Ceux qui ont connu personnellement les honneurs du fichage policier pour « apologie du terrorisme », et qui doivent leur distinction à cette glorieuse vertu française qu’est la délation citoyenne, savent concrètement de quoi est faite la sacro-sainte « liberté d’expression » dans un pays sous occupation.
Il est tout à fait compréhensible qu’on s’indigne d’entendre dans l’espace public une bande de petits hooligans chanter « Nique la France, nique les juifs ». Mais après l’indignation, l’adulte normalement constitué est censé passer à l’étape supérieure qui est la réflexion. Car c’est ainsi qu’on règle les problèmes quand on est une personne responsable : en en identifiant les causes.
Alors quelles sont, contextuellement, les raisons profondes qui poussent ces jeunes gens à s’adonner ainsi à la versification et à en faire généreusement profiter leur voisinage ? Faut-il y voir la manifestation d’un intérêt nouveau pour le chant responsorial, où chœur et soliste dialoguent harmonieusement en des ritournelles improvisées ?
Le premier élément de réponse, c’est l’intention : se faire entendre. Faire entendre une voix qu’on censure. Que le média méprise. Jour après jour. La voix d’un peuple, à quelques milliers de kilomètres, qu’on génocide.
Le deuxième élément de réponse, le plus spectaculaire, c’est le propos. Même s’il est maladroit, ignorant, victime de malheureux glissements sémantiques, il synthétise une souffrance, un malaise. Qui, manifestement, fédère.
Or, on ne peut ignorer ni condamner la parole de l’enfant, en ce sens qu’elle traduit spontanément une réalité subie, et que toute colère exprimée naît d’un sentiment d’injustice. Aux adultes de l’analyser et d’y apporter des réponses. Mieux, des solutions.
Si l’on était porté par un espoir sans bornes, l’on pourrait tout aussi bien féliciter ces jeunes gens pour leur initiative de conscientisation politique. Et les aider à affiner le propos, en leur apprenant à « cibler ». Car tel est notre rôle d’éducateur. Peut-être, alors, comprendraient-ils qu’il est plus juste de dire « Nique la France de Macron, nique le Likoud », par exemple.
Accompagnons-les, ayons foi en eux, en espérant que les parfums capiteux de la cellule de garde à vue ne les dissuadent jamais de faire honneur à cette précieuse « liberté d’expression » que nous devons au courage mélodique de nos anciens.
Voilà effectivement comment on respecte la France ici-bas : en la « niquant » en chanson quand elle a trop joué les putains. Ça n’est rien d’autre qu’une façon désespérée de lui demander de se reprendre.
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