Quatorze mois après la tentative d’assassinat dont il a été victime à New York, Salman Rushdie a reçu le Prix de la paix des libraires allemands, le 22 octobre, lors de la Foire du livre de Francfort. L’aut’journal publie un extrait de son discours.
« Nous vivons une époque que je n’aurais jamais imaginé connaître au cours de ma vie, une époque dans laquelle la liberté, en particulier la liberté d’expression, sans laquelle le monde des livres ne pourrait exister, se trouve attaquée de toutes parts par des voix réactionnaires, autoritaires, populistes, démagogiques, incultes, narcissiques, superficielles; où des lieux d’éducation et des bibliothèques sont la cible d’hostilité et de la censure, et où des extrémismes religieux et des idéologies sectaires ont commencé à s’immiscer dans des domaines de la vie où ils n’ont pas leur place.
« Et il y a aussi des voix progressistes qui s’élèvent en faveur d’une nouvelle sorte de censure « bien-pensante », qui semble vertueuse et que bien des gens, des jeunes en particulier, se sont mis à considérer comme une vertu.
« La liberté est donc attaquée aussi bien par la gauche que par la droite, par les jeunes que par les vieux. C’est un phénomène nouveau, encore compliqué par nos nouveaux outils de communication : Internet, où l’on peut trouver des pages au graphisme impeccable, remplies de mensonges malveillants mis sur le même plan que la vérité, et il est difficile pour beaucoup de faire le tri ; nos réseaux sociaux, où l’idée même de liberté est chaque jour malmenée, afin que les milliardaires propriétaires de ces plates-formes puissent opérer une manipulation de masse, qu’ils semblent de plus en plus prompts à encourager – et dont ils tirent profit.
« Que faire de la libre expression lorsqu’elle est si largement maltraitée ? Nous devons continuer à faire, avec une vigueur renouvelée, ce qui a toujours été nécessaire : répondre aux propos malveillants par de meilleurs propos, opposer aux récits mensongers de meilleurs récits, répondre à la haine par l’amour, et croire que la liberté peut toujours triompher, même à l’âge du mensonge.
« Nous devons la défendre farouchement et en donner une définition aussi large que possible de sorte que, en effet, nous devons défendre des discours qui nous offensent, sinon nous ne défendons absolument pas la liberté d’expression. Les éditeurs sont parmi les gardiens les plus importants de la liberté. Merci de faire ce travail. Faites-le toujours mieux, et plus vaillamment, et permettez à mille et une voix de s’exprimer de mille et une façons différentes. »
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