Chaque année en Espagne, le mois de février marque la fin de la chasse au lièvre. Pour les chiens courants (lévriers), cette période est par contre synonyme de calvaire. Mutilés, suppliciés ou abandonnés en masse, ils sont plusieurs dizaines de milliers à connaître une fin atroce.
Les lévriers espagnols comportent deux groupes, les galgos et les podencos. En Espagne, ces chiens sont traditionnellement utilisés pour la chasse au lièvre (chasse dite « sans fusil »), l’hiver, entre novembre et février. Chaque année, des concours, appelés « carreras el campos« , sont également organisés. La chasse se déroule alors comme un tournois : les lévriers sont lâchés par deux, le vainqueur étant celui qui attrape le lièvre. Au bout de quelques mois, il ne reste que quelques chiens en compétition et à la fin, un seul vainqueur. Les gagnants font l’honneur et la fierté de leurs propriétaires (qui sont alors fêtés de stade en stade). Les perdants, eux, sont considérés comme inutiles. Pire, certains chasseurs s’estiment déshonorés et pensent que leurs chiens doivent payer. Pendus, noyés, jetés d’une falaise ou abandonnés à leur sort, ils sont entre 50 000 à 60 000 à périr chaque année à la fin de la saison de chasse.
En zone rurale, dans les communautés de Castilla-La Mancha, Castilla y León, Estrémadure et Andalousie, la tradition perdure fortement. Quelques 190 000 chasseurs (appelé aussi « galgueros« ) s’y adonneraient encore aujourd’hui. Chaque chasseur possédant en moyenne une quinzaine de lévriers, ces derniers font l’objet d’un énorme trafic. On les fait naître en quantités astronomiques, les sélectionne, les échange, le but étant d’obtenir un champion. Dans ce contexte, les faibles et les malades sont rapidement éliminés. Les autres sont condamnés à une vie de misère. Enfermés la plupart du temps (dans des bunkers sans lumière), ils sont nourris de façon sommaire (au pain sec et à l’eau) et soumis à des séances d’entrainement pénibles. Typiquement, les chasseurs les attachent à l’arrière des voitures puis les font courir à 60 km/h sur 10 ou 20 kilomètres (au risque de les blesser ou de les trainer sur le sol).
Les femelles en âge de procréer passent leur vie à faire des portées, puis sont tuées ou abandonnées lorsqu’elles ne sont plus assez fécondes. Les mâles connaissent la même fin, dès lors qu’ils ne sont plus assez rapides. L’échéance est courte, un lévrier voyant ses performances fondre au bout de trois ou quatre ans. Elle peut être plus courte encore, quand l’honneur entre en jeu et que le chasseur s’estime trahi par son chien. Cela peut être le cas lorsque ce dernier, gagnant en expérience, emprunte des raccourcis pour attraper sa proie ; un chien agissant de la sorte est considéré comme « sali » et automatiquement disqualifié. Cela peut être aussi le cas lorsque la saison de chasse a été mauvaise et que le chasseur tient son chien pour unique responsable. Quoi qu’il en soit, le galguero s’arroge le droit de « laver son honneur » comme bon lui semble, souvent en traitant son animal de la pire des façons.
La manière de mourir va souvent de pair avec les performances. Chanceux sont les chiens qui connaissent une mort rapide (d’un coup de fusil par exemple), car beaucoup sont suppliciés de manière atroce. Ils sont brûlés vifs, trainés derrière des voitures, battus à mort, jetés dans des puits, piqués à l’eau de javel, abandonnés avec les jambes cassées (pour qu’ils ne puissent pas revenir), pendus à des arbres. Une technique couramment utilisée est celle dit « du pianiste » (« tocar el piano« ), qui consiste à pendre les animaux en leur laissant appui sur les pattes arrières (de façon à ce que leur agonie dure le plus longtemps possible). D’autres sont abandonnés à leur sort, aux abords des villes ou des autoroutes, et n’en connaissent alors pas moins une fin cruelle. Rongés par les tiques et les maladies (comme la gale), ils mènent une vie d’errance, survivant temporairement en mangeant dans les poubelles, finissant parfois percutés par un véhicule.
Le code pénal espagnol punit les actes de cruauté sur les animaux d’une peine allant d’un mois à plus d’un an de prison. Mais il faut un flagrant délit, ce qui n’arrive pratiquement jamais. Les puces électroniques sont normalement obligatoires (qui permettent l’identification du propriétaire), mais certains ne les mettent pas, ou les arrachent (du dos/cou) de leurs chiens avant de les abandonner. D’autres affirment que leurs chiens ont été volés, accusant même les associations de protection animale au passage (qui voleraient les chiens pour les abandonner donc). De plus, la loi du silence règne. En milieu rural, les gens se connaissent (chasseurs, élus), les voisins sont complices et même les autorités locales (municipalités, Seprona – sorte de police environnementale -) sont accusées de fermer les yeux. Dans un pays où le lobby de la chasse est très puissant (les maires, les députés et même le roi chassent), il est souvent difficile de faire appliquer la loi.
Régulièrement pourtant, des charniers sont découverts (souvent à la fin de la saison de chasse, en février). Quelques exemples ci-suit, ayant fait la une de médias espagnols (la liste est loin d’être exhaustive). Février 2018 : une trentaine de chiens morts (galgos principalement) sont retrouvés dans une fosse à Tarençon près de Cuenca (dans la communauté de Castilla-La Mancha) ; selon la Seprona, nombre de ces animaux avaient été jetés là vivants et sont morts de faim ou de soif. Février 2019, six chiens morts sont retrouvés à l’intérieur de deux sacs, dans un trou de la banlieue de Lobón (communauté d’Estrémadure). Mai 2021 : une fosse commune contenant plus de 10 chiens morts est découverte à Tarençon (encore). Février 2023 : un charnier contenant « d’innombrables » animaux morts (chiens, sangliers etc.) est découvert dans un village près d’Albacete (Castilla-La Mancha) ; certains corps sont affreusement mutilés …
Aux perreras, sorte de chenils/fourrières (un peu équivalents de nos SPA en France), sont confiées la collecte/gestion des animaux abandonnés ; ceux retrouvés sur la voie publique et ceux que les propriétaires livrent directement sur site (parfois en les balançant par dessus les grilles). Certaines perreras sont publiques (à la charge des municipalités), d’autres privées (gérées par des sociétés sous contrat), mais cela ne change pas grand chose en pratique. La raison d’être de ces installations est de maintenir les rues propres (en contenant le risque épidémique), le bien-être animal n’étant absolument pas une priorité. En pratique, on y trouve de petites pièces/cages sans confort (les chiens dorment à même le sol), sans hygiène (les sols/gamelles sont souillés), une nourriture inadaptée (en qualité comme en quantité), une absence de soins. Notons qu’il existe aussi des chenils sauvages (illégaux), où des animaux sont parqués entre deux saisons de chasse, là encore dans des conditions désastreuses.
La loi espagnole impose aux perreras de garder les animaux 8 jours (10 jours pour ceux sans micropuce), délai pendant lequel leurs propriétaires peuvent les réclamer. Passé ce délai, n’importe quel animal peut être abattu (par euthanasie normalement), même ceux en bonne santé. La décision d’abattage dépend à priori de la capacité d’accueil du chenil (nécessité de laisser de la place aux nouveaux arrivants) et peut également s’appliquer aux animaux malades, blessés, ou présentant des problèmes comportementaux. Théoriquement aussi, il est prévu de tenir des registres précis (enregistrements d’entrée, de sortie) et de proposer les animaux à l’adoption. Mais d’un point de vue économique (de rentabilité), il est souvent beaucoup plus avantageux de sacrifier un animal que de le garder en vie en attendant un éventuel adoptant, avec les frais supplémentaires que cela engendre.
Régulièrement, des horreurs/scandales remontent à la surface. Dans certains cas, les autorités interviennent alors pour faire fermer des établissements et/ou condamner leurs responsables. Notons que beaucoup, bénéficiant d’appuis haut placés, passent quand même entre les gouttes. Certaines perreras sont tristement célèbres. A la perrera de Puerto Real (Cadix/Andalousie), on « euthanasiait » les animaux au Mioflex (un paralysant musculaire), sans anesthésiant ni sédation, provoquant alors une mort lente et douloureuse (par asphyxie). A la Mairena del Aljarafe (Séville/Andalousie), on utilisait de l’anectine (un autre paralysant), là encore sans anesthésiant. Même chose à Parque Animal de Torremolinos (Malaga/Andalousie) ou à Alcorcón (communauté de Madrid), où on rognait également sur les substances anesthésiques ou létales dans le seul but de faire des économies. A la perrera de Palencia (Castilla y León), on transfusait des chiens à mort afin d’alimenter en sang des cliniques vétérinaires.
Une cruauté explicite, volontaire, à laquelle s’ajoute d’innombrables actes de négligence. A la perrera Olivenza de Badajoz (Estrémadure), à la Mairena de Séville (Andalousie), à Vélez Rubio (Andalousie), Martos-Jaén (Andalousie encore), Salamanque (Castilla y León) et bien d’autres encore, des images prises en caméra cachée ont ainsi pu révéler des scènes récurrentes de maltraitance et de souffrance. Ici des animaux de différents sexes/tailles mélangés dans des boxes, là des cages minuscules où les animaux n’arrivent même pas à se tenir debout ; ici des cadavres côtoyant des femelles gestantes ou allaitantes, là des chiots à peine nés tétant leur mère allongés dans la fange ; partout des animaux en état de cachexie (dénutrition extrême), visiblement malades, certains infestés de tiques et de parasites, d’autres arborant des plaies ouvertes, d’autres encore présentant des troubles graves (difficultés respiratoires, diarrhées sanguinolentes).
Autre scandale, l’élimination injustifiée (et parfois massive) d’animaux. ainsi les perreras Puerto Real de Cadix, Parque Animal de Torremolinos, ou encore Mairena de Séville, qui, tout en touchant des subventions importantes (plusieurs centaines de milliers d’euros par an), exterminaient à tout de bras (parfois plusieurs milliers d’animaux par an), ceci afin de réduire les coûts ou privilégier des activités privées lucratives (services de pension canine par exemple). Notons que toutes toutes ces perreras ont pu commettre leur méfaits pendant des années (parfois plus de dix ans) sans être inquiétées ; et ce, malgré les nombreux signalements émanant de militants/associations animalistes, voire d’employés de perreras eux-mêmes. Souvent, il aura fallu que l’affaire s’ébruite (diffusion de vidéos sur internet, pétition, récupération dans les médias), pour que les pouvoirs publics se mobilisent et que les choses commencent à bouger.
Plus heureusement, il existe aussi des protectoras, associations véritablement consacrées au sauvetage des animaux. Là, les chiens reçoivent des soins, de l’affection, puis sont généralement proposés à l’adoption dans des familles aimantes et bienveillantes. A priori, aucun animal n’y est sacrifié, à moins qu’il ne soit déjà très malade et souffre beaucoup. Contrairement aux perreras, les protectoras doivent uniquement compter sur les bénévoles et le soutien des donateurs. Plus ou moins toisées par les pouvoirs publics, elles leurs sont pourtant utiles dans certaines situations (en accueillant les animaux libérés lors de fermetures de perreras par exemple). Notons que la protection des galgos trouve un relai en France, où de nombreuses associations (Soligalgos, La voix des lévriers, Lévriers sans frontières, galgos France, Galgos sans famille) se démènent pour les faire adopter.
Un travail important des bénévoles consiste à rentrer dans les perreras afin de secourir les animaux malades (du moins les plus mal en point) et essayer de faire adopter les autres (via des photos mises en ligne sur leur site internet). Problème : si ces bénévoles sont un peu trop intrusifs ou dénoncent les mauvais traitements subis par les animaux, ils se voient menacés de ne plus pouvoir accéder aux installations. D’où le dilemme dont ils sont victimes : faut-il révéler au grand jour certaines images et agissements, au risque de se voir interdits d’accès (et de donc condamner les animaux à une mort certaine), ou accepter l’horreur (d’une certaine façon), pour pouvoir malgré tout continuer à faire quelque chose. Notons que de nombreuses perreras répondent elles-mêmes à la question en fermant totalement leurs portes aux « extérieurs » (ou en leur interdisant de filmer). Globalement, on estime que les associations arrivent à sauver environ 10% des galgos.
Et la loi dans tout ça ? Au niveau européen, les lévriers sont censé être protégés par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (qui considère les animaux comme des « êtres sensibles ») et par la convention européenne pour la protection des animaux de compagnie. Au niveau national (espagnol), la loi du 05 janvier 2022 a fait évoluer le statut de l’animal (le considérant désormais comme un « être sensible »), et même plus spécifiquement celui de l’animal de compagnie (désormais considéré comme un « membre de la famille »). Plus récemment, la loi sur le bien-être animal du 29 septembre 2023 a défini un ensemble d’obligations que les propriétaires d’animaux domestiques doivent respecter (ne pas les enfermer, ne pas les laisser seul trop longtemps) sous peine d’amendes sévères ; voire de peine de prison en cas de sévices graves. Cette loi devait initialement (et logiquement) concerner tout le monde, mais en faisant pression, les chasseurs en ont finalement été exclus.
En Espagne, la question animale suit globalement le clivage gauche/droite. L’évolution de la législation (pour les chiens de chasse, la corrida) est ainsi soutenue par la gauche de Podemos (un peu l’équivalent de LFI en France), et combattue par la droite du Partido Popular (un peu l’équivalent des Républicains) et l’extrême droite de Vox (équivalent RN) ; le PSOE (Parti socialiste espagnol) se montre quand à lui plus ambigu, ayant par exemple soutenu la loi sur le bien-être animal mais finalement voté l’amendement excluant les chiens de chasse. Dans la société civile, on retrouve un peu ce clivage entre le milieu rural, où le lobby de la chasse reste très puissant, et les grandes villes, où les galgos sont maintenant considérés comme de véritables animaux de compagnie (à l’instar de pays voisins comme la France où de nombreux galgos sont adoptés).
Quoiqu’il en soit, la question du bien-être animal (galgos et autres) est aujourd’hui débattue au sein de la société espagnole. Un parti animaliste, le PACMA, a même récemment été créé. C’est quand même le signe que les choses avancent. Trop lentement mais elles avancent. L’ère de la maltraitance animale est-elle bientôt révolue ? L’humanité en sortirait grandie.
Quelques références
Documentaire « Février, le mois le plus cruel »
Documentaire « La protection des animaux en Espagne »
Galgos : de la pierre au diamant
Dossier : maltraitance de galgos en Espagne
Galgos pendus à un arbre
Galgo pendu à un arbre
Tocar el piano
Sept lévriers attachés, sans eau ni nourriture, dans une piscine abandonnée
Abandons massifs dans les rues de Cordoue
Une fosse mouroir pour chiens de chasse à Torrecampo (près de Cordoue)
Une trentaine de chiens morts retrouvés dans une fosse à Tarençon en Cuenca (février 2018)
Découverte de six chiens morts à l’intérieur de deux sacs, situés dans un trou dans la banlieue de Lobón (février 2019)
Une fosse commune avec des cadavres de chien découverte à Tarencon (mai 2021)
Une fosse commune contenant d’innombrables animaux morts retrouvée près d’Albacete (février 2023)
Des mises à mort cruelles à la perrera de Alcorcón (communauté de Madrid)
Des animaux dévorés par d’autres à la perrera de Vélez Rubio (Andalousie)
Olivenza (Badajoz) : la perrera des horreurs
Trafic de chiens vers la Hongrie à Olivenza
A la Mairena de Séville, le sacrifice des animaux avec un paralysant musculaire (l’anectine) sans anesthésiant
Conditions de vie des animaux à la Mairena de Séville
Extermination en masse à la perrera Parque Animal de Torremolinos
Des employés de Resur (sous-traitant à Jaén) laissent des chiens en pleine chaleur (plus de 50 degrés) dans un fourgon
Des chiots se vidant de leur sang à cause d’une épidémie de parvovirose à la perrera de Orihuela (Alicante)
Extermination en masse à la CIAAM (centre de collecte d’animaux abandonnés) de la communauté de Madrid
Attaque d’un pitbull sur une chienne (sans que les employés municipaux interviennent) à la pererra de la Isla Jordán
Al la perrera de Puerto Real (Cadix), le sacrifice de 566 animaux avec un paralysant musculaire (le Mioflex) sans anesthésiant
Conditions de vie des animaux à la perrera de Puerto Real
Conditions de vie des animaux à la perrera de Martos-Jaén
Conditions de vie à la perrera de Cuenca
Des animaux infestés de parasites et en état de dénutrition extrême à la perrera de Bracamonta (près de Salamanque)
Des chiens galeux, boiteux, aveugles, avec des kystes, des tumeurs, sous-alimentés … à la perrera illégale de la Luz (Asturies)
La perrera de Luz accumule les plaintes depuis 13 ans
Maltraitance animale dans une perrera illégale de Villamenta (communauté de Madrid)
Des animaux retrouvés morts dans une perrera illégale Perales del Río (communauté de Madrid)
Des animaux malnutris dans une perrera illégale à Almazán (Castilla y León)
Des perreras et protectoras saturées à cause des abandons en masse
Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (version finale dite « consolidée »)
Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie (Strasbourg, 1987)
Loi du 05 janvier 2022 concernant l’évolution du droit des animaux en Espagne
Les animaux désormais considérés comme des « êtres sensibles » dans le droit espagnol (Article 333 bis du code civil)
Les animaux domestiques désormais considérés comme des « membres de la famille » en Espagne
La loi sur le bien-être animal entrée en vigueur le 29 septembre 2023 prévoit des sanctions pour les propriétaires d’animaux négligents
La loi précédente ne s’applique pas aux chiens de chasse, aux taureaux de corridas, aux cétacés dans les delphinariums …
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir