Même si plus personne ne regarde cette cérémonie, limitée donc à un entre-soi associant le consensus le plus mou à la gêne la plus extrême, celle-ci reste un magnifique objet d’étude sociologique de notre époque. Raout mondain jubilatoire comme l’orchestre du Titanic pour le philosophe maîtrisant l’Ironie, ou triste à mourir pour le dépressif, c’est selon. Et, dans tous les cas, cette purge devient chaque année plus apocalyptique que la précédente, dans son sens terminal comme dans le sens de ce qu’elle révèle à nos yeux.
Question de bien plomber l’ambiance, nous nous souviendrons déjà des quatre premières années des César du cinéma : 1976, 77, 78 et 79. Juste quatre années suffiront pour montrer le gouffre qui nous sépare du monde d’avant. Il paraît qu’il ne faut jamais dire que c’était mieux avant, mais on va le dire quand même :
César du meilleur film
1976 : Le Vieux Fusil
1977 : Monsieur Klein
1978 : Providence
1979 : L’Argent des autres
César du meilleur acteur
1976 : Philippe Noiret
1977 : Michel Galabru
1978 : Jean Rochefort
1979 : Michel Serrault
César de la meilleure actrice
1976 : Romy Schneider
1977 : Annie Girardot
1978 : Simone Signoret
1979 : Romy Schneider
César de la meilleure musique
1976 : Le Vieux fusil – François de Roubaix
1977 : Barocco – Philippe Sarde
1978 : Providence – Miklós Rózsa
1979 : Préparez vos mouchoirs – Georges Delerue
On aurait pu continuer quelques années encore et trouver de beaux monuments du cinéma français et quelques très bon acteurs. Il faut dire que les années 80’ ont fourni encore de belles réalisations, même s’il ne s’agit plus que des dernières étincelles de la queue d’une immense comète qui illumina les années 30 jusqu’aux années 60, au moins.
En 2024, on ne célèbre plus que les femmes, cet objet fragile que l’on doit cajoler tel un frêle animal dans un univers hostile de prédateurs. Bien sûr, cela démonétise totalement les prix décernés dont on ne sait plus si c’est le genre ou bien le talent qui en est à l’origine. Les femmes capables et brillantes sont noyées dans la masse des distinctions illégitimes et ce sont bien elles qui ont tout perdu car plus personne ne peut faire confiance à un prix complétement discrédité. On applaudit le tour de force du féminisme dont on se dit qu’il aurait peut-être été mieux géré entre les mains d’hommes, c’est dire.
Ainsi, hormis les César techniques (son, décors, effets visuels, musique, photo, montage) tous remportés par des hommes (quand on touche au sérieux, nécessairement…), la plupart des prix ont donc été remportés par des femmes. D’un simple point de vue statistique, c’est louche. Autant de talent dans un groupe si peu nombreux… les mathématiciens évoqueraient des histoires de déviation absolue moyenne, d’écarts type ou de moyenne quadratique des écarts par rapport à la moyenne. Mais nous nous égarons.
– Meilleur film : une femme (Justine Triet, Anatomie d’une chute)
– Meilleure réalisation : une femme (Justine Triet, Anatomie d’une chute)
– Meilleur film étranger : une femme (Monia Chokri, Simple comme Sylvain)
– Meilleur film documentaire : une femme (Kaouther Ben Hania, Les Filles d’Olfa)
– Meilleur film de court-métrage documentaire : une femme (Gala Hernández López)
– Meilleur scénario original : une femme (Justine Triet, certes avec Arthur Harari, un scénario c’est du travail !)
– Meilleur film de court-métrage de fiction : une femme (Alice Douard, L’Attente)
– Meilleur film d’animation : une femme (Chiara Malta, avec son acolyte Sébastien Laudenbach)
– Meilleur film de court-métrage d’animation : une femme (Mathilde Bédouet, Été 96)
– Meilleure adaptation : deux femmes (Valérie Donzelli et Audrey Diwan, L’Amour et les Forêts)
Bien sûr, toutes ces auto-congratulations féminines furent entrecoupées de lamentations bien souvent embarrassantes quand elles n’étaient pas grotesques (et surtout déjà bien trop éculées). Rapide florilège :
« Je dédie ce César à toutes les femmes, à celles qui réussissent et celles qui ratent, à celles que l’on a blessées et qui s’en libèrent en parlant et à celles qui n’y arrivent pas », Justine Triet.
« Pourquoi accepter que cet art que nous aimons tant, qui nous lie, soit utilisé comme couverture pour un trafic illicite de jeunes filles ? », Judith Godrèche
« Nous voulions que l’héroïne soit vivante, que ce soit une promesse vers la lumière car le cinéma peut réparer », Audrey Diwan et Valérie Donzelli.
« Ce soir, 5 actrices filmées par 5 réalisatrices sont nommées. Du jamais vu », Juliette Binoche.
« Nous sommes tous étrangers à quelqu’un, quelque chose. Mais à l’extérieur, l’Europe, le monde, le Moyen-Orient ont mal. On veut nous faire croire que nous sommes des ennemis, mais faut-il réellement une catastrophe pour nous rappeler que nous ne faisons qu’un ? Au-delà de notre nationalité, de nos opinions, de notre sexe, de notre genre… Heureusement que l’art nous réunit. Rêvons enfin de sororité et d’égalité pour tous », Golshifteh Farahani.
Le discours de Judith Godrèche
Tout d’abord, rappelons l’analyse de Judith Godrèche à 38 ans tout de même, en 2010 : « D’abord, c’était quelqu’un d’extrêmement séduisant. (…) Alors ensuite évidemment qu’il avait énormément d’influence sur moi, et que j’étais quand même sous son emprise en quelque sorte, mais c’était une emprise extrêmement inspirante, extrêmement, euh, euh… un pygmalion, oui ! »
Puis Judith Godrèche à 51 ans, hier soir :
Tout cela fait venir à notre esprit une autre citation, de Blanche Gardin, question posée lors d’une cérémonie des César précédente (2018) : « Est-ce que les actrices ont encore le droit de coucher pour avoir des rôles ? ». A méditer.
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation