Au Québec
Il faut se rendre en Europe pour revenir sur terre
La mort du critique Marc-André Lussier [1] a peiné les lecteurs de La Presse+ et le petit monde du cinéma au Québec. Un des commentaires qui m’a frappé à son sujet est qu’il était apprécié par tous les gens du milieu cinématographique. Je trouve pour le moins surprenant qu’un critique censé donner son avis éclairé sur tous les films qu’il a vus, notamment ceux détestés, ne se soit pas fait quelques ennemis (façon de parler) au passage. J’aurais bien aimé questionner à ce propos la regrettée critique Pauline Kael [2], qui, elle, s’en était fait beaucoup aux États-Unis.
Denis Villeneuve, à ce qu’on dit, aimait beaucoup M. Lussier [3]. Si ce dernier avait pu voir le dernier film du premier, Dune, deuxième partie (Dune: Part Two) [4], sa critique aurait été assurément élogieuse. J’écris « assurément » parce que toutes les critiques lues et entendues sur ce film au Québec l’ont été. Une orgie de commentaires et de textes encomiastiques (un critique, François Lévesque, du journal Le Devoir, a même parlé de chef-d’œuvre [5]). Il faut se rendre en Europe pour revenir sur terre :
Ainsi, pour Le Figaro, « Denis Villeneuve s’ensable. Le jeu de mots est facile mais la traversée du désert longue (près de 3 heures) et pénible pour le spectateur. Le travail du directeur de la photographie, Greig Fraser, est toujours remarquable. Tout comme celui du production designer, Patrice Vermette. La musique de Hans Zimmer continue d’envoyer du lourd. Pas suffisant cependant pour éviter de s’ennuyer ferme sur Arrakis, planète d’une monotonie effrayante. (…) [La] religiosité sectaire et simpliste est au cœur du livre. Elle prend le pas sur l’écologisme et les intrigues de cour. Villeneuve ne parvient pas à s’en dépêtrer. Il escamote les scènes d’action, esquive les combats, abrège les batailles. Il n’évite pas en revanche les clichés des publicités pour parfum (« Dune, pour l’homme »). C’est le risque à trop vouloir filmer Timothée Chalamet contemplant l’horizon. Avec ou sans Zendaya, Fremen chaste et énamourée, la religion bannit le sexe et le rire. Le Harkonnen Austin Butler, sans la perruque d’Elvis Presley, tente bien de sortir Paul de sa torpeur méditative. Mais il est trop psychopathe pour faire un méchant intéressant. Les vers de sable ne surprennent plus. La chevauchée du lombric géant par Paul Atréides est ainsi techniquement impeccable. Elle ne suscite pourtant aucune émotion, à la différence du dragon dompté dans Avatar de James Cameron, épreuve initiatique transformant le Na’vi en Toruk Makto. Dune, malgré son sable brûlant, est un monstre froid. Un objet plastique parfaitement designé mais asséché. Villeneuve rêve d’un troisième volet qui correspondrait au Messie de Dune dans le cycle des romans de Herbert. Il montrerait le vrai visage de Paul Atréides. On ne veut pas brider son enthousiasme. Mais le nôtre est douché par ce blockbuster aride et pompeux. » [6]
Pour Le Monde, « Dune. Deuxième partie n’échappe ni à l’enlisement sablonneux ni à la pesanteur de sa pente messianique. Certes, Denis Villeneuve se prévaut d’une fidélité au roman source, mais il en livre une adaptation littérale, très à ras d’intrigue. De celle-ci, il retient essentiellement ce qui concerne les jeux de pouvoir. Tout le reste est intégré au chausse-pied : l’histoire d’amour expédiée, si bien que le couple star Zendaya-Chalamet vendu en affiche a à peine le temps d’exister [7], mais aussi le potentiel visionnaire de la saga, son mysticisme psychédélique. » [8]
Pour Tribune de Genève, « La longueur de l’ensemble n’évite pas l’ennui, la banalité de ce que tout cela raconte (une histoire de guerre, à peine différente, sinon par les costumes, de celle de Cent Ans) demeure constante, la seule scène romantique du métrage est d’un nunuche achevé [9], et les teintes ocre de la photo finissent par lasser. Et ni Zendaya ni Florence Pugh, les deux stars féminines du casting, ne parviennent à convaincre. » [10]
Pour Le Télégramme, « s’il parvient à mettre en place patiemment une intrigue politique complexe, le résultat dégage cependant une certaine froideur, Denis Villeneuve peinant à insuffler des émotions profondes entre ses protagonistes ». [11]
Finalement, Les Cahiers du Cinéma voient dans cette épopée « un concours de sentences obséquieuses disputées entre minets affectés, vieilles gloires fatiguées et égéries de marques de luxe ». Télérama déplore quant à lui « un récit qui manque de limpidité ». [12]
Oui, Denis Villeneuve est un petit gars de Gentilly (Bécancour) et nous en sommes fiers, mais cela ne doit pas empêcher les critiques de se montrer impartiaux. Certes, ceux qui font bien leur métier risquent de s’attirer des commentaires aigres de leurs lecteurs ou auditeurs (avec les réseaux sociaux, cela peut même devenir infernal), mais c’est le prix à payer pour conserver sa crédibilité.
P.-S. : Qu’attend-on pour sortir sur grand écran Dune (1984) dans le montage de 3 h 30 souhaité par son réalisateur David Lynch [13] et une version rafraîchie ? Personnellement, même dans sa version tronquée, je préfère ce vieux Lynch aux deux jeunes Villeneuve.
Sylvio Le Blanc
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec