L’auteur est vice-président de la section Andrée Ferretti à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
L’Université McGill manifeste vigoureusement son mécontentement à l’annonce de l’augmentation des frais de scolarité pour les Canadiens venant étudier en anglais au Québec. Elle estime que cette mesure représente une « menace à sa culture » et annonce qu’elle risque de couper 700 emplois, soit près de 10% de ses effectifs.
À première vue, une dépendance aussi importante au reste du Canada peut laisser perplexe et poser certaines questions sur sa gestion. Mais lorsqu’on se plonge dans son passé, on arrive à mieux comprendre pourquoi une décision aussi cohérente avec nos intérêts et notre culture déclenche une telle réaction de la part de la première institution universitaire du Québec.
Genèse de McGill
L’origine de McGill remonte aux lendemains de la Conquête. Dans son sillage, certains marchands britanniques, dont l’esclavagiste James McGill, prirent le contrôle du commerce des fourrures du Canada. La rupture franco-canadienne leur avait laissé la voie libre pour supplanter dans ce domaine les marchands francophones, désormais privés de leurs réseaux commerciaux et réduits à jouer un rôle de second plan. C’est à travers cette seconde étape, économique, de la Conquête que James McGill a obtenu les moyens de faire le généreux don testamentaire qui a donné naissance à l’institution qui porte son nom.
Quelques années plus tard, les Patriotes réclamaient que la fortune qui provenait des biens des jésuites confisqués par la Couronne lors de la Conquête serve à financer l’éducation pour tous les enfants de la province. Le gouverneur britannique a plutôt décidé, en vertu de son énorme pouvoir discrétionnaire, que ce capital servirait à financer McGill où serait formée, dans sa langue, une élite canadienne dévouée à son Empire. Ainsi, c’est une victoire militaire doublée d’une domination économique, qui a jeté les bases d’un pouvoir culturel qui fera perdurer les effets de la Conquête à travers notre histoire.
Depuis, McGill est restée fidèle à sa vocation impériale. On doit se souvenir comment ses étudiants ont exprimé leur loyauté, en mars 1900, lorsqu’ils sont allés vandaliser les institutions francophones (journaux et l’Université) de Montréal en guise de représailles à l’endroit des Canadiens-français qui n’avaient pas « le bon goût » de vouloir contribuer à la guerre impériale en Afrique du Sud. Une guerre dont on disait à l’époque qu’elle constituait une « ouverture au monde » à travers la diffusion des bonnes valeurs britanniques.
Un héritage bien présent
Jusqu’à aujourd’hui, McGill a pu compter sur l’appui des autorités impériales puis fédérales, devenues leurs héritières de fait et de droit. Leur comptabilité est frappante : à elle seule, McGill reçoit le tiers des fonds de recherche d’Ottawa. Ainsi, alors que la moitié du budget de McGill dépend des fonds versés par le gouvernement et par les étudiants du Québec, le réseau de l’Université du Québec, lui, en dépend à 90%1 . Combinées, les règles qui déterminent le financement des universités favorisent disproportionnellement les universités anglophones de telle sorte qu’elles reçoivent 3,7 fois plus d’argent par étudiant anglophone que les universités francophones en reçoivent par francophone. Une institution brille au sommet de cette injustice : McGill.
Une telle situation explique comment elle pouvait se permettre, le 21 janvier 2010, d’annoncer sans l’aval de Québec qu’elle multiplierait par 20 les frais de scolarité d’un de ses programmes, les faisant grimper à près de 30 000$ par année. C’est à peine trois semaines plus tard que le gouvernement Charest, tel un loyal sujet, rendait publique son intention d’augmenter les frais de scolarité pour l’ensemble des universités québécoises.
Aujourd’hui, les McGillois qui s’opposent à cette nouvelle hausse dans leur université devraient nous rappeler où ils se trouvaient en 2012, lorsque nous étions plus de 300 000 à avoir freiné notre scolarisation au service d’un idéal où une éducation supérieure démocratisée favoriserait l’égalité des chances de tous les Québécois. La réponse on la connaît. Ils étaient confortablement assis sur leurs bancs d’école cultivant, entre eux, leur « ouverture sur le monde », déclinaison modernisée de l’impérialité d’hier. Cela n’a pas empêché les anglo-québécois de jouir, en toute bonne conscience, du résultat de notre lutte sans avoir à renoncer à leurs privilèges hérités des Conquérants d’autrefois.
Ce faisant, ils réclament que les Québécois continuent à financer la solidarité canadienne-anglaise comme ils considéraient, en 1900, que les Canadiens-français devaient soutenir les guerres de l’Empire britannique dans ses aventures « civilisatrices ».
La situation offre aux McGillois l’occasion de faire un examen de conscience. À défaut, un gouvernement du Québec conscient de ses devoirs devrait leur rappeler qu’ils sont nos concitoyens dans un Québec qui ne veut pas entretenir de rancunes, mais qui exige une justice ferme. Si elle aime le Québec autant qu’elle le prétend, McGill doit renoncer à ses privilèges impériaux pour contribuer pleinement à notre société.
1. Voir F. Lacroix Pourquoi la loi 101 est un échec
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal