Méditations sur l’ouverture d’un “front arctique”
• Sait-on que les Allemands imaginent, dans leurs cercles de planification militaire, comment les Russes préparent une invasion du Nord par le nord, sinon l'arctique ? • Andrew Korybko nous instruit à ce propos.
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Comme l’écrit l’auteur dans sa première ligne (« Cet exercice de réflexion ne doit pas être interprété à tort comme suggérant… »), nous dirions que ce commentaire ne doit pas être pris comme une appréciation de la possibilité d’une guerre avec la Russie impliquant les pays baltes, puis l’Allemagne et tout le diable et son train, jusqu’aux inoubliables États-Unis. Ce commentaire est fait, non pour porter un jugement sur l’orientation (d’ailleurs très prudente) de l’excellent texte d’Andrew Korybko, mais pour illustrer une situation où, désormais, lorsqu’il s’agit d’un pays de l’entente américaniste-occidentaliste, de l’Occident-explosif, du bloc-BAO, de l’OTAN, etc., rien d’autre n’est concevable avec la Russie que la nième guerre causée par la Russie. C’est dans tous les cas ce que nous disent les projections de situation effectuées par le ministère allemand de la défense concernant l’éventuelle expulsion de citoyens lettons ou apatrides d’origine russe, dans un document obligeamment fuité à l’intention de ‘Bild’. (On peut lire des observations et commentaires très approfondis sur cette fuite par ‘TheThinker-Simplicius’.)
Korybko nous explique donc le cas, largement inspiré des comportements ukrainiens et, pourquoi pas, israéliens, de la Lettonie, éventuellement suivie par l’Estonie. Il ne fait pas de prospective, il le précise, mais décrit la possibilité d’un enchaînement. Ce faisant, il ouvre notre attention à la possibilité de l’ouverture d’un front Nord, sinon d’un front arctique avec la Finlande, tout en dénonçant explicitement la manière dont l’Occident, par ses moyens de communication orientée, continue à charger la Russie d’ambitions impérialistes agressives.
En même temps que nous sommes instruits de ces possibilités nordiques de proposer un relais à une “absence de victoire” (ne parlons pas de “défaite”) de l’Ukraine, apparaît de plus en plus clairement la possibilité d’un conflit israélo-palestinien montant jusqu’à une attaque de l’Iran. Le colonel Macgregor nous explique avec son allant habituel comment l’Iran manœuvre à merveille pour riposter à des attaques terroristes sans pour autant faire de la provocation qui entrerait dans le jeu israélo-américaniste. On peut encore mentionner le regain classique de tension après l’élection présidentielle à Taïwan, et peut-être continuer… Ainsi pourrait-on dire ironiquement que l’on fait, dans notre époque, des “tours du monde en 80 conflits” (ou “possibilités de conflits”, mais la formule est moins sexy) : partir de Lettonie pour arriver à Taïwan et envisager plus encore, les nouvelles vont vite aujourd’hui.
Ainsi est effectivement mis en évidence le principal facteur de survie de l’“idéal de puissance” : non pas la force et la puissance des armes, non pas l’idéologie et ses idées, non pas la géopolitique triomphante, non pas l’affrontement suprême, même pas, –‑ mais la communication, le système de la communication, qui nous propulse d’un conflit-l’autre, sans besoin de guerre immédiate, mais toujours débusquant les obsessions de guerre, la confusion des stratégies, la pratique maniaque de la provocation… Si ces concepts ont semblé faire penser que le texte (le nôtre) est favorable à un parti plutôt qu’à un autre, libre au lecteur de céder à cette impulsion. La tendance ‘pavloviste’, – ou ‘réflexion de Pavlov’, – dite également “réflexe de tentation-de-guerre” est certainement le domaine de ce qu’il nous reste de liberté de pensée et de parole le plus exploré et exploité par les temps qui courent, qui courent, qui courent et courent si vite…
En attendant qu’on sache que le texte d’Andrew Korybko, extrêmement raisonnable et mesuré tout en étant fort bien documenté, est du même 18 janvier que le nôtre. Son titre (« L'expulsion prévue de certains Russes par la Lettonie pourrait mettre en branle le scénario de Bild ») a été raccourci sans intention de nuire.
dde.org
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Perspectives du scénario de ‘Bild’
Cet exercice de réflexion ne doit pas être interprété à tort comme suggérant qu'une guerre OTAN-Russie dans les pays baltes (et éventuellement s'étendant jusqu'à l'Arctique via la Finlande, nouveau membre) est inévitable, mais simplement qu'une réaction en chaîne pourrait bientôt se produire, par laquelle les événements ressemblent au scénario prévu par l'Allemagne. mais sans que ce soit la faute de la Russie.
Le quotidien ‘Bild’ a cité des documents classifiés provenant du ministère de la Défense pour rapporter récemment que l’Allemagne se préparait à une guerre avec la Russie, dont l’impact narratif a été analysé sur ce site comme faisant avancer la proposition d’un « Schengen militaire » présentée par le chef allemand de la logistique de l’OTAN, Sollfrank, en novembre dernier. Comme son nom l’indique, ce concept vise à optimiser la bureaucratie et la logistique à travers le bloc afin d’en faire un espace militaire unique, le tout dans le but de faciliter les mouvements militaires vers la frontière russe.
Selon le rapport de ‘Bild’, le scénario du ministère allemand de la Défense prévoit que la Russie encouragera les citoyens co-ethniques russes dans les États baltes à des émeutes d’ici cet été, ce qui déclencherait alors une crise plus large avec l’OTAN. L'insinuation est qu'ils n'ont pas de griefs légitimes et ne le feraient qu'à la demande du Kremlin, mais la réalité est qu'ils sont considérés comme des citoyens de seconde zone en Estonie et en Lettonie, ce qui leur donne des raisons de manifester pacifiquement à tout moment pour soutenir de plus de droits.
La Lettonie est peut-être sur le point d’ouvrir le bal étant donné l’expulsion imminente de près de 1 000 ressortissants russes qui n’ont pas satisfait aux normes strictes de compétence linguistique de l’année dernière pour le renouvellement de leurs documents de résidence. La radiodiffusion publique estonienne a rapporté en septembre dernier qu'il y avait 25 000 citoyens russes là-bas, donc ce ne serait pas une mince affaire qu'un si grand nombre soit éventuellement expulsé. Le président Poutine vient de dire que, pour cette raison, l’affaire est « très grave et affecte directement la sécurité de notre pays ».
On ne peut pas non plus exclure que cette dernière décision précède l’expulsion de la minorité russe « non-citoyenne » de Lettonie, qui est essentiellement apatride puisqu’elle n’a jamais reçu la citoyenneté de son pays d’origine historique ni celle de son lieu de naissance après avoir échoué à satisfaire aux exigences linguistiques strictes de cette dernière. Ils représentent environ un tiers de la minorité russe de Lettonie, laquelle représentant environ un quart de la population, ce qui équivaut à environ 130 000 personnes incluant les 25 000 mentionnés précédemment.
Plus de 8 % de la population actuelle de la Lettonie pourrait donc être expulsée dans le cas où ce pays étendrait ses normes strictes de compétence linguistique aux « non-citoyens » légalement désignés. Les critiques des autres membres de l’UE concernant les droits de l’homme pourraient potentiellement être contrecarrées par des propos alarmistes sur les implications sécuritaires de les laisser rester en Lettonie, selon le scénario prévisionnel du ministère allemand de la Défense cité par ‘Bild’.
Ceux qui restent encore sceptiques quant à la légitimité de cette démarche spéculative pourraient alors s’entendre dire qu'elle est toujours « beaucoup plus humaine » que le violent nettoyage ethnique des Palestiniens de Gaza par Israël et que la Russie pourrait facilement accepter ses co-ethniques à tout moment, tout comme l'Égypte. et la Jordaniz pourrait facilement accepter le leur. Cette tactique manipulatrice de gestion de la perception omet le fait que les Russes des pays baltes et les Palestiniens de Gaza sont nés sur les lieux où ils habitent et que les contraindre à déménager constitue un véritable nettoyage ethnique.
Pour en revenir à la dernière mesure que le président Poutine a qualifiée de « très grave et affectant directement la sécurité de notre pays », on ne peut pas tenir pour acquis que les quelque 130 000 Russes « non-citoyens » de Lettonie se mobiliseront politiquement, même si c'est possible, s'ils interprètent la mesure comme un signal indiquant qu'ils sont les prochains. Cela pourrait se produire indépendamment de tout encouragement du Kremlin, qui préférerait qu’ils vivent là où ils sont nés à moins qu’ils ne choisissent de retourner volontairement dans leur patrie historique.
Néanmoins, toute mobilisation politique indépendante de la part de cette communauté de seconde zone est présentée à l’avance comme « gérée par le Kremlin » et pourrait être replacée dans le contexte des prévisions de scénario du ministère allemand de la Défense afin de semer la peur au maximum sur les implications. Cela pourrait à son tour servir de faux prétexte sécuritaire pour promulguer une législation secrètement planifiée pour leur expulsion ainsi que pour accélérer les plans de mise en œuvre du « Schengen militaire ».
L'Estonie pourrait coordonner une telle démarche avec la Lettonie en raison de ce qu'elle pourrait prétendre être des préoccupations liées à la sécurité concernant sa propre minorité russe, qui jouit de droits comparativement meilleurs que dans ce pays voisin et dont la plupart sont reconnues comme citoyens estoniens. Si cela se produisait, la Finlande pourrait alors se retrouver entraînée dans cette crise qui émerge rapidement en raison de ses liens de parenté avec l’Estonie et de sa nouvelle adhésion à l’OTAN, qui a plus que doublé la frontière du bloc avec la Russie.
Fin novembre, on pouvait lire que « la Finlande est déterminée à se positionner comme un État de l'OTAN en première ligne face à la Russie », et à la fin du mois dernier, on pouvait lire que « CNN ment sur les responsables de l'ouverture du front arctique de la nouvelle guerre froide », ce qui, d'un point de vue narratif, a conditionné les Occidentaux à cette éventualité. Par solidarité avec l'Estonie, la Finlande pourrait demander un nombre très important de troupes et d'équipements de l'OTAN, ce qui serait facilité par l'éventuelle mise en œuvre du « Schengen militaire » d'ici là.
Cet exercice spéculatif ne doit pas être interprété comme suggérant qu'une guerre OTAN-Russie dans les pays baltes (et s'étendant éventuellement à l'Arctique via le nouveau membre qu'est la Finlande) est inévitable, mais simplement qu'une réaction en chaîne pourrait bientôt se produire et que les événements ressembleraient de manière inquiétante au scénario prévu par l'Allemagne. Cependant, au lieu d'être de la responsabilité de la Russie, l'Occident serait lui-même à blâmer et souhaiterait que tout cela se produise pour nettoyer ethniquement les Russes des pays baltes, militariser l'Arctique et mettre au point le « Schengen militaire ».
Andrew Korybko
Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org