Par Moon of Alabama – Le 23 février 2024
Un ancien colonel américain s’exprime dans The Hill :
L’Ukraine ne peut plus gagner – The Hill, 22 fév. 2024
Bienvenue au club, dirais-je, mais il est presque deux ans trop tard pour cela. L’Ukraine a perdu la guerre le 24 février 2022, le jour où l’opération militaire spéciale a commencé.
L’Ukraine n’a jamais eu la moindre chance de gagner.
Je laisserai d’abord le colonel récapituler le récit établi, puis j’y ajouterai mes observations :
Il y a deux ans, les forces armées ukrainiennes ont immédiatement défié les attentes. Quelques jours avant l’incursion massive d’armes combinées de la Russie, le président de l’état-major interarmées, Mark Milley, s’est fait le porte-parole de l’armée américaine en prédisant au Congrès que Kiev tomberait dans les 72 heures.
De nombreux analystes militaires ont également prédit que les forces armées russes mettraient rapidement en déroute des Ukrainiens dépassés. Les dirigeants américains ont encouragé le président ukrainien Volodymyr Zelensky à quitter le pays, de peur que les troupes russes ne l’assassinent.
Ces prévisions de succès immédiat pour la Russie avaient mal évalué les progrès réalisés par l’Ukraine en termes de capacités et de préparation depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Elles avaient également surestimé l’état de préparation, la supériorité aérienne et la cohésion du commandement des forces russes.
Tout cela est – en partie – vrai.
On s’attendait à ce que les forces russes conquièrent rapidement Kiev et renversent le gouvernement en place. Cependant, les Russes n’ont jamais mis en œuvre les effectifs nécessaires pour y parvenir. À l’époque moderne, la pacification et le maintien d’une ville ennemie nécessitent généralement environ un soldat pour 40 habitants. Au début de la guerre, Kiev comptait environ 3 millions d’habitants. La prise et le maintien de la ville auraient nécessité quelque 75 000 soldats. Mais les forces russes n’ont jamais déployé plus de 40 000 soldats en direction de Kiev.
L’objectif militaire n’était donc pas de prendre la ville. Il s’agissait d’exercer une pression pour atteindre un objectif politique.
Immédiatement après le début de la guerre, le gouvernement ukrainien a accepté d’organiser des pourparlers de paix. Au cours des semaines suivantes, ces pourparlers ont eu lieu d’abord au Belarus, puis à Istanbul. Fin mars, après que l’Ukraine a accepté, au cours des négociations, de ne pas adhérer à l’OTAN, la Russie a fait un geste de bonne volonté en retirant ses troupes de la capitale. Mais début avril, les États-Unis et le Royaume-Uni sont intervenus et ont fait pression sur Kiev pour qu’elle mette fin aux négociations.
Les dirigeants politiques et militaires occidentaux ont alors mal interprété les objectifs de la Russie, pensaient que son armée était faible et en avaient tiré des conclusions erronées.
C’est également ce qui s’est produit lors de la phase suivante :
Il y a un an, tous les signes étaient encourageants. Les forces ukrainiennes avaient été ensanglantées, mais elles s’étaient accrochées à leur territoire dans l’est, contrairement à ce que l’on pensait. Des contre-offensives réussies ont permis à l’Ukraine de regagner des territoires dans le sud. Le président ukrainien, Volodymyr Zelenskyy, a déclaré avec provocation que l’année à venir serait celle de “notre invincibilité“. Les Etats-Unis ont offert une aide royale en artillerie et en armes antichars dans le cadre de l’initiative d’assistance à la sécurité de l’Ukraine, et le flux semblait incessant.
Inspiré par l’étonnante réussite de l’Ukraine face à une armée beaucoup plus importante et plus avancée, l’Occident s’est galvanisé pour soutenir Zelensky et ses troupes. Tragiquement, tous ces indicateurs ont conduit à des attentes irréalistes.
La Russie a commencé la guerre avec une armée structurée en formations de temps de paix. Elle n’a utilisé que ses forces permanentes, et non des conscrits ou des troupes mobilisées, pour lancer la campagne d’Ukraine. La principale structure organisationnelle des troupes russes à l’époque était les groupes tactiques de bataillons.
Aparté : À l’époque soviétique, l’armée disposait de la structure classique en temps de guerre, à savoir des divisions composées de 4 à 5 brigades, chacune d’entre elles étant composée de 4 à 5 bataillons, chacun d’entre eux étant composé de 4 à 5 compagnies. De telles structures nécessitent beaucoup de personnel.
Pour économiser de l’argent, la Russie a supprimé l’échelon de la division. Les brigades d’infanterie motorisée, composées d’un bataillon de chars, de deux bataillons d’infanterie motorisée et de deux bataillons d’artillerie, ont été réduites en groupes tactiques de bataillons.
Environ un tiers des formations d’artillerie et de chars ont été éliminées, ainsi que la moitié de l’infanterie. Au lieu des quelque 4 000 à 4 500 soldats d’une formation de brigade, les groupes tactiques de bataillon n’ont conservé que 2 000 hommes chacun. Les équipements qui n’étaient plus utilisés et qui n’étaient plus nécessaires ont été stockés.
La construction d’un groupe tactique de bataillon était beaucoup moins coûteuse que celle d’une brigade à forte intensité humaine, mais disposait encore d’environ 2/3 de la puissance de feu d’origine. L’idée a toujours été qu’en cas de guerre, la structure du BTG serait à nouveau remplie d’hommes mobilisés et d’équipements restaurés pour redevenir une brigade à part entière. – Fin de l’aparté.
Ce n’est qu’en août 2022, après l’échec d’une nouvelle série de négociations, que les dirigeants russes ont décidé de vraiment partir en guerre. Une mobilisation a été lancée, l’équipement a été sorti de l’entrepôt et les formations BTG du temps de paix ont été réactivées pour devenir des structures de brigade à part entière. Le niveau de commandement de la division a été rétabli. Tout cela demande du temps et de la formation. L’industrie de guerre devait être mise en place pour soutenir un combat plus long.
Il existe un dicton : “Les Russes sont lents à monter en selle mais galopent vite“. Il s’applique dans ce cas.
En 2022 et au début de 2023, les forces russes, peu nombreuses, ont dû faire preuve d’économie de force. Les positions de moindre valeur ont été gardées par un minimum de forces (Kharkiv, Kherson). Lorsque ces forces étaient mises sous pression, les positions étaient simplement abandonnées. Des lignes défensives étaient construites pour protéger les terrains de plus grande valeur.
Au printemps ou à l’été 2023, les forces russes avaient (re)pris de l’ampleur et atteignaient leur pleine puissance de guerre. La destruction systématique des forces ukrainiennes pouvait enfin commencer.
Dès que les forces ukrainiennes ont tenté de défier les formations russes ravivées, notamment lors de leur “contre-offensive” ratée, elles ont été battues à plate couture. Pressés de réaliser de nouveaux gains, les dirigeants politiques ukrainiens ont exigé que leurs troupes attaquent partout et ne battent jamais en retraite.
Cela correspondait à l’objectif politique russe de démilitarisation de l’Ukraine. En se défendant à partir de positions bien creusées et avec un avantage croissant en artillerie et en puissance aérienne, les forces russes ont décimé les forces ukrainiennes qui les attaquaient.
À la fin de l’année dernière, l’armée ukrainienne a commencé à changer de tactique. Faute de forces et de matériel, elle a dû passer en mode défensif. Les forces russes, désormais entièrement équipées et prêtes au combat, ont entamé leur campagne offensive :
Aujourd’hui, la situation est sombre. Les combats se sont ralentis et sont devenus une corvée cruelle qui joue en faveur de la Russie. L’Ukraine manque de troupes et de munitions, tandis que la Russie les maintient en abondance. La contre-offensive ukrainienne du printemps 2023, planifiée de longue date, à haut risque et qui a duré des mois, a échoué, l’Ukraine n’étant pas en mesure de reprendre les territoires saisis par la Russie. Le soutien à Zelensky en Ukraine et à l’Ouest a fini par s’effriter. L’aide américaine est bloquée au Congrès et les États-Unis semblent fatigués de financer cette guerre.
Au cours des deux dernières années, après avoir prédit une victoire immédiate de la Russie, les analystes et les décideurs politiques sont allés dans l’autre sens avec une nouvelle série d’erreurs d’appréciation : l’armée russe est un tigre de papier, les généraux se retourneront contre Poutine, l’Ukraine saignera la Russie dans le Donbass.
La réalité, deux ans plus tard, est qu’il n’y a pas de chemin vers la victoire pour l’Ukraine, du moins pas dans le sens de repousser les troupes russes jusqu’aux lignes de contrôle de 2021. Après l’abandon d’Avdiivka par les troupes ukrainiennes à la suite de certains des combats les plus violents de la guerre – la perte ou le gain le plus important pour l’une ou l’autre des parties en neuf mois – presque tous les avantages reviennent à la Russie.
Pour les Russes, la guerre est un processus lent qui exige que tous les éléments, politiques, civils et militaires, soient synchronisés. Dans cette optique, gagner telle ou telle bataille n’a pas beaucoup d’importance. C’est l’approche à long terme qui fait la différence. Il faut du temps pour atteindre l’état stable qui, au fil du temps, crée la victoire. Ce n’est que lorsque cet état est atteint que la véritable destruction de l’ennemi peut commencer.
Les forces russes attaquent actuellement dans toutes les directions. Les forces ukrainiennes manquent de personnel et de munitions. Ce n’est qu’une question de temps avant que l’Ukraine ne doive abandonner et rechercher la paix, quelles que soient les conditions défavorables.
Il n’y a jamais vraiment eu et il n’y a plus de moyen de changer cette issue.
Le programme d’aide de 60 milliards de dollars bloqué au Congrès ne changera pas grand-chose à l’avenir. Ce combat est un combat de longue haleine qui nécessitera toujours une aide supplémentaire. Le robinet se fermera à un moment ou à un autre, peut-être bientôt, ce qui mettra fin à l’aide et scellera le destin de l’Ukraine.
La fin de la partie en Ukraine approche à grands pas. Elle pourrait même arriver bien plus tôt que ce que beaucoup sont prêts à admettre aujourd’hui.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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