Professeur associé à l’Université du Québec et acteur clé de la mise sur pied du programme de communication de cette université, Raymond Corriveau a longtemps été membre du conseil d’administration du Conseil de presse du Québec (CPQ), qu’il a présidé de 2004 à 2009.
Quinze ans après avoir démissionné de l’organisme dans un contexte de bisbille interne, il esquisse aujourd’hui un bilan sévère de l’organisme, dans son livre Un Conseil de presse est-il encore possible? Les misères de l’autoréglementation (PUQ, 2023). « Jamais nous n’aurions pensé écrire ces lignes, confesse-t-il, mais les faits sont indiscutables : la belle aventure du CPQ n’a pas donné les résultats escomptés. »
L’ouvrage, de facture académique, n’est pas sans faiblesses. « L’histoire de l’encadrement de l’activité médiatique n’est pas encore écrite », annonce l’auteur, au début du chapitre 1. Mais la courte rétrospective qu’il esquisse ensuite est incomplète et confuse. Les éléments de contexte sont livrés en vrac, sans ordre chronologique.
Il fait ensuite un saut de quarante ans pour présenter les acteurs en jeu : les entreprises de presse et les journalistes, bien sûr, l’État, les médias communautaires (l’autre presse) et les relationnistes. Beaucoup éléments qu’il évoque sont pertinents, mais si mal présentés que seul un lecteur déjà au courant de ces enjeux saura à quoi il réfère. Disons que pour cette première partie, un bon travail d’édition aurait pu rendre son livre beaucoup plus efficace.
Cela dit, le cœur de son propos commence à la page 72 quand Raymond Corriveau rappelle cette importante tournée des régions qu’il a menée en 2008, et comment cette initiative a été torpillée ensuite par les entreprises de presse. C’est cette réaction hostile qui l’avait conduit à démissionner.
Divergences sur le mandat
À sa création, rappelle-t-il, le CPQ a reçu le mandat de protéger la liberté de presse au Québec et d’assurer au public son droit à l’information. Pour Corriveau, cela allait plus loin que de répondre aux plaintes. Il fallait regarder du côté de l’accès du public à l’information (en région, par exemple, ou en territoire autochtone), de dénoncer les obstacles au travail des journalistes (le libre accès aux sources, notamment), de baliser l’envahissement de la publicité, de mettre de l’avant des normes éthiques de plus en plus élevées, de réfléchir sur la situation de l’information et la concentration de la propriété des médias, etc.
Ce mandat trop vaste déplaisait aux patrons de presse. Dans le contexte où le CPQ a toujours été sous-financé, la position des entreprises de presse était claire : « Si le Conseil n’a pas les moyens de faire plus, qu’il se contente de traiter les plaintes. »
Ce passage d’un conseil de presse à vocation de service public à celui d’un « rayon du mécontentement » ne s’est pas fait du jour au lendemain, écrit-il. C’est le fruit d’une série de décisions aussi cruciales les unes que les autres.
Le premier geste a été la reformulation de l’outil de référence déontologique. Oui, le nouveau Guide de déontologie est plus clair, plus succinct, moins verbeux et mieux structuré, reconnait-il, mais d’immenses pans de réflexion sur les droits et responsabilités de la presse sont disparus.
On n’y trouve rien sur le problème de l’autocensure, pas de normes sur les conflits d’intérêts, par exemple. Disparue aussi tous les passages « prescriptifs » où le Conseil énonçait des principes de bonnes pratiques (sur l’ouverture aux publics, sur l’interférence de la publicité dans les politiques éditoriales, etc.). Et le ton est plus laxiste : les procédés clandestins jugés inacceptables dans l’ancien document deviennent permis, voire normaux, dans le guide.
Notons ici que le contexte juridique qui a amené les Tribunaux à juger du travail des médias à partir des énoncés des guides de déontologie explique sans doute ce relâchement des normes qui, trop strictes, devenaient dangereuses aux yeux des avocats des médias.
81% des plaintes jugées irrecevables
Corriveau évoque aussi, sans donner trop de détails, le coup de force mené par Radio-Canada, en 2017 et 2018, pour renverser une décision qui blâmait le journaliste Alain Gravel, dans une enquête qui mettait en cause le financement du PQ. Après avoir exigé des changements dans les procédures, Radio Canada, un gros contributeur financier du Conseil, a été blanchi.
Les nouvelles procédures adoptées alors rendent plus difficile le parcours du combattant de ceux qui portent plainte contre les médias. Résultat, 81% des plaintes reçues en 2022 ont été jugées irrecevables et, sur les 19% étudiées, seulement un tiers a donné à un blâme partiel ou complet.
Enfin, constate Corriveau, le CPQ a à peu près abandonné depuis 2015 tout son travail d’observation et de conseil sur l’état de l’information. Il ne joue plus son rôle. Alors qu’on parle depuis plus de 30 ans de renforcer le Conseil, cet organisme serait devenu la chose des patrons de presse, une sorte de caution de leur bonne foi, sans véritable effet sur la qualité de l’information… au moment où cette importante composante démocratique est, pourtant, de plus en plus menacée.
Le risque de ne rien réglementer
Dans sa conclusion, Corriveau évoque les enquêtes du New York Times Magazine démontrant comment les médias du groupe Murdoch ont déstabilisé des États qui ne leur étaient pas favorables. Si la dérive de notre presse n’est pas aussi flagrante, nous ne sommes pas à l’abri de tels abus, et ne rien faire pour réglementer les normes de l’information, c’est accepter ce risque.
La solution passe, à ses yeux, par la création d’un ordre professionnel pour les journalistes, avec comité de discipline, et la transformation du conseil de presse en organisme indépendant, financé par l’État. Car dans la situation actuelle, déplore-t-il, « les entreprises de presse ont trouvé le moyen de recevoir du financement sans qu’aucune obligation éthique leur soit imposée en contrepartie (…) L’État en arrive à contribuer, sans trop le réaliser, à une forme de blanchiment éthique. […] Au lieu d’une telle mascarade, ne vaudrait-il pas mieux jouer franc jeu et avoir un conseil de presse directement financé par l’État ? »
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