Au fin fond du Népal, des coolies tendent à bout de bras, au moment où j’écris ces lignes, de fines et longues pipes sur lesquelles sont montés de drôles d’appareils. Mon Dieu, qu’est-ce? On s’approche, humble comme face à un autel, dans l’attente d’un prodigieux geste ancestral. On croit à une pratique de la vieille alchimie. Une cérémonie du passé dont même la fonction nous serait perdue. On s’approche encore. Aaaahhh!
Effroi! Des perches à selfies! Ils n’ont pas plus de dents que leurs pères, pourtant. Ils ont encore la même vélocité à la montée. Leurs dos sont cassés de la même façon. Des perches à selfies! Et vous verrez le même geste, le même fin tuyau de plastique au bout des bras des hommes du Bhoutan, au large des Comores à bord des véloces kwassas-kwassas, tenu par des doigts de pêcheurs, au fond des forêts d’Alaska, dans des steppes sans horizon, dans les déserts les moins amènes à l’homme et où, si un homme vient à passer monté sur un camélidé à la bouche molle, un seul homme, cet homme suffit pour la tendre à bout de bras, cette perche, et faire un selfie de merde, son chameau, interloqué, en arrière-plan.
Partout, comme une bête marquée, l’homme a accepté ce niveau de dégradation. C’est un fait inédit dans l’histoire des hommes, un tel renoncement.
— Nicolas Boucher, Fallait-il tuer Macron?
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