Dangers et leçons à tirer de la sempiternelle guerre israélo-palestinienne, une vue globale

Dangers et leçons à tirer de la sempiternelle guerre israélo-palestinienne, une vue globale

Vendredi, le 20 octobre 2023

Par Rodrigue Tremblayprofesseur émérite de sciences économique et ancien ministre de l’industrie et du commerce québécois, et auteur du livre géopolitique « Le Nouvel empire américain », l’Harmattan, 2004, et auteur du livre « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », Fides, 2018. 

[Opérations sous fausse bannière] : « Les pouvoirs en place comprennent que pour créer l’atmosphère appropriée à une guerre, il est nécessaire de créer au sein de la population en général une haine, une peur ou une méfiance à l’égard des autres, que ces autres appartiennent ou non à un certain groupe de personnes ou à une religion ou à une nation.» James Morcan (1978- ), acteur, écrivain et producteur né en Nouvelle-Zélande et résidant en Australie, 2014.

« Je connais bien l’Amérique. L‘Amérique est une chose que l’on peut très facilement déplacer dans la bonne direction. Il ne nous gêneront pas.» Benyamin Nétanyahou (1949- ), Premier ministre israélien (1996-1999), (2009-2021) et (2022- ), déclaration dans une vidéo en 2001, parlant à des colons israéliens en Cisjordanie, (cité dans « Netanyahu: ‘America is a thing you can move very easily’, The Washington Post, July 16, 2010).

« Nous devons nous rappeler qu’en temps de guerre, ce qui est dit du côté du front ennemi est toujours de la propagande, et ce qui est dit de notre côté du front est la vérité et la justice, la cause de l’humanité et une croisade pour la paix. » Walter Lippmann (1889-1974), journaliste américain, (tiré de son livre ‘Public Opinion’, 1922)

Introduction

De nos jours, presque toutes les guerres, impliquant des gouvernements qui ont accès à d’énormes moyens de propagande, sont soit délibérément provoquées, soit simplement le résultat d’opérations sous fausse bannière, dissimulées et camouflées sous un manteau de mensonges et de fausses nouvelles. En temps de guerre, toutes les parties mentent. Des médias passifs ou complaisants aidant, il n’y a pas une personne distraite sur cent qui peut y voir clair.

Les affrontements à coups de roquettes et de missiles entre le Hamas islamiste et Israël, et les atrocités et les crimes de guerre commis contre des civils, ne sont pas nouveaux. Cette flambée de violence est, en réalité, la continuation d’un conflit historique qui se poursuit et qui va même en empirant.

En effet, il y a deux ans, en mai 2021, il s’est produit de sérieuses émeutes à l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem, lesquelles ont fait 520 blessés parmi les Palestiniens et 32 blessés parmi les policiers. Il s’en était suivi une escalade entre Israël et le Hamas. Ce dernier avait lancé plus de 1000 roquettes vers Israël, tandis que l’armée israélienne avait lancé un déluge de feu sur la bande de Gaza, causant plus de 150 morts palestiniens et 10 morts du côté israélien.

Il y a six mois, soit les 5 et 6 avril, 2023, de nouvelles émeutes se sont produites à la mosquée al-Aqsa, à Jerusalem.

Il est donc surprenant que les attaques du Hamas à coups de roquettes, le samedi 7 octobre 2023, et baptisées ‘Déluge d’al-Aqsa’ par les Palestiniens, semblent avoir pris tellement d’observateurs par surprise.

De même, on ne peut que demeurer perplexe quand le gouvernement israélien, lui même, dit avoir été pris par surprise, alors que ses relations avec les populations palestiniennes sont très tendues, tout particulièrement depuis 2021.

Néanmoins, l’Agence France-Presse a publié la version officielle selon laquelle il y aurait eu un « échec des services de renseignement israéliens » à prédire l’offensive militaire du Hamas contre des villes israéliennes, laquelle offensive, dit-on, se préparait « depuis plus d’un an » et que certains qualifient maintenant de 11 septembre israélien !

Fait significatif, l’agence de nouvelles a aussi rapporté que le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant (1958- ) a déclaré : « Nous changerons la réalité sur le terrain à Gaza ». « Ce qui existait avant ne sera plus. »

Le même ministre a déclaré lundi le 9 octobre qu’il imposait « un siège complet » à la bande de Gaza : « Il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé. » Ajoutant, « Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence », — oubliant que les nazis qualifiaient les Juifs allemands de ‘sous-hommes’ (Untermenschen), pour justifier un génocide.

Pour sa part, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou (1949- ), un politicien ultra-orthodoxe partisan de « Eretz Israël », le « Grand Israël » de la Bible, a proclamé que « Israël et la bande de Gaza sont en guerre. »

Il faut souligner, par ailleurs, que la bande de Gaza est entourée par un mur de 64 kilomètres de long et d’une hauteur de six mètres, muni d’une barrière souterraine. De plus, cette enceinte est équipée de censeurs, de caméras et d’un système de surveillance automatique lequel est relié à un centre de commandement sous la surveillance de soldats.

Qu’est-ce qui retourne de tout cela ?

Comment expliquer que le gouvernement israélien de Nétanyahou n’eut aucune idée que le Hamas préparait une attaque ?

La question est de savoir pourquoi et comment l’armée et la marine israéliennes, lesquelles imposent un blocus terrestre et maritime serré à tout ce qui entre dans la bande de Gaza depuis 2007, de même que les services secrets du Mossad, aient pu ne pas savoir ce qui se préparait.

Est-ce que cela est vraisemblable ? A-t-on fermé volontairement les yeux ? Il semblerait crucial pour la suite des choses d’élucider pareil mystère.

L’explication alternative serait que nous soyons possiblement en présence d’un laissez-faire plus ou moins volontaire de la part de certaines autorités, à commencer par le premier ministre Nétanyahou lui-même, en ne prenant pas les précautions nécessaires pour empêcher une flambée d’attaques militaires de la part du Hamas.

D’une part, une telle négligence n’était pas sans poser une menace à la population civile israélienne. D’autre part, comme cela est arrivé dans le passé, la population palestinienne allait devoir subir des bombardements israéliens meurtriers, conséquence d’une réaction de vengeance de la part du gouvernement israélien. À ce titre, que signifie la déclaration ci-haut mentionnée du ministre israélien de la Défense, immédiatement après les attaques du 7 octobre, à l’effet qu’à Gaza, « ce qui existait avant ne sera plus » ?

Pourquoi les avertissements répétés d’une attaque imminente ont-ils été ignorés ?

Plus fondamentalement, peut-être, comment interpréter le reportage selon lequel le ministre égyptien des renseignements, le général Abbas Kamel, a appelé Nétanyahou des jours avant les attaques du Hamas, l’avertissant que les militants à Gaza préparaient «quelque chose d’inhabituel, une opération terrible. » ?

Les Égyptiens furent consternés devant l’indifférence de Nétanyahou après qu’on lui ait transmise une information fiable.« Nous avons averti à plusieurs reprises les Israéliens que la situation avait atteint le point d’explosion et qu’elle serait très grave. Mais ils l’ont pris à la légère » a affirmé un responsable des services égyptiens, tel que rapporté par le journal Le Figaro.

Ces avertissements ont été ignorés et ont été rejetés par le bureau du premier ministre comme étant une fausse nouvelle ! Si c’est le cas, pourquoi ne pas avoir néanmoins enquêté et pourquoi ne s’y être point préparé à y faire face, par simple précaution ?

D’autant plus que la nouvelle selon laquelle le gouvernement Nétanyahou avait été prévenu, plusieurs jours avant les attaques du Hamas, a été confirmée par le président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants des États-Unis, Michael McCaul (R-Tex), ce dernier étant en possession de renseignements classifiés.

La question se pose donc : le gouvernement Nétanyahou a-t-il réellement été confronté à une attaque imprévue de la part du Hamas, ou sommes-nous plutôt en présence d’une guerre qui a été possiblement facilitée, par omission ou autrement ? Dans ce dernier cas, cela pourrait être politiquement explosif pour le gouvernement Nétanyahou. Ce serait, en fait, bien plus qu’une simple négligence.

Beaucoup d’Israéliens croient que ce fut effectivement le cas. Selon un sondage réalisé jeudi, le 22 octobre, une écrasante majorité de 86 pourcent des Israéliens estiment que leur gouvernement et Nétanyahou en tête sont responsables des attaques et du massacre qui se sont produits en Israël. En outre, plus de la moitié des Israéliens croient que Nétanyahou devrait démissionner.

Le célèbre journaliste d’enquête américain, Seymour Hersh, estime pour sa part que M. Nétanyahou devra répondre de sa gestion devant la population et que ses jours au pouvoir seraient comptés. Il y a un plan du gouvernement Nétanyahou pour éradiquer le Hamas, raser Gaza et expulser la population palestinienne.

Comme dans tout autre conflit, il importe de poser la question Cui bono ? ou, à qui le crime profite en bout de ligne ?

Cette ‘nouvelle’ guerre israélo-palestinienne, présentée comme une ‘surprise’, pourrait bien arriver à point donné pour les politiciens Benyamin Nétanyahou et Joe Biden (1946- ).

• D’une part, le nouveau gouvernement de coalition du Premier ministre Nétanyahou, élu à la fin de 2022, est le plus à droite de l’histoire d’Israël. En effet, il s’est allié à des formatons sionistes d’extrême droite et anti-palestiniennes, lesquelles proposent l’annexion d’une partie de la Cisjordanie (West Bank), un territoire occupé par Israël depuis 1967.

D’autre part, Nétanyahou a provoqué des manifestations monstres anti-gouvernement dans son pays, quand il a fait adopter un projet de refonte judiciaire pour favoriser les extrémistes religieux qui font partie de son gouvernement.

• Quant au président étasunien Joe Biden, il a déjà dit, à de multiples occasions, ici et ici, qu’il se considérait un ‘sioniste‘. Il a aussi affirmé que Nétanyahou était un « ami depuis des décennies » en plus d’affirmer que le soutien des États-Unis à Israël était « gravé dans le marbre et inébranlable ». Or, Biden fait présentement face à de mauvais sondages, tant pour sa gestion que pour son âge avancé.

En effet, à un an des élections présidentielles américaines, le candidat démocrate présomptif à la présidence a peu de chance d’être réélu, malgré les frasques de son adversaire républicain présumé, Donald Trump, ou qui que ce soit d’autre que les républicains choisissent comme candidat.

Seule une guerre de grande ampleur et impliquant les États-Unis serait de nature à changer la donne et à renflouer Biden politiquement.

Force est de constater que la guerre provoquée en Ukraine traîne de la patte, malgré les $200 milliards déjà ‘investis’ par le gouvernement américain et par plusieurs pays de l’OTAN dans cette guerre par procuration. Cela survient au moment où les républicains du Congrès étasunien s’opposent de plus en plus à ce que le gouvernement de Washington continue de servir de banquier au gouvernement ukrainien de V. Zelensky. De plus, les sondages montrent qu’une majorité d’américains ordinaires s’opposent à ce que leurs taxes et impôts s’en aillent en Ukraine alors qu’il existe des besoins criants au pays.

Une guerre très médiatisée en Israël, par contre, serait de nature à renforcer l’attrait de Joe Biden, auprès des électeurs et des donateurs favorables à Israël, aux États-Unis. D’ailleurs, Joe Biden s’est immédiatement hâté, dès le début du nouveau conflit israélo-palestinien de promettre une nouvelle aide militaire américaine de $14,3 milliards à Israël, au-delà des $3,8 milliards d’aide versés annuellement à ce pays.

Il ne faut pas oublier non plus que le premier ministre israélien et le président américain se sont rencontrés, à New York, deux semaines avant les attaques du Hamas, soit mercredi, le 20 septembre. Le compte rendu officiel de cette rencontre fait même état d’une « coopération étroite entre Israël et les États-Unis pour contrer toutes les menaces posées par l’Iran et ses mandataires ».

Une complication supplémentaire : la présence d’un important gisement de gaz naturel au large de la bande de Gaza

Pour souligner à quel point la situation est complexe dans cette partie du monde, il existe un important gisement de gaz naturel au large de la bande de Gaza, lequel pourrait être grandement profitable aux Palestiniens.

L’exploitation de ce champ gazier, baptisé Gaza Marine, fait l’objet de négociations entre le gouvernement israélien, l’Autorité palestinienne et l »Égypte. Tout cela implique nécessairement aussi le groupe du Hamas, concurrent de l’Autorité palestinienne sous le contrôle du parti Fatah.

Qui a le plus intérêt à faire échouer pareilles négociations ? Il est bien connu que le projet d’une occupation militaire de la bande de Gaza a, pour un de ses objectifs, de transférer la souveraineté des gisements de gaz naturel à Israël, en violation du droit international.

Les évènements à venir nous informeront davantage sur les dessous de cette nième guerre israélo-palestinienne, cette dernière semblant resurgir à tous les dix ans, quand le pourrissement atteint un niveau d’explosion.

Conclusions

Une première importante leçon géopolitique et morale se dégage du désastre humain des guerres à répétition entre Israéliens et Palestiniens : lorsque des dirigeants malavisés, sans vision, incompétents ou malhonnêtes laissent pourrir un problème politique, ce sont des personnes innocentes qui paient pour leur incurie.

Une deuxième grande constatation est bien celle que certains dirigeants en position pour le faire, ne font présentement rien pour renforcer les institutions internationales de paix, mais semblent plutôt attiser les conflits à travers le monde.

En troisième lieu, il faut dire que ce n’est pas seulement là où il y a des caméras et des photographes qu’il y a des atrocités et des crimes de guerre de commis. Les agressions qui consistent à lancer des missiles ou à larguer des bombes sur des populations tuent et massacrent tout autant des personnes (hommes, femmes et enfants), l’une que l’autre. Elles sont toutes les deux immorales.

Quatrièmement, les atrocités barbares et aveugles, perpétrées avec des armes modernes contre les populations civiles, sont non seulement illégales en regard du droit international, mais sont également inacceptables en vertu des principes humanitaires élémentaires.

Cinquièmement, on observe que les pires et insolubles conflits humains sont ceux qui reposent sur un fond de guerre de religion.

Finalement, les États qui ne respectent pas le droit international se créent des problèmes à eux-mêmes et sont une menace à la civilisation et à la paix mondiale.


Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018, (Fides). Il est titulaire d’un doctorat en finance internationale de l’Université Stanford.

On peut le contacter à l’adresse suivante : rodrigue.tremblay1@gmail.com

Il est l’auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.

Site internet de l’auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com

Mis en ligne, le vendredi, 20 octobre 2023.

© 2023 Prof. Rodrigue Tremblay

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