L’art de nuire aux femmes

L’art de nuire aux femmes

L’autrice est députée du Bloc Québécois

La COP 28 s’est terminée le 13 décembre avec un accord que près de 200 pays ont approuvé par consensus.  Comment qualifier cet accord?  Avancée, mascarade, impuissance?

Voilà! Vous aurez compris que je ne suis aucunement enthousiaste face à cet accord qui n’aidera en rien à régler la crise climatique. En ce mois de mars, j’aimerais rappeler que les femmes sont souvent les plus vulnérables face aux changements climatiques dus à plusieurs facteurs sociaux, économiques et culturels.

Les données de l’ONU à cet effet donnent froid dans le dos. Selon des informations recueillies auprès de 141 pays frappés par une catastrophe, les femmes et les enfants ont 14 fois plus de risque de mourir lors de catastrophes climatiques qu’un homme.

Le rapport du Programme des Nations unies pour le développement explique que « lors de catastrophes naturelles comme les sécheresses, les inondations et d’autres épisodes climatiques graves, les femmes affrontent des risques supplémentaires, essentiellement à cause des inégalités entre les sexes. Par ailleurs, les femmes sont souvent dissuadées d’apprendre des stratégies d’adaptation et d’acquérir des compétences de survie, comme monter aux arbres ou nager ».

« Tous ces facteurs, poursuit le rapport, les désavantagent lorsque les inondations surviennent. Les femmes n’ont souvent pas l’autorisation d’évacuer leur foyer sans l’autorisation de leur mari. Les codes vestimentaires culturels sexospécifiques gênent leur mobilité pendant les situations d’urgence, ce qui accroît leur taux de mortalité de façon disproportionnée lorsqu’elles surviennent. »

Des exemples, 80% des victimes du cyclone Sidr au Bangladesh en 2007 et 61% des victimes de Nargis en Birmanie en 2008 étaient des femmes et des filles. Toujours selon l’ONU après le passage de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans en 2005, la majorité des 1800 victimes étaient des femmes d’origine afro-américaine avec leurs enfants. C’est une bien triste réalité.

Le choix des mots

Bon, revenons à l’entente de la COP 28. Pour moi, les propos sarcastiques de Jean-René Dufort lors de l’émission Infoman de fin d’année sont ceux qui définissent le mieux cet accord. Que dire, sinon qu’il a raison en parlant d’un « consensus ferme de continuer à penser à peut-être tendre à réduire un jour, quand ça nous tentera, notre consommation de combustibles fossiles ».

Dans tous ces textes, les verbes utilisés doivent être analysés sérieusement.  Dans le cas de la COP 28, on lit ce qui suit : « Transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action dans cette décennie cruciale, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques. »

Le président de la COP, le Sultan Al-Jaber a parlé d’une décision historique qui accélèrera l’action climatique. Peut-on vraiment croire celui qui est également à la tête de la compagnie nationale pétrolière d’Abou Dhabi?

Or, nous savons depuis des décennies que l’exploitation des combustibles fossiles est la principale source du réchauffement climatique et de ses dérèglements.

Le lobby pétrolier et gazier

Je dois dire que j’ai participé à de nombreuses COP depuis le début de mon mandat en 2015, la première fut la COP 21 à Paris et la dernière était celle de 2023 à Charm el Cheik en Égypte. Au fil des ans, j’ai pu constater que les kiosques liés aux énergies fossiles avaient nettement augmenté.

À Dubai, près de 2500 lobbyistes du secteur pétrolier et gazier étaient présents.  D’année en année, ceux-ci se font de plus en plus visibles aux COP. Selon certains participants, la COP 28 avait presque l’air d’une foire commerciale.

Considérant cette présence accrue de l’industrie pétrogazière, on ne peut être surpris que le texte aborde, du bout des lèvres, les énergies fossiles comme responsables du changement climatique.

Est-ce pour autant une victoire?  Est-ce une décision historique? La seule mention des énergies fossiles dans un texte de l’ONU fait en sorte que plusieurs y voient une avancée. Permettez-moi d’être sceptique, pour ne pas dire pessimiste.

Certains y voient le début de la fin des énergies fossiles comme le commissaire européen chargé du climat, Wopke Hoekstra. Certaines ONG parlent d’un pas en avant. L’ONG WWF ou Fonds mondial pour la nature y voit une amélioration face aux versions précédentes. Andrea Sieber de 350.org écrit que l’accord envoie le message que les pays s’engagent vers la sortie des énergies fossiles. Le ministre Guilbeault dit que l’accord est monumental.  Ce qui aurait été monumental, ça aurait été que le mot réduction apparaisse dans l’accord au lieu de simplement parler de transitionner.

De la poudre aux yeux

Encore une fois, le gouvernement Trudeau nous jette de la poudre aux yeux, lui qui avait refusé d’inscrire la réduction du pétrole et du gaz dans le texte final de la COP 2022. Quant à Greenpeace, il juge l’accord nettement insuffisant, mais souligne quelques avancées. J’y reviendrai.

L’Alliance des petits pays insulaires, ces pays qui voient la hausse du niveau des mers venir gruger leur territoire, juge que le texte « ne fournit pas l’équilibre nécessaire pour renforcer l’action mondiale pour corriger le cap sur le réchauffement climatique. »

Plusieurs ONG se rangeaient derrière le verbe « phase out » qui pourrait se traduire par sortir du pétrole, du gaz et du charbon. Transitionner pourrait dire s’éloigner, mais sûrement pas sortir en plus de donner beaucoup de marge de manœuvre aux pays. L’importance des verbes, vous disais-je.

Tous les pays peuvent y lire ce qu’ils veulent.  Ils peuvent continuer à exploiter les énergies fossiles sans se faire taper sur les doigts, car le texte ne parle pas de sortir des énergies fossiles, mais de s’en éloigner.

De plus, les producteurs de pétrole font reposer l’atteinte de carboneutralité sur des technologies non éprouvées telles que le captage et le stockage du carbone.  Le Bloc Québécois a dénoncé à plusieurs reprises ces technologies qui, même si elles s’avéraient efficaces dans un horizon d’une dizaine d’années, ne font que nous permettre de ne pas nous poser de questions sur la production de nos biens, sur nos déplacements, sur notre façon de vivre.  Continuer à tout prix même si nous détruisons la biodiversité et la planète.  

En ce qui concerne les entreprises, l’objectif est de continuer à pomper du pétrole. La preuve, en ce début d’année, la pétrolière Suncor Énergie se targuait d’avoir produit en décembre plus de 900 000 barils de pétrole par jour, ce qui constituait leur meilleure performance mensuelle jamais enregistrée.  Ils ont donc pu atteindre la deuxième production trimestrielle la plus élevée de leur histoire.

D’autres enjeux ont été discutés lors de la COP 28 et ont abouti vers des solutions intéressantes. Par exemple, il y a eu des progrès pour la justice climatique.  On parle ici du fait que les pays compensent financièrement les dommages causés par l’industrie des combustibles fossiles aux pays et territoires plus vulnérables touchés gravement par les changements climatiques.

Une autre avancée intéressante est l’engagement de tripler l’énergie renouvelable et doubler l’efficacité énergétique d’ici 2023. On veut aussi accélérer les technologies zéro carbone comme l’hydrogène et le nucléaire. Cependant, plusieurs textes ont été écrits sur ces sujets dans ce journal mettant en doute de telles initiatives. Mon optimiste est donc très limité.

Une alternative : les cours de justice?

Par contre, la véritable action se situe ailleurs que dans les COP. Aux États-Unis, des équipes de juristes s’attaquent à plusieurs pétrolières pour les dégâts causés par la chaleur dans certaines villes du nord-ouest.

Des actions en justice sont initiées depuis 2017 et concernent tout autant les dommages créés par l’impact climatique de l’exploitation des énergies fossiles que des décennies de désinformation que cette industrie a faite.

Des jeunes de différents pays accusent leur pays de ne pas tenir compte du droit à un environnement sain.  Certains groupes ont gagné devant les tribunaux. Au Montana, en France, aux Pays-Bas des gains ont été enregistrés.

Selon l’ONU, les poursuites judiciaires se multiplient. Si les politiciens échouent devant leur obligation, les citoyens n’ont d’autre choix que de s’en remettre aux tribunaux.

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Source: Lire l'article complet de L'aut'journal

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