qui règne dans le reste de l’Europe et prône le dialogue avec Poutine. Alors, pour CNN, il rejoint Poutine dans les rangs des méchants « autocrates ».

En d’autres mots, CNN, un média étasunien se prétendant progressiste, pousse, insidieusement et par des mots détournés, à ce que l’Europe entretienne de mauvaises relations avec la Russie en dénigrant ceux qui préféreraient le dialogue.

Mais il n’y a pas que le média CNN qui déraille, le président des Etats-Unis lui-même est allé encore plus loin en traitant Orban de « dictateur », sans pouvoir montrer sur quoi se base ses affirmations. De la pure diffamation :

« Budapest a protesté contre les remarques du président américain Joe Biden selon lesquelles le Premier ministre hongrois Viktor Orban cherchait à établir une « dictature ». La Hongrie ne tolérera pas ces « mensonges », a déclaré mardi le ministre des Affaires étrangères Peter Szijjarto aux journalistes.

Biden a fait ces commentaires vendredi dernier lors d’un arrêt de campagne en Pennsylvanie. Plus tôt dans la journée, Orban a rendu visite à Donald Trump, l’ancien président américain et rival présumé de Biden lors des prochaines élections, dans sa résidence de Mar-a-Lago en Floride.

Orban « a déclaré catégoriquement qu’il ne pense pas que la démocratie fonctionne, il recherche la dictature », a affirmé Biden dans son discours.

Mardi, Szijjarto a déclaré aux journalistes qu’Orban n’avait jamais tenu des propos comparables à ces paroles. Il a également révélé que Budapest avait convoqué l’ambassadeur de Washington à ce sujet.

« Nous avons demandé à l’ambassadeur de nous montrer la citation, avec le lieu et la date, où le Premier ministre a dit ce que le président des États-Unis lui attribuait. De toute évidence, aucune déclaration de ce type n’a été faite et nous n’avons donc pu recevoir aucune réponse substantielle », a déclaré le ministre des Affaires étrangères. Budapest n’est « pas obligé de tolérer de tels mensonges de la part de qui que ce soit, même si cette personne se trouve être le président des États-Unis d’Amérique », a ajouté Szijjarto. »

On assiste à une nette perte du sens de la mesure diplomatique dans ce pays qui se présente pourtant comme une référence mondiale. Cette perte de sens est visible dès les premiers échelons de la chaine de direction du pays, comme nous allons le voir dans le prochain chapitre.

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Alors que les experts des plateaux TV, les médias et dirigeants occidentaux distillent régulièrement la peur d’une « attaque russe » contre l’Europe de l’est si l’Ukraine perdait face à la Russie, un document déclassifié du DNI, le Director of National Intelligence étasunien, écrit noir sur blanc, en page 14 consacrée à la Russie :

« La Russie ne veut certainement pas d’un conflit militaire direct avec les forces américaines et de l’OTAN et poursuivra ses activités asymétriques en dessous de ce qu’il estime être le seuil d’un conflit à l’échelle mondiale. »

Une information que les médias occidentaux continuent d’ignorer afin que la peur d’une attaque russe pousse les populations occidentales à soutenir la politique agressive de leurs gouvernements face à la Russie.

L’introduction de ce rapport des RG, censé servir de base pour décider de la politique étrangère, donne un bon éclairage des motivations et des zones aveugles du gouvernement étasunien. [Entre parenthèses mes commentaires] :

« Au cours de l’année prochaine, les États-Unis seront confrontés à un ordre mondial de plus en plus fragile, mis à rude épreuve par une concurrence stratégique accélérée entre les grandes puissances [il n’y a pas du tout de « concurrence stratégique » entre les grandes puissances que sont la Chine et la Russie mais une « coopération stratégique » dont les Etats-Unis feraient bien de s’inspirer], des défis transnationaux plus intenses [qu’une coopération entre grandes puissances pourraient résoudre plus facilement] et imprévisibles et de multiples conflits régionaux aux implications considérables. Une Chine ambitieuse mais anxieuse, une Russie conflictuelle, certaines puissances régionales, comme l’Iran, et des acteurs non étatiques plus compétents remettent également en question les règles établies de longue date du système international avec la primauté des États-Unis en son sein [ce passage montre clairement que les Etats-Unis ne veulent pas « partager le pouvoir » mais rester les maitres du « système international avec la primauté des Etats-Unis en son sein », d’où leur incapacité à envisager toute coopération]. Simultanément, les nouvelles technologies, les fragilités du secteur de la santé publique, et les changements environnementaux sont plus fréquents, ont souvent un impact mondial et sont plus difficiles à prévoir.

Il suffit de regarder la crise de Gaza, déclenchée par un groupe terroriste non étatique hautement compétent, Le HAMAS, alimenté en partie par un Iran ambitieux sur le plan régional, et exacerbé par les discours encourageants de la Chine et de la Russie qui veulent affaiblir les États-Unis sur la scène mondiale – pour voir comment une crise régionale peut avoir des retombées considérables et compliquer la coopération internationale sur d’autres problèmes urgents. [Qu’un rapport des services secrets étasuniens puisse écrire un paragraphe sur « la crise de Gaza » sans dire un seul mot sur Israël et sa responsabilité dans cette « crise » montre leur aveuglement idéologique et explique en grande partie les erreurs à répétition de la politique internationale des Etats-Unis.]

Le monde qui émergera de cette période tumultueuse sera façonné par celui qui offrira les arguments les plus convaincants sur la façon dont le monde devrait être gouverné, comment les sociétés devraient être organisés et quels systèmes sont les plus efficaces pour faire progresser la croissance économique et fournir des bénéfices pour un plus grand nombre de personnes, et par les pouvoirs – tant étatiques que non étatiques – qui sont les plus compétents à agir pour trouver des solutions aux problèmes transnationaux et aux crises régionales. » [C’est certain. Pour l’instant le monde occidental est en train de perdre cette bataille auprès des populations du « Sud global » et même auprès d’une partie croissante de sa propre population, l’ultralibéralisme ayant le gros défaut de laisser de plus en plus de gens sur le trottoir.]

« La Chine a la capacité de concurrencer directement les États-Unis et leurs alliés et de modifier la situation d’un ordre mondial fondé sur des règles, de manière à soutenir le pouvoir et la forme de gouvernance de Pékin par rapport à celui des Etats-Unis. [Là encore vision compétitive plutôt que coopérative alors que la Chine propose régulièrement aux autres pays, dont les Etats-Unis, leur « win-win » solution, la solution gagnant-gagnant]

Les graves défis démographiques et économiques de la Chine pourraient en faire acteur mondial plus agressif et imprévisible. L’agression continue de la Russie en Ukraine souligne qu’elle demeure une menace pour l’ordre international fondé sur des règles. Les pouvoirs locaux et régionaux tentent également d’acquérir et d’exercer une influence, souvent aux dépens de leurs voisins et de l’ordre mondial lui-même. [Une vision paranoïaque voyant des agressions et des menaces partout et nulle part des possibilités de trouver des terrains d’entente]

L’Iran reste une menace régionale avec des activités d’influence malveillante plus larges, et la Corée du Nord étendra sa capacité en matière d’armes de destruction massive tout en étant un acteur perturbateur sur la scène régionale et mondiale. Souvent, les actions des Etats-Unis destinées à dissuader une agression étrangère ou une escalade sont interprétées par les adversaires comme renforçant leur propre perception selon laquelle les États-Unis ont l’intention de les contenir ou de les affaiblir, et ces interprétations erronées peuvent compliquer la gestion des escalades et les communications de crise. » [Cette dernière phrase est soit d’une hypocrisie soigneusement calculée, soit, plus grave, d’une incapacité à se projeter dans le regard de l’autre, ce qui, pour des spécialistes du renseignement, montre une inaptitude totale à faire un tel travail. En d’autres mots les Etats-Unis sont incapables de se rendre compte, de prendre conscience, qu’une grande partie des problèmes actuels viennent de leurs propres politiques de domination du système international. Il y a même refus conscient de reconnaitre une telle attitude puisqu’elle est qualifiée « d’interprétation erronée ». On n’est pas sortis de l’auberge.]

Pourtant,

Qui s’en prend à l’Iran depuis que le Shah d’Iran a été destitué par une révolution populaire dans les années 70 ?

Qui a attaqué la Corée du Nord parce qu’elle était communiste, bombardant et tuant un tiers de sa population dans les années 50 ?

Qui vient juste d’envoyer des « troupes spéciales » à Taiwan et continue à financer l’armement de cette ile ?

A qui l’Irak doit-elle demander l’autorisation pour pouvoir simplement payer sa facture d’électricité :

« Les États-Unis ont renouvelé une dérogation de 120 jours autorisant l’Irak à payer sa facture d’électricité à l’Iran, a déclaré jeudi le porte-parole du département d’État américain, Matthew Miller, lors d’un point de presse.

Washington a commencé à accorder des dérogations l’année dernière, soulignant que l’argent ne pouvait être utilisé que pour des « transactions non sanctionnables », comme l’achat de biens humanitaires comme de la nourriture et des produits agricoles. »

Mais ce sont ces pays qui sont désignés comme agressifs, menaçants et malveillants et la « Communauté du renseignement » étasunien prétend ne pas comprendre pourquoi ???

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S’il y a bien une entité politico-économique qui profite de ces tensions permanentes, instigués par les politiques occidentales mais pourtant projetées sur « l’ennemi » comme nous venons de le voir, c’est le Complexe militaro-industriel :

« Les pays européens ont presque doublé leurs importations d’armes au cours des cinq dernières années, le conflit en Ukraine étant le principal facteur à l’origine de cette augmentation, selon de nouvelles données de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI).

Le continent a importé 94 % d’armes de plus entre 2019 et 2023 qu’entre 2014 et 2018, selon un rapport du SIPRI publié lundi. Presque toutes les grandes puissances d’Europe occidentale ont augmenté leurs achats d’armes au cours de cette période, la France augmentant ses importations de 112 %, l’Allemagne de 188 % et le Royaume-Uni de 41 %, selon les données.

Cependant, l’Ukraine a augmenté ses importations de 6 633 %, devenant ainsi le premier importateur d’armes d’Europe et le quatrième au monde, derrière l’Inde, l’Arabie saoudite et le Qatar.

Dans l’ensemble, les pays européens ont considérablement augmenté leurs dépenses de défense en réponse au conflit en Ukraine, à la fois pour financer les transferts d’armes vers Kiev et pour réarmer leurs propres armées. Les membres de l’UE ont augmenté leurs dépenses militaires pour atteindre un montant record de 261 milliards de dollars en 2022, six États membres ayant mis en œuvre des hausses de plus de 10 % en 2021. »

Et ce n’est qu’un début :

L’Otan préconise, à l’attention des pays européens membres de l’Alliance atlantique, d’allouer 2% de leur PIB à leur défense nationale. Ce week-end, une note de l’institut allemand Ifo a été relayée par le Financial Times. Et elle montre que les Européens sont encore loin du compte.

Ce qu’il manque aux membres européens de l’Otan pour atteindre l’objectif de dépense militaire fixé par l’organisation, ce sont 56 milliards d’euros, selon cette note. Parmi les plus mauvais élèves, on retrouve l’Espagne, l’Italie, à qui il manque 11 milliards d’euros chacun, mais aussi la Belgique…

Pourtant, les dirigeants se veulent plutôt optimistes. Le secrétaire général de l’Alliance atlantique a annoncé la semaine dernière que les deux tiers de ses membres allaient dépenser suffisamment cette année. D’ici à 2026, les pays de la zone euro doivent doubler leurs dépenses dans le secteur de la défense.

Mais il n’y a pas que l’Europe :

« Les exportations d’armes vers l’Asie représentaient la plus grande part du monde – 37 % –, les alliés des États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde, étant en tête de la frénésie d’achats.

Celles-ci étaient « largement motivées par un facteur clé : l’inquiétude quant aux ambitions de la Chine », a déclaré Pieter Wezeman, chercheur principal au programme de transferts d’armes du SIPRI.

Le Japon, par exemple, a multiplié par deux ses importations, commandant notamment 400 missiles à longue portée capables d’atteindre la Corée du Nord et la Chine.

Les alliés des États-Unis, le Qatar, l’Égypte et l’Arabie saoudite, ont également dominé les achats au Moyen-Orient, qui représentaient 30 % des importations mondiales.

« Il ne s’agit pas seulement de la peur de l’Iran. Il s’agit en réalité d’une guerre », a déclaré Wezeman à Al Jazeera. « Au cours des dix dernières années, l’Arabie saoudite a effectivement utilisé ces armes dans le cadre d’opérations qu’elle mène elle-même, notamment au Yémen. En Arabie saoudite, cela est considéré comme une confrontation directe avec l’Iran par procuration.»

Les rivalités régionales ont également joué un rôle.

Le Qatar, par exemple, a quadruplé ses importations d’armes après que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont imposé un blocus au pays du Golfe en 2017, commandant des avions de combat aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni.

« Nous vivons dans un monde en transition. C’est fluide et instable. L’ONU a un rôle décoratif. Il existe toute une classe de puissances révisionnistes », a déclaré à Al Jazeera Konstantinos Filis, professeur d’histoire au Collège américain de Grèce.

« Les États amis de l’Occident ne savent pas vraiment si la puissance américaine peut dissuader une attaque contre eux », a déclaré Filis. « Ils disent : « Si je ne me réarme pas, il n’y aura personne pour me protéger, il n’y aura pas de mécanismes multilatéraux solides comme les années précédentes, donc je dois me préparer à une future attaque ». »

La France profitant largement du bond de ce commerce meurtrier :

« Depuis 2019, la France a vu ses ventes à l’international bondir de 47 %, quand la Russie voyait les siennes chuter de 53 %. C’est un sérieux revers pour les « Moscoureveurs » d’autant plus marquant qu’il intervient dans une période de fortes tensions entre les deux pays.

Dans cette compétition, les États-Unis restent de très loin les premiers exportateurs d’armes au monde, raflant à eux seuls 42 % du total des ventes. »

Ceci expliquant aussi en partie la soudaine humeur guerrière du président français.

C’est là aussi un des problèmes de l’ultralibéralisme. Quand ce sont les grosses entités économiques qui décident, grâce à la magie du lobbyisme, alors les puissantes industries de l’armement vont forcément pousser les gouvernements à adopter une « politique de la tension » et leur rapport étroit avec le monde du renseignement explique en partie les pathétiques rapports pondus par ces services.

Sans parler de leurs procédés mafieux contre tous ceux venant dénoncer leurs magouilles :

« Le lanceur d’alerte travaillant pour Boeing, John Barnett, a fait une sombre prédiction en disant qu’il risquait de mourir après avoir soulevé des préoccupations en matière de sécurité concernant le géant des avions de ligne, disant prétendument à un ami de la famille : « Si quelque chose arrive, ce n’est pas un suicide. »

Barnett, 62 ans, a été retrouvé mort dans sa camionnette dans le parking d’un hôtel de Charleston, en Caroline du Sud, le 9 mars – le jour même où il devait conclure son témoignage à huis clos dans le cadre d’un procès intenté contre son ancien employeur.

Les autorités – qui enquêtent toujours sur sa mort – ont initialement déclaré que Barnett était mort d’une blessure par balle « auto-infligée » à la tête, mais ses avocats, sa famille et ses amis ont depuis émis des doutes quant à savoir si l’ancien ingénieur de contrôle qualité de Boeing avait réellement attenté à sa propre vie.

« Je sais qu’il ne s’est pas suicidé. Il n’y a aucune probabilité », a déclaré à ABC une amie de la famille, identifié uniquement comme Jennifer.

L’amie a affirmé que Barnett avait spéculé sur le fait qu’il pourrait finir par mourir après avoir commencé à parler publiquement des problèmes de sécurité liés à Boeing après sa retraite en 2017.

“Il n’était pas préoccupé par sa sécurité parce que je le lui ai demandé”, a déclaré Jennifer au média. “J’ai dit : ‘Tu n’as pas peur ?’ Et il a répondu : ‘Non, je n’ai pas peur, mais si quelque chose m’arrive, ce n’est pas un suicide.’”

“C’est pourquoi ils ont fait passer cela pour un suicide”, a affirmé Jennifer dans l’interview.

Boeing n’a pas immédiatement répondu à la demande de commentaires du Post sur les affirmations de l’amie. »

Boeing est une des plus importantes industries de l’armement étasunien.

La Chine voit clairement qui est le réel bénéficiaire de cette stratégie de la tension :

« Afin d’obtenir davantage de financement militaire, l’armée américaine a récemment mis en avant la « théorie de la menace militaire chinoise ». Par exemple, le commandant du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord a affirmé que des avions militaires chinois commenceraient à opérer à proximité de la zone d’identification de la défense aérienne des États-Unis dès cette année, « non seulement des avions militaires, mais aussi des navires et même des sous-marins ». En outre, les analystes du Pentagone ont également exagéré l’avance de la Chine dans le domaine des armes hypersoniques. En conséquence, le nouveau budget de la défense américain pour l’année à venir a augmenté les investissements dans les systèmes de défense antimissile et renforcé les efforts de recherche et développement d’armes hypersoniques. En fait, depuis 2018, le Pentagone a investi plus de 12 milliards de dollars dans le développement de divers systèmes d’armes de frappe hypersoniques terrestres, maritimes et aériennes.

Le nouveau budget de la défense américain alloue également d’énormes fonds pour continuer à développer les technologies émergentes, à moderniser l’arsenal nucléaire et à renforcer la capacité de frappe de la « triade nucléaire », y compris le développement et la construction du sous-marin lance-missiles balistiques de nouvelle génération de classe Columbia. le bombardier stratégique B-21 Raider et la nouvelle génération de missiles balistiques intercontinentaux terrestres. Le monde peut voir clairement que le budget de défense américain de près de 900 milliards de dollars a pour objectif majeur de prendre diverses mesures visant à renforcer les capacités militaires des États-Unis dans une compétition stratégique avec d’autres grandes puissances, en cherchant à assurer une « sécurité absolue » pour les États-Unis en sapant la sécurité des autres pays, permettant ainsi aux États-Unis de dicter leurs conditions et de maintenir leur statut hégémonique mondial.

Face à un monde en ébullition, les États-Unis devraient abandonner la mentalité de guerre froide, mettre un terme à la confrontation militaire, à la confrontation de blocs et aux jeux géopolitiques, et travailler avec la communauté internationale pour maintenir la paix et la sécurité mondiales, responsabilité qui incombe à une grande puissance. »

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Toute cette gesticulation pour créer des tensions, auquel s’est rajouté le blocage de toute condamnation d’Israël à l’ONU, créent des dommages irréversibles à la stature internationale des Etats-Unis sans que ceux-ci aient l’air d’en prendre conscience. Voici quelques déclarations venant d’Asie.

De chine d’abord :

« Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a qualifié jeudi 7 mars la guerre menée par Israël à Gaza de « honte pour la civilisation » et a réitéré les appels de Pékin à un « cessez-le-feu immédiat ».

“C’est une tragédie pour l’humanité et une honte pour la civilisation qu’aujourd’hui, au 21e siècle, ce désastre humanitaire ne puisse être stoppé”, a déclaré Wang aux journalistes lors d’une conférence de presse.

“Aucune raison ne peut justifier la poursuite du conflit, et aucune excuse ne peut justifier d’être désespérément tué”, a déclaré Wang. “La communauté internationale doit agir de toute urgence, en faisant d’un cessez-le-feu immédiat et de la cessation des hostilités une priorité absolue, et en assurant l’aide humanitaire une responsabilité morale urgente.” »

Cet éditorial du Jakarta post, le journal pro-occidental en langue anglaise d’Indonésie :

« La façon dont Israël a mené sa guerre à Gaza en ciblant et en tuant aveuglement des civils, y compris des femmes et des enfants, en assiégeant Gaza et en bloquant son approvisionnement alimentaire, ainsi qu’en annihilant complètement ce qui était autrefois déjà une « prison à ciel ouvert devrait suffire à l’Indonésie pour reconsidérer son projet de renforcer ses liens avec l’État juif.

En fait, l’attaque massive contre Gaza devrait donner à tout le monde, à chaque nation, et pas seulement à l’Indonésie, une pause pour commencer à recalibrer ses liens avec Israël. La mort de plus de 30 000 civils à Gaza devrait être une raison suffisante pour exiger des comptes de la part des politiciens et des généraux militaires qui donnent le ton à Tel Aviv. Nous ne devrions pas récompenser les mauvais comportements. »

En Malaisie :

« Le Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim a accusé les dirigeants occidentaux d’appliquer de manière sélective le droit international lorsqu’ils condamnent l’opération militaire russe en Ukraine, mais ne défendent pas un cessez-le-feu dans la guerre entre Israël et Gaza.

S’adressant jeudi à l’Université nationale australienne de Canberra, Anwar a déclaré que depuis six décennies, l’Occident donne « carte blanche » à Israël pour poursuivre son « déchaînement meurtrier contre les Palestiniens ».

« Malheureusement, la tragédie déchirante qui continue de se dérouler dans la bande de Gaza a mis à nu la nature égocentrique de l’ordre fondé sur des règles tant apprécié et tant vanté », a soutenu le Premier ministre.

Les réponses différentes et incohérentes de l’Occident face aux conflits Russie-Ukraine et Israël-Gaza « défient le raisonnement », a-t-il souligné. C’est une « course folle » de croire que d’autres pays, y compris dans la région Indo-Pacifique, ne remarqueraient pas les incohérences dans l’application du droit international.

Anwar a également exhorté l’Australie à rétablir le financement de l’agence humanitaire des Nations Unies, l’UNRWA, à Gaza. »

Dans la même semaine, Anwar en a profité pour dénoncer la pression que subissent les Etats voisins de la Chine de la part des Etats-Unis :

« Le Premier ministre malaisien s’est prononcé lundi en faveur des liens avec la Chine et s’est plaint des pressions présumées exercées par les États-Unis et leurs alliés sur les nations de la région pour qu’elles prennent parti dans les rivalités stratégiques de l’Occident avec Pékin.

Les remarques du Premier ministre Anwar Ibrahim ont eu lieu lors du sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est dans la ville australienne de Melbourne, où Anwar est l’un des neuf dirigeants asiatiques présents à la réunion.

“À l’heure actuelle, la Chine semble être le principal investisseur en Malaisie”, a déclaré Anwar, insistant sur le fait que les Malaisiens “n’ont pas de problème avec la Chine”.

“Nous sommes une nation indépendante, nous sommes farouchement indépendants, nous ne voulons être dictés par aucune force”, a déclaré Anwar.

“Ainsi, même si nous restons (…) un ami important des États-Unis, de l’Europe et ici en Australie, ils ne devraient pas nous empêcher d’être amicaux avec l’un de nos voisins importants, précisément la Chine”, a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse conjointe avec l’Australie. Le Premier ministre Anthony Albanese, est un fidèle allié des États-Unis.

« S’ils ont des problèmes avec la Chine, ils ne devraient pas nous les imposer. Nous n’avons pas de problème avec la Chine », a déclaré Anwar aux journalistes. »

En Afrique aussi ils en ont marre des pressions et attitudes étasuniennes :

« Selon le colonel-major Amadou Abdramane, l’accord de coopération serait « une simple note verbale », « unilatéralement imposée » par Washington. Le document contraindrait le Niger à payer les factures liées aux taxes des avions américains, ce qui coûterait plusieurs milliards, selon le porte-parole. Niamey se plaint également de n’avoir aucune information sur les opérations américaines, tout en ignorant leurs effectifs et matériels déployés.

Ainsi, le membre du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) a jugé « illégale » la présence américaine sur le territoire nigérien. Cette décision fait suite à la visite, entre mardi 12 et jeudi 14 mars, d’une délégation américaine de haut niveau à Niamey. Une rencontre « sans respect des usages diplomatiques » et « imposée », selon Amadou Abdramane.

Les échanges auraient porté sur la transition en cours et le choix des partenaires étrangers. D’après le colonel-major, les Américains auraient accusé Niamey d’avoir signé des accords secrets, que ce soit dans le domaine militaire avec la Russie, ou sur l’uranium avec l’Iran. Le porte-parole a ainsi dénoncé une « attitude condescendante et la menace de représailles » des Américains. De quoi « saper les relations » et « miner la confiance entre nos gouvernements », a-t-il dit. »

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Même l’Ukraine, déçue par le lâchage en plein vol par les Etats-Unis, montre sa rancœur en démontant la propagande étasunienne dont elle avait pourtant bien profité depuis 2014. Ceci par l’intermédiaire de Bodanov, le chef des services de renseignement ukrainiens.

Cela commence par l’affaire Navalny, en mettant à mal le narratif occidental d’un empoisonnement par Poutine :

« Boudanov en marge du Forum ukrainien de l’année 2024, tel que rapporté par hromadske :

“Je peux vous décevoir, mais nous savons qu’il [Navalny] est mort d’un caillot de sang. C’est plus ou moins confirmé. Ceci n’est pas tiré d’Internet, mais, malheureusement, il est mort de mort naturelle.” »

Puis, à la suite de cet article de Reuters :

« L’Iran a fourni à la Russie un grand nombre de puissants missiles balistiques sol-sol, ont déclaré à Reuters six sources, approfondissant ainsi la coopération militaire entre les deux pays sanctionnés par les États-Unis. »

Bodanov a encore démonté le narratif occidental :

« Kyrylo Budanov, chef de la Direction du renseignement militaire ukrainien (HUR), a réfuté les affirmations selon lesquelles l’Iran aurait transféré des missiles à longue portée à la Russie, affirmant que ces informations ne correspondent pas à la réalité.

« Ils (les missiles iraniens) ne sont pas là. Tout cela ne correspond pas à la réalité », a déclaré Boudanov lors du forum ukrainien 2024, le 25 février.

Il a également noté que les missiles fournis à la Russie par la Corée du Nord n’ont pas été largement utilisés par les forces d’occupation. « Bien que quelques missiles nord-coréens aient été utilisés », a-t-il déclaré, « les affirmations d’une utilisation généralisée ne sont pas vraies ». »

Il est évident que ce n’est pas par la bouche des dirigeants ni des médias dit « de qualité » que nous saurons la réalité du terrain géopolitique.

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Haïti est de nouveau en crise. Lorsque les médias en parlent c’est pour stipendier les « gangs » de répandre l’anarchie dans les rues de Port au Prince, se gardant comme souvent de replacer l’événement dans son contexte historique et le faisant ainsi surgir de nulle part. Cette technique empêche le lecteur de vraiment comprendre la situation et permet de mieux le manipuler. On l’a vu pour l’Ukraine et pour Gaza. Cet article du Guardian répare cette « erreur » :

« Pillée et corrompue pendant 200 ans, Haïti était vouée à l’anarchie

Par Kenan Malik – Le 16 mars 2024 – The Guardian

En décembre 1914, l’USS Machias jetait l’ancre à Port-au-Prince, en Haïti. Huit marines étasuniens en débarquaient pour aller à la Banque Nationale de la République d’Haïti (BNRH), y prendre 500 000 $ d’or appartenant au gouvernement haïtien – 15 millions de dollars en argent d’aujourd’hui. Ils ont emballé cet or dans des caisses en bois pour les rapporter au navire et de là à New York où il a été déposé dans les coffres de la banque d’investissement Hallgarten & Co.

La BNRH est la banque centrale d’Haïti. Mais c’est aussi une société privée étrangère. Créée à l’origine en 1880 grâce à une concession accordée à une banque française, la pression américaine a attiré des investisseurs américains. En 1920, la BNRH appartenait entièrement à la National City Bank américaine. C’était peut-être la banque centrale d’Haïti, mais le gouvernement haïtien était facturé pour chaque transaction et les bénéfices époustouflants qui en sortaient s’envolaient vers Paris ou New York.

Les troubles politiques en Haïti dans les années 1910 ont conduit Wall Street à exiger des mesures pour protéger ses investissements. Washington a obéi, y envoyant les marines. Un an plus tard, les marines revinrent en force et y restèrent pendant 19 ans, dans le cadre d’une occupation souvent brutale. « J’ai contribué à faire d’Haïti… un endroit décent où les gars de la National City Bank peuvent collecter des revenus », écrivait le major général Smedley Butler, un chef des forces américaines en Haïti, en 1935.

L’histoire presque oubliée du vol de banque organisé par le Département d’État américain est un moment mineur mais éclairant dans l’histoire d’Haïti. La démission forcée la semaine dernière du Premier ministre Ariel Henry, l’effondrement de la vie civile et la guerre des gangs dans les rues ont ramené Haïti à la une des journaux internationaux. Pour donner un sens aux derniers événements, nous devons comprendre non seulement où se trouve Haïti aujourd’hui, mais aussi comment cela est arrivé.

L’histoire d’Haïti est celle dans laquelle les classes dirigeantes du pays ont fait preuve d’un extraordinaire mépris envers les masses, même selon les normes du Sud global. C’est également un pays dans lequel les puissances étrangères n’ont jamais reculé devant la répression et l’effusion de sang, ni devant le simple vol, pour atteindre leurs objectifs, parfois en alliance avec les élites locales, parfois en opposition à elles. Haïti est aujourd’hui le pays le plus pauvre des Amériques et l’un des plus inégalitaires au monde.

La tragédie d’Haïti ne réside pas seulement dans la dévastation causée à sa population, mais aussi dans le fait que, même si aujourd’hui elle est peut-être un symbole de corruption et d’anarchie, elle symbolisait il y a 200 ans, voire était l’incarnation vivante, du contraire : les possibilités d’émancipation humaine. Haïti est né en 1804 d’une révolution de 13 ans au cours de laquelle les esclaves de la colonie française de Saint-Domingue ont démantelé leurs chaînes, vaincu successivement les armées de France, de Grande-Bretagne et d’Espagne et fondé une nouvelle nation.

Dans l’Haïti indépendant, cependant, les nécessités d’un monde dirigé par des élites garantissaient que la nouvelle classe dirigeante gouvernerait comme n’importe quelle élite, que ce soit en Haïti, en France ou en Amérique. Ses objectifs étant de maintenir le pouvoir, de réprimer la dissidence et d’imposer l’exploitation du travail. Mais une classe dirigeante faible et divisée a fait en sorte que la vie politique haïtienne soit rythmée par une succession de coups d’État et d’insurrections. La répression des mouvements démocratiques est devenue le fil conducteur de l’histoire de la nation.

Pendant ce temps, les élites dirigeantes d’Europe et d’Amérique, craignant que l’exemple haïtien puisse enhardir d’autres luttant pour la liberté, ont cherché à isoler la nouvelle nation, refusant même pendant des décennies de la reconnaître.

En 1825, la France exigeait, comme prix de sa reconnaissance, des réparations de 150 millions de francs (l’équivalent, selon différentes estimations, entre 4 et 21 milliards de dollars aujourd’hui) pour compenser la perte de biens, y compris de biens humains. Parallèlement à cette demande, elle a envoyé 14 navires de guerre.

La France obligeait les esclaves et leurs descendants à payer leurs anciens maîtres pour s’être affranchis de la servitude. Bien que ce chiffre ait finalement été réduit à 90 millions de francs, il est resté bien au-delà de la capacité de paiement d’Haïti, ce qui l’a obligé à contracter des emprunts auprès des banques françaises à des taux exorbitants, alourdissant ainsi le fardeau. En 1914, 80 % du budget du gouvernement était consacré au remboursement de la dette. Année après année, l’argent qui aurait pu être dépensé pour les écoles ou les hôpitaux, l’industrie ou l’agriculture, dans l’un des pays les plus pauvres du monde (même si, il faut l’admettre, une grande partie de cet argent aurait pu aussi aller dans les poches des oligarques haïtiens) a été détourné pour remplir le trésor de l’une des nations les plus riches du monde.

Les nations occidentales n’ont pas seulement appauvri Haïti, elles sont également intervenues constamment, soutenant les politiciens qui imposent la « stabilité », sapant ainsi ceux dont les exigences démocratiques leur semblaient menaçantes. François Duvalier, ou « Papa Doc », est arrivé au pouvoir en 1957, un dictateur vicieux dont le règne s’est construit sur une violence féroce. Les dirigeants américains ont hésité face à la brutalité de Duvalier, mais l’ont considéré comme un atout important contre le communisme, en particulier contre Cuba de Fidel Castro. Et c’est ainsi que l’aide a afflué.

Jean-Bertrand Aristide, un prêtre de gauche, bénéficiant d’un soutien massif parmi la classe ouvrière et les pauvres d’Haïti, a suscité une réponse différente. À deux reprises, en 1990 et 2001, des vagues de soutien populaire ont propulsé Aristide à la présidence. Et à deux reprises, en 1991 et 2004, il a été renversé lors de coups d’État sanglants.

Après le premier coup d’État, Aristide est revenu au pouvoir avec le soutien des États-Unis. Néanmoins, de nombreux putschistes étaient salariés de la CIA et l’agence ne cachait pas son hostilité envers lui. Une décennie plus tard, l’opposition aux politiques économiques et sociales d’Aristide a conduit les Etats-Unis à le forcer à quitter ses fonctions (bien que Washington insiste de manière peu plausible sur le fait qu’il n’ait joué aucun rôle dans la « démission » volontaire d’Aristide).

Aujourd’hui, l’État haïtien existe à peine. Ses fonctions, de la police à la santé, de l’éducation aux services sociaux, ont été sous-traitées à ce que le chercheur Jake Johnston appelle « l’État aidant » – ONG, organismes des Nations Unies, banques de développement, entreprises privées. Surtout depuis le tremblement de terre dévastateur de 2010, cet « État parallèle » est la source de puissance en Haïti. Ariel Henry n’a pas été élu démocratiquement mais nommé par ce qu’on appelle le « groupe central », un groupe d’ambassadeurs étrangers qui dirigent effectivement le pays.

Le résultat a été une rupture complète entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés ; une rupture visible dans tout, depuis les gangs dans les rues jusqu’à la faim qui hante sa population.

« Nous sommes devenus les sujets de notre propre histoire », affirmait Aristide en 1987 ; « nous refusons désormais d’être les objets de cette histoire. » Le drame, c’est que c’est le contraire qui s’est produit, que le peuple haïtien reste exclu de la gouvernance de son pays. Tant que cela ne changera pas, Haïti ne changera pas. »

A lundi prochain

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