Palestine : Rendre justice

Palestine : Rendre justice

Il n’y a pas de liberté sans droits, sans justice
 

Par son ordonnance du 26 janvier 2024, la Cour internationale de Justice, la plus haute institution judiciaire internationale, a confirmé (paragraphe 54 de l’ordonnance) que « les faits et circonstances mentionnés ci-dessus suffisent pour conclure qu’au moins certains des droits que l’Afrique du Sud revendique et dont elle sollicite la protection sont plausibles. Il en va ainsi du droit des Palestiniens de Gaza d’être protégés contre les actes de génocide et les actes prohibés connexes ».

Autrement dit, la Cour estime qu’il est plausible de considérer que les actions militaires et autres en cours par Israël dans la bande de Gaza (décrites en détails dans les paragraphes 46-53) répondent aux critères requis par la Convention sur le génocide pour que l’on puisse faire état d’actes de génocide.

En outre, puisque le pouvoir de la Cour d’indiquer des mesures conservatoires n’est exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits revendiqués avant que la Cour ne rende sa décision définitive (rappelons, donc, que l’ordonnance en objet ne constitue pas la décision finale sur le sujet), la Cour précise (paragraphe 66) que « À la lumière des valeurs fondamentales que la convention sur le génocide entend protéger, la Cour considère que les droits plausibles en cause en l’espèce, soit le droit des Palestiniens de la bande de Gaza d’être protégés contre les actes de génocide et actes prohibés connexes visés à l’article III de la convention sur le génocide et le droit de l’Afrique du Sud de demander le respect par Israël de ses obligations au titre de cet instrument, sont de nature telle que le préjudice qui leur serait porté pourrait être irréparable ». Selon la Cour, la situation dramatique de la population palestinienne est telle que le risque est réel et imminent.
 

Sur la base de ces deux constats et, en conclusion, la Cour ordonne, au paragraphe 74, les mesures conservatoires suivantes :

« 1) L’État d’Israël doit… prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes suivants :

a) meurtre de membres du groupe; b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; et d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe

2) L’État d’Israël doit veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette aucun des actes visés au point 1 ci-dessus

3) L’État d’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza

 4) L’État d’Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza

 5) L’État d’Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application des articles II et III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide commis contre les membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza

 6) L’État d’Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à la présente ordonnance dans un délai d’un mois à compter de la date de celle-ci. »
 

Lors de sa défense, le jour de la présentation par la Cour de la demande d’intervention présentée par l’Afrique du Sud, le gouvernement d’Israël a essayé de rejeter la légitimité de la Cour de se saisir de l’affaire et, affirmant qu’Israël était intervenu uniquement pour des raisons de légitime défense, il a proposé de considérer la situation comme une question purement humanitaire.

Par ses ordres, notamment les trois premiers, la Cour Internationale de Justice non seulement réaffirme la totale légitimité de la Cour d’intervenir mais elle établit que la situation se configure réellement comme un ensemble d’actes de génocide et que l’État d’Israël doit immédiatement prendre des mesures pour arrêter et empêcher la poursuite de ces actes de la part de son armée et d’autres institutions du pays. À celle fin, ordre n.6, l’État d’Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à la présente ordonnance.

Il s’agit d’une intervention de la Cour de grande importance car, avant tout et surtout, elle « rend justice », c’est-à-dire elle réaffirme la primauté du droit sur tout autre « impératif », raison, objectif. Tout en revendiquant, à l’occasion, la légitimité de ses compétences, obligations et pouvoirs, la Cour réaffirme que les principes de justice doivent être respectés sans exceptions par tout État, quel qu’il soit. Aucun État, même le plus puissant (on pense, évidemment, au cas des États-Unis) ne peut échapper à une telle obligation, faute de quoi il se place en dehors de la communauté internationale. Le droit existe, il n’est pas disparu, réitère la plus haute autorité judiciaire mondiale. Personne n’est au-dessus de la loi. Nous vivons dans un monde où les dominants ont réussi à faire croire qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent où ils veulent. Qu’ils peuvent lancer des guerres, ne pas respecter les traités internationaux, poursuivre impunément la prédation et la destruction de la vie de la Terre, car les seules règlent qui comptent sont celles établies par eux. Ils agissent en tant que maîtres absolus de la Terre, exclusivement dans leur intérêt et, surtout, pour défendre la sécurité de leur puissance. Dans ce contexte, la sentence actuelle, de la Cour, non définitive, vaut de l’or.

Certains diront que la Cour n’a pas ordonné le cessez-feu immédiat et sans conditions. C’est correct. Ils oublient cependant qu’il s’agit d’une ordonnance non définitive, qu’elle concerne juridiquement uniquement les actions de l’État d’Israël en Palestine, et que l’indication de mesures conservatoires qu’elle ordonne ce 26 janvier ne préjuge en rien la nature et les contenus de l’ordonnance définitive. En outre, il suffit de lire les trois premiers ordres pour constater que l’application par Israël des mesures ordonnées par la Cour se traduirait par la cessation de ses actions militaires actuelles.

Je ne suis pas juriste, mais je trouve que la Cour a rendu un énorme service à la valeur de ce grand bien commun public mondial qu’est la Justice avec un J majuscule. Elle a réinsisté sur le rôle fondamental du Droit, des règles, pour le bon fonctionnement de la société et de la communauté de vie mondiale de la Terre. Or, comme on le sait, les États-Unis et les autres États puissants du monde, Israël compris, ont systématiquement ignoré et non respecté les résolutions de l’ONU, ses multiples traités internationaux, les articles des déclarations universelles des Droits humains et des Droits des peuples. Par cette ordonnance, la Cour nous rappelle que la vie, et donc la justice, est sacrée. Un acte d’amour formidable en particulier envers les jeunes générations.

Titulaire d’un doctorat en Sciences politiques et sociales, et du doctorat honoris causa de huit universités : Suède, Danemark, Belgique (x2), Canada, France (x2) et Argentine. Professeur émérite de l’Université catholique de Louvain (Belgique) ; Président de l’Institut européen de recherche sur la politique de l’eau (IERPE) à Bruxelles (www.ierpe.eu). Président de « l’Université du Bien Commun » (UBC), association à but non lucratif active à Anvers (Belgique) et à Sezano (VR-Italie). De 1978 à 1994, il a dirigé le département FAST, Forecasting and Assessment in Science and Technology à la Commission de la Communauté européenne à Bruxelles, et en 2005-2006, il a été Président de l’Aqueduc de la région de Puglia (Italie). Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’économie et les biens communs.

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