L’autrice est fellow à l’Institut des Études internationales de Montréal et chercheuse en droit Université de Sherbrooke. Elle vient de publier La laïcité de l’État. Socle du droit des femmes à l’égalité aux Éditions du Renouveau québécois.
Quand on lit de manière générale sur l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme dont on souligne le 75e anniversaire ce mois-ci, nous apprenons que ce document fondateur des droits de la personne doit être crédité à l’Étasunienne Eleanor Roosevelt, qui présidait le comité et la rédaction, et au grand René Cassin, juriste français qui a reçu le prix Nobel de la paix pour cette réalisation. En fouillant un peu plus loin, on apprend aussi que le Canadien John Humphrey a lui-même élaboré les premières versions de la Déclaration.
Quand on continue à chercher, on tombe sur des textes comme celui du professeur William Schabas, qui révèle que le Canada n’était pas très chaud à l’idée d’adopter cette déclaration, s’étant même abstenu lors du vote en commission, pour se raviser et voter en faveur durant la plénière de l’Assemblée générale des Nations unies de 1948. Somme toute, le premier récit de l’adoption de la Déclaration nous semble conforme à ce que l’on savait, soit que les hommes occidentaux ont effectué le travail de cette Déclaration internationale, devenue universelle à la suggestion de René Cassin.
Cependant, grâce aux recherches des professeures et chercheuses telles que Rebecca Adami, qui a publié en 2021, avec Dan Plesch, un ouvrage exhaustif (Women and the UN : A New History of Women’s International Human Rights) sur le rôle des femmes à l’ONU, nous apprenons que dès les premières réunions des Nations unies en 1945 pour l’adoption de la Charte de l’ONU et en 1948 pour l’adoption de la Déclaration, ce sont ces femmes (du Sud, essentiellement) qui ont mené la bataille afin que la position des femmes et des féministes (las feministas d’Amérique latine) soit entendue et soit prise en compte dans la Charte et la Déclaration.
« Contre-récit »
J’ai découvert cette année ce « contre-récit », comme le souligne la professeure Adami, en poursuivant des études supérieures sur l’origine du droit à l’égalité entre les sexes en droit canadien. Je me suis donc penchée sur les premiers instruments et documents internationaux des droits de la personne tels que la Charte des Nations unies et la Déclaration universelle afin de saisir comment, en 1945 et en 1948, l’ONU consacrait-elle déjà dans ces deux outils l’égalité entre les femmes et les hommes, le droit de tous les humains et non seulement les droits des hommes.
Je croyais pouvoir créditer la présence du mot « femme », des concepts d’égalité entre les femmes et les hommes ou le droit de ne pas être discriminé à cause de son sexe à Eleanor Roosevelt, qui présidait le comité de rédaction de la Déclaration. C’est avec surprise, mais non moins avec un grand plaisir, que j’ai appris que c’est à des représentantes féminines (et féministes) de pays non occidentaux que nous devons la reconnaissance précoce du droit des femmes à l’égalité (bien avant le droit interne canadien) dans ces deux documents fondateurs des Nations unies et des droits de la personne dans le monde.
La chercheuse suédoise Rebecca Adami a fait un exercice de recherche important dans les procès-verbaux des instances (et autres archives) de l’ONU dès la conférence de San Francisco et a souhaité faire connaître et reconnaître l’oeuvre de ces femmes de Sud, d’abord dans un article intitulé «Counter Narrative».
Adami nous apprend que ce sont trois déléguées du Sud qui ont porté le flambeau de l’égalité et parfois contre des femmes des pays occidentaux afin d’obtenir que le langage et les droits énoncés reflètent les droits des femmes. Adami réitère l’action courageuse de ces femmes qu’il vaut la peine de nommer ici : « Hansa Mehta (1897–1995), une déléguée et législatrice indienne active dans le mouvement pour l’indépendance de l’Inde, aussi déléguée à la Commission des droits de l’homme; Begum Shaista Ikramullah (1915–2000), une autrice pakistanaise, fondatrice de la Fédération des étudiantes musulmanes du Pakistan et déléguée à la troisième commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles de l’ONU; et Minerva Bernardino (1907–1998), politicienne et féministe, leader des mouvements de femmes en République dominicaine et déléguée à la troisième commission des Nations unies et à la Commission de la condition de la femme. »
La lecture de ce récent ouvrage rend évident le trou dans le récit de l’histoire de la Déclaration par l’absence du rappel du rôle inégalé de ces femmes du Sud pour nos droits à nous, femmes d’aujourd’hui. N’eût été ces trois femmes, mais aussi Bertha Luz, la déléguée du Brésil en 1945, le mot « femme » n’apparaîtrait pas dans ces deux documents.
Dès 1945, Mme Roosevelt et une autre déléguée américaine s’opposaient à l’idée de mettre la clause d’égalité des sexes et soutenaient que le mot «homme» incluait les femmes (!). Bertha Luz, dans un discours (voir encore une fois Rebecca Adami) à ses paires, rappelait que partout dans le monde depuis la Magna Carta, les hommes s’étaient battus pour que leurs droits soient reconnus. Si plusieurs disent que les femmes sont incluses dans le mot «homme», il faut voir que les femmes sont encore interdites de participation dans la vie publique.
Sans ces femmes du Sud (global !), il n’y aurait pas le concept et la norme juridique de l’égalité entre les femmes dans la Charte des Nations unies et dans la Déclaration universelle, et probablement dans les autres instruments juridiques qui ont suivi. Il n’y aurait pas la reconnaissance de la pleine participation des femmes dans les instances de l’ONU non plus!
Ces femmes ont imposé par vote la création de la Commission de la condition de la femme à l’ONU, ont imposé que l’article premier de la Déclaration désigne le sujet de droit « tous les êtres humains », au lieu de « tous les hommes », elles ont imposé qu’il n’y ait pas de discrimination en vertu du sexe à l’article 2. Ikramullah, la déléguée du Pakistan, s’est battue avec force pour l’adoption de l’article 16 de la déclaration qui affirme que le mariage ne peut être consacré qu’avec le plein consentement des deux époux et que l’égalité des sexes dans le mariage est la norme.
Ces faits entraînent une réflexion sur la croyance (fausse) que la Déclaration universelle est une histoire d’hommes blancs avec des droits d’hommes blancs. Au contraire, il est temps de reconnaître que le droit international des femmes à l’égalité est totalement dû à ses femmes du Sud, clairvoyantes, courageuses, qui n’ont pas craint de déranger ces messieurs et leurs alliées et qui profite aujourd’hui à tous et à toutes !
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