Ce 23 octobre 2023, Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, était l’invitée de Nicolas Demorand et Léa Salamé sur France Inter. Elle revenait d’un voyage de solidarité en Israël. A cette occasion, elle révéla ingénument que deux de ses précédents voyages à l’étranger avaient été à Kiev, au début de la guerre russo-ukrainienne, et en Arménie, au moment du blocus du Haut-Karabakh.
Elle n’aurait su mieux dire à quel point elle se plaçait dans le camp « occidentaliste », c’est-à-dire dans le petit bloc euro-nord-américain, si sûr de lui qu’il élargit son pré carré en se baptisant « communauté internationale » – comme les Étasuniens, qui annexent le Nouveau monde en se baptisant « Américains » : en effet, aller à Kiev, c’est se déclarer contre les « méchants » Russes, successeurs des non moins « méchants » Soviétiques, et aller en Arménie, c’est se déclarer contre les « méchants » Azéris (et, derrière eux, contre les « méchants » Turcs, soutiens des Azéris et successeurs des Ottomans de triste mémoire).
On a eu droit, là aussi, à l’habituelle (et fallacieuse) assimilation des Israéliens aux Juifs : or, cette assimilation a été démentie, et pas par n’importe qui. Dans leur ouvrage Les 100 clés du Proche-Orient, paru en 1996, Alain Gresh et Dominique Vidal écrivent en effet : « Il n’est pas vrai, déclare à l’époque le général Moshe Dayan, que les Arabes détestent les Juifs pour des raisons personnelles, religieuses ou raciales. Ils nous considèrent, et à juste titre de leur point de vue, comme des Occidentaux, des étrangers, des envahisseurs qui se sont emparés d’un pays arabe pour en faire un État juif… Dès lors que nous sommes obligés de réaliser nos objectifs contre la volonté des Arabes, nous devons vivre dans un état de guerre permanent » (Cité par Eric Rouleau dans Les Palestiniens).
Ou, pour reprendre une métaphore célèbre, les Israéliens sont comme le pâté d’alouette (composé, comme chacun sait, d’un cheval et d’une alouette). Ils sont le pâté résultant d’une alouette de Juif et d’un cheval d’Occidental. L’État d’Israël est un État européen de langue sémitique et de religion hébraïque, comme la Suède est un État européen de langue scandinave et de religion luthérienne. Israël est lié par une multiplicité d’accords avec l’Union européenne, l’Otan et les États-Unis : c’est, de facto, le 28e État de l’Union européenne, le 32e membre de l’Otan et le 51e État des États-Unis. Enfin, pas tout à fait : à chaque fois il a les avantages de l’adhésion sans en éprouver les inconvénients.
Autre fallacieuse assertion : celle de risque d’un génocide, d’une extermination des Israéliens (entendre « des Juifs »), par le Hamas ou par les groupes armés islamistes. Là aussi, compte tenu des rapports de force (la supériorité militaire écrasante des Israéliens, lestée, sous leur ligne de flottaison, par la masse monstrueuse de l’armée étasunienne et des armées européennes), cette idée est un fantasme. Cette victimisation sans vergogne d’Israël s’inscrit d’ailleurs dans la façon dont, depuis le XIXe siècle, les Occidentaux se voient et voient réciproquement les pays du Sud.
Il me souvient, lorsque j’étais enfant, d’avoir longuement contemplé, dans Paris-Match, avec une fascination horrifiée, le tableau de Paul Jamin peignant le prince impérial Napoléon, fils de Napoléon III, (alors soldat de l’armée britannique) à la lutte contre plusieurs Zoulous avant de succomber. On voit, dans les hautes herbes de la savane, le prince, vêtu de son uniforme, entouré de neuf Zoulous (nus et noirs, donc doublement animalisés) pointant leurs sagaies dans sa direction. Tout est fait, dans cette peinture, pour souligner l’inégalité de la lutte (transposition de l’image médiévale des vilains, attaquant à plusieurs un valeureux chevalier seul sur son destrier), et, en même temps, de viol – car le prince fut dépouillé, post mortem, de ses vêtements. Les Zoulous furent donc meurtriers et profanateurs.
Mais cette vision fait bon marché des rapports de force réels entre les Européens et les Africains au XIXe siècle (les sagaies d’un côté, les mitrailleuses et les canons de l’autre), et des résultats effectifs : les morts des guerres anglo-zouloues, les 17 000 morts de la construction de la ligne de chemin de fer Congo-Océan (une traverse, un mort), les 80 000 Herreros et Namas massacrés par les colonisateurs allemands, au début du XXe siècle, dans ce qui est aujourd’hui la Namibie, les millions de morts dans les plantations d’hévéas du Congo du roi Léopold II de Belgique (de 1 à 10 millions de morts), Congo qui lui appartenait à titre personnel !
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